"Alors Marc, pas trop ardues ces vendanges 2011?..."
Avec les échos en tête, émanant du vignoble nantais, de toutes les difficultés rencontrées par certains vignerons du Muscadet à l'automne dernier, façon cauchemar dantesque, je me disais, en posant la question à Marc Pesnot, qu'il valait mieux éviter d'afficher un quelconque sourire, que le vigneron de la Sénéchalière aurait pu trouver quelque peu déplacé.
"Non, du tout! Impeccable!..."
En fait, l'avance prévue, au regard des conditions climatiques du printemps, fut perdue au fil de l'été plutôt maussade. La date prévue pour les vendanges se situait donc aux environs du 25 août. Ban des vendanges publié, quelques voisins vignerons de Marc Pesnot se lancent dans la bataille. Le vigneron de St Julien de Concelles va donc aux nouvelles. Il aperçoit non loin de chez lui une machine en action et s'en approche... prudemment. A quelques pas à peine de l'engin, une odeur de pourri envahit l'atmosphère!... Le conducteur descend pour saluer son voisin et s'épencher quelque peu. Une courte conversation s'engage. Celui-ci n'a déjà plus que ses yeux pour pleurer!... La vendange n'est pas mûre et les raisins présentent une couleur marron significative. "Tu te rends compte, c'est vert et pourri!... Je me demande ce que je vais pouvoir y faire..." A peine ose-t-il se rassurer de quelques conseils glanés çà et là... "Il parait qu'on peut traiter ça avec je ne sais quoi, pour sauver ce qui peut l'être..."
Marc Pesnot est donc tout à fait édifié. Chez lui, la maturité n'est pas atteinte, il convient de patienter. La tortue laisse courir les lièvres et va alors prendre l'option vacances. Agacé par tous les bruits qui circulent dans le vignoble, dans une ambiance pour le moins crispée, il s'accorde donc le temps d'un séjour d'une semaine en Corse, laissant la consigne de continuer à traiter les vignes à l'argile, dès la moindre humidité, comme il l'a fait chaque semaine depuis début août et s'en remet aux dieux de la vigne et du vin!... Au retour, tout était paré pour une cueillette top niveau.
S'en suivent des vendanges qui se déroulent bon train. Dans les différentes parcelles, un seul passage suffit. La vénérable Folle blanche (80 ans au compteur!) nécessite un léger tri, pour garder le meilleur. Conséquence : 50 hl de vin en 2010, et 32 cette année. Mais, le résultat est hors du commun!... Après les degrés record l'an dernier - 11,88° - la performance est encore supérieure : 12,04° pour le 2011!... Du jamais vu!... La folle continue de grimper, un peu comme les températures annuelles moyennes de notre climat. Elle grimpe aussi dans l'estime du vigneron, qui se dit épaté par le résultat final. Cette folle offre de délicats arômes de citron mûr, sans aucune pointe végétale, avec des nuances fleur-fruit très agréables. Ce qui est le plus étonnant avec ce vin, sensation que confirme le vigneron, c'est que malgré son âge et les soins apportés, la vigne n'apporte pas cette notion de minéralité à laquelle on peut s'attendre. C'est sans doute là, un caractère essentiel de ce cépage. Une forme de révélation, grâce aux qualités et au naturel de cette matière.
La Bohème (air connu), un joli nom pour ce "Muscadet", qui inspire peut-être le goût du voyage au vigneron de la route de Goulaine, non loin de la Désirée. Les jus destinés à cette cuvée n'en sont pas tous au même stade. Il reste encore de 9 à 15 gr de sucre, mais le vin sonne juste. C'est propre et net. Pour Marc Pesnot, 2011 c'est l'exemple même de millésime pur, avec un équilibre qui s'annonce comme une évidence. "De plus, zéro intervention! Un vrai vin de fainéant, si ce n'était le travail en amont, tout au long de l'année! Les vignerons en bio sont plus près du végétal et s'en sortent mieux dans ces circonstances. Et cela risque d'être encore plus significatif en 2012, du fait de la présence de mildiou mosaïque chez certains!..."
Découverte ensuite des jus des Bretèches 2011, issus de cette nouvelle parcelle assez étonnante, qui donne de bons espoirs au vigneron, du fait notamment de l'expression particulière du 2010, résolument tourbé, dès les premières semaines. Ils séjournent dans une cuve souterraine, mais sont associés cette année à une petite proportion de jus venant d'une autre parcelle. L'option d'une cuvée parcellaire viendra plus tard, lorsque l'expérience de quelques vendanges et de quelques millésimes après élevages mettra certaines choses en évidence. Marc Pesnot sait laisser le temps au temps.
Parfois, il apprend de certaines circonstances supposées fâcheuses, celles-là même qui pourraient mettre en péril le résultat final d'un pressurage, par exemple. Ainsi, alors qu'il a coutume de presser aux environs de 300 gr, il doit un jour faire face aux méfaits d'une fuite d'air et d'une baisse de pression sur le pressoir, ce qui lui impose de prolonger la pressée tout ou partie de la nuit, à guère plus de 80 gr. Il découvre, en goûtant les jus, qu'il a pu obtenir ainsi, ce qu'il appelle une "maturité en pressurisation". Un peu à la façon de la cuvée Nuitage. Une sorte de macération sur peau et rafle, mais dans la dentelle!... Au final, le melon exprime pureté et volume. Un tout autre melon!... Version chapeau melon et bottes de cuir!...
Pour tous ceux qui l'ignoreraient encore, Marc Pesnot fait aussi des rouges. Jusqu'au millésime 2010, un rouge, mais avec 2011, deux rouges. En effet, celui qui rejetait naguère l'idée même d'un élevage en barriques, du fait d'une sensibilité assez élevée à l'amertume ou à l'astringence, s'est lancé dans une nouvelle expérience, après avoir récupéré deux fûts du côté de l'Orléanais. Pour illustrer son rejet des vins passés en barriques, il se remémore des dégustations en compagnie de Noëlla Morantin, qui travailla au domaine en sa compagnie et qui s'étonnait de la perception aiguë de son maître de stage pour l'amer.
Aujourd'hui, le vigneron nantais s'étonne du résultat et de la transformation des jus en quelques semaines d'élevage. Bien sûr, il ne laisse rien au hasard et a donc partagé le volume en deux parties, l'une élevée en cuve et l'autre en barriques. Rappelons, que le cépage dont il dispose est de l'abouriou, pas vraiment ligérien, mais présent dans la région du fait du choix dicté par les instances locales, au titre de la diversité choisie et conseillée, à une époque où on pensait sauver le vignoble en plantant des cépages rouges. Certains vignerons alors n'eurent d'autre choix que de consulter la liste alphabétique des cépages, dans laquelle le cépage noir des Côtes du Marmandais figurait en bonne position et pour cause.
Nous dégustons donc, en premier lieu, l'abouriou de cuve. Une robe violacée, profonde et des arômes assez diffus de fruits rouges ou noirs, mais avec des notes végétales, façon ronce. En bouche, la matière est plutôt acidulée, presque anguleuse. Une certaine rusticité, mais le vin est plutôt homogène. Ensuite, nous passons à l'abouriou de barriques. Les mêmes caractéristiques que le précédent pour ce qui est du visuel, mais au nez comme en bouche, le vin a résolument positivé!... Marc Pesnot évoque son ressenti quant à l'évolution très rapide des jus, dès leur mise en fûts. Et ma foi, cela a l'air de lui plaire!... Le côté acidulé s'est enrichi et la palette aromatique est plus large. La structure semble plus étoffée et la richesse soulignée. C'est bon!... On s'imagine sous la tonnelle, l'été, quelques grillades et des amis!... Bon, je vous rassure, il n'y en aura pas pour tout le monde!... Déjà, certains ont tenté de se positionner lors de la Dive... et ça va être dur!... Non, non, je ne céderai pas, même sous la torture, vous ne saurez rien de la date supposée de la mise en bouteilles!... "Quand il sera prêt!..." s'amuse le vigneron. Ben voyons...
Allez, gardez votre sang-froid. Inutile de vous précipiter sur votre téléphone pour tenter de le joindre. Marc Pesnot est en vacances, pour deux semaines. Billets d'avion en poche, il a pris le large sans changer le rouleau de son fax!... Bonnes vacances et bon voyage Monsieur Pesnot!...
La première illustration de cet article est tirée du Grand Atlas des Vignobles de France, de Benoît France (Éditions Solar)