Le Nez dans le Vert, chapître 2 : Jurassic Pacte

C'est l'histoire, à la mode du Jura, des Nordistes et des Sudistes. Le Jura, une région viticole que les Français (re)découvrent peu à peu, qui s'étire de la région de Salins les Bains au nord-est, à Beaufort et St Amour (homonymes de villages alpin et beaujolais) au sud-ouest, en passant par Arbois, Poligny, Château-Châlon, L'Etoile et Lons le Saunier. Des bisbilles anciennes entretenues pendant des décennies, qui tenaient plus d'une classique rivalité de clochers - "A Arbois le nom, à Pupillin le bon!" - que d'un conflit inter-ethnique armé, fort heureusement. Ou alors, les armes étaient-elles mises sur la table régulièrement : fromages, volailles, morilles pour en découdre verres en main, à coup de trousseau, poulsard ou savagnin!...

L'origine du vignoble semble lointaine, puisque déjà Pline le Jeune, sorte de Jefferson romain, qui parcourut les vignobles de l'Empire, évoque, dès l'an 80 de notre ère, la Séquénie (la Franche-Comté antique), ses vins et leur raisin sans apprêt, dont l'origine pourrait être l'Autriche (le Viennois de l'époque). Parlait-il alors de l'ancêtre du savagnin?... L'histoire plus récente évoque la première marque déposée (Vin d'Arbois, dès 1906) et la création de la première coopérative viticole en France (à Arbois toujours et en 1906 également), à l'image des fruitières déjà connues pour la fabrication du comté. Quelques années plus tôt, Alexis Millardet, jurassien pure souche, avait posé les principes du greffage sur souches américaines, découverte essentielle qui allait faire reculer les ravages du phylloxera, ce dernier se propageant dans la région entre 1879 et 1885. Aujourd'hui, on dénombre 2000 hectares de vignes dans la région et une dynamique remarquable qui fédère les énergies, comme c'est le cas de celles qui composent l'association Le Nez dans le Vert, regroupant les vignerons en agriculture biologique du nord au sud et du sud au nord de la contrée.

     

Quelle meilleure occasion qu'un salon pour rappeler cette orientation déterminante et réunir la production récente de vignerons talentueux, certains à la notoriété d'ores et déjà établie et d'autres, plus jeunes, qui débarquent avec leur passion et leur volonté de proposer du bon? En 2011, la première édition du Salon des Vignerons bio du Jura avait donc pour cadre, les caves du Domaine de la Pinte, en Arbois, au nord. Il convenait donc, pour 2012, de passer au sud de la confédération et ménager ainsi toutes les susceptibilités. Le choix du Château de Gevingey, porté par une météo printanière, se révélait excellent. Cadre bucolique, accès facile, ambiance décontractée, voire festive, cuisine savoureuse (comme l'an dernier!), tout pour faire de ce salon, le plus sympa des salons du genre.

Un public de passionnés et de sympathisants se presse dès la première heure. Il faut dire que plus de trente domaines sont présents et répartis dans plusieurs salles lumineuses et agréables. Sous l'oeil un rien goguenard de Pierre Overnoy, dont le poster semble présider la séance dans la plus grande salle, comme s'il surveillait quelques garnements (pas de noms!) et qui promène d'ailleurs sa bonne humeur d'un espace à l'autre, nous ouvrons nos papilles par les jolies cuvées de Céline Gormally du Domaine Les Dolomies, à Passenans. Elle-même dans l'attente d'un heureux évènement et, accessoirement, vice-présidente de l'association des Vignerons bio du Jura, elle nous propose notamment l'un de ses derniers nés, le pinot noir La Cabane 2011, plein de fruit, mais aussi Les Combes 2010, un chardonnay sur marnes et Les Boutonniers 2010, de ce même cépage, mais plutôt sur argilo-calcaire. Le savagnin ouillé, En Rolion 2010, est doté d'une belle vigueur et s'annonce complexe et joliment séducteur.

     

Attention talent, à quelques pas de là!... Et des regrets de ne pas avoir rencontré sur site ce vigneron de Pupillin, lors de notre passage dans la capitale mondiale du ploussard. Pourtant Manu Houillon nous avait montré une de ses parcelles dans la Côte de Feule. Renaud Bruyère, installé depuis à peine plus d'un an, propose trois cuvées 2011 à cueillir au plus vite : un chardonnay et un trousseau remarquable, aux étiquettes très lunaires, mais aussi, à propos de cueillette, un renversant chardonnay en surmaturité - Les oubliés de Paname - issu de raisins oubliés par ses vendangeurs parisiens quelque peu... dans la lune! 40 ares de ploussard sont également prévus en 2012, pour ce salarié du Domaine André et Mireille Tissot et voisin du Domaine Pierre Overnoy, qui semble on ne peut mieux parrainé, mais naturel... lement doué!...

Un autre vigneron talentueux à ses côtés, Emmanuel Thiébaud, du Domaine des Cavarodes, qui met sur la table trois jolies cuvées rouges du millésime 2011 : un Poulsard des Gruyères, un Trousseau de Messagelin, tous deux catégorie Arbois, mais aussi un Vin de Pays de Franche-Comté tendu et plein de fraîcheur, sorte de cocktail magique issu d'un tiers de pinot noir, d'un tiers de trousseau et d'un dernier tiers composé de huit autres cépages : pinot meunier, gamay, poulsard, gueuche (le gouais valaisan?), portugais bleu (bien connu en Autriche), mézy, argan et enfariné, pour la plupart, cépages ancestraux locaux, catégorie très vieille vigne.

Du vin encore, avec Catherine Hannoun, du Domaine de la Loue!... Moins de deux hectares de vignes bichonnées et ce jour, un savagnin en AOC Arbois, issu d'une parcelle de 50 ares dans le secteur de Sous la roche, à Pupillin (décidément, quel talent!), en trois versions passionnantes : 2009 ouillé et tendu, pour les soirs de première, 2010 oxydatif, en héros masqué et authentique, qui arrive sans crier gare et 2011 prélevé sur fût, au stade du synopsis et dont on ne connaît pas toute l'histoire. Une vigneronne volontaire, déterminée, qui peut expliquer, mieux que quiconque, que la vigne, c'est pas du cinéma!... Un cheval pour les "grands" espaces et le travail du sol, une débroussailleuse et un atomiseur à dos pour gonfler le casting et la biodynamie pour prendre soin du paysage jurassien en cinémascope. Y'a des palmes et des oscars qui se perdent!... Ceux-là même qu'on fête avec le joli Pet'Nat 2010 du domaine, issu de savagnin lui aussi, tonique et gourmand à souhait!... Moteur?... Ça tourne!... 

     

Après avoir apprécié comme il se doit, quelques cuvées chez Fanfan Ganevat (leader sudiste), avec notamment J'en Veux 2011, Plein Sud (le bien nommé), ou encore Les Grandes Teppes (les steppes, c'est pour le nord), ainsi que quelques flacons au Domaine Pierre Overnoy (leader nordiste), dont le Chardonnay-Savagnin 2007 et le Savagnin 2007, nous partons pour l'Orient, histoire de saluer Kenjiro Kagami, du Domaine des Miroirs, à Grusse, non loin de Rotalier. Premières cuvées jurassiennes avec le millésime 2011, pour ce Japonais passé par l'Alsace et le Rhône et autant de pistes à suivre, après la mise en bouteilles des Chardonnay, dont un élevé en fût, du Savagnin et du Poulsard. Nature et... débridé, selon les termes choisis par un célèbre blogueur jurassien!...

Du solide chez Julien Labet, de la Fleur de Savagnin 2010 au poulsard En Billat 2011 (issu de vieilles vignes plantées sur schistes en 1888!), en passant par La Reine 2010, un beau chardonnay plantées sur des argiles ocre. Ensuite, un nouveau talent, Alexis Porteret, du Domaine des Bodines, à Arbois, avec une série poulsard-trousseau-chardonnay-savagnin d'un premier millésime 2010 très réussi et un trousseau 2011 savoureux, avant même la mise en bouteilles.

     

Avec son Domaine Ratapoil, Raphaël Monnier ne nous prend pas à rebrousse-poil!... L'an dernier, il avait été une des plus belles découvertes de la première édition du salon, notamment avec son Vin de Pays rouge aux multiples cépages, dont un bon nombre non identifiés!... Il récidive cette année, avec une jolie série de cuvées aux teintes et étiquettes multicolores. Si vous êtes tentés, ne perdez pas de vue que le jeune vigneron d'Arc et Senans ne dispose pas de plus de deux hectares... A bon entendeur-buveur, salut!...

Dans un salon de cet accabit, il y a toujours une série de vins qui vient vous titillez les papilles. Allez savoir pourquoi!... Pourtant, cela fait déjà deux bonnes heures que vous dégustez, que vous dialoguez avec les vignerons, que vous comparez vos avis avec un ou des passionnés qui vous accompagnent. Au moment où vous craignez le coup de barre, où vous vous dites, "Allez, encore un et je fais une petite pause, histoire d'avaler un peu d'eau et de manger une tarte aux pommes!..." voila-t-y pas que les vins du Domaine Pignier, sis Place Rouget de Lisle, à Montaigu (ladigueladigue!) se présentent et vous mettent sul'Q (ladigueladigue) : un bon nombre ne seront disponibles qu'en avril, ce ne sera donc pas facile de patienter!... Très joli Poulsard 2011 En Chôné, zéro soufre, tout comme le Trousseau 2010 Les Gauthières, qui vous mettent en bouche et en appétit pour la cuvée A table avec Léandre 2010, assemblage de huit cépages pur fruit, pur jus, comme on en veut dans sa cave et sur sa table!... Et comme un p'tit bonheur ne vient jamais seul, figurez-vous que le vigneron nous propose un "Vin blanc d'antan", GPS 2011, assemblage de chardonnay, poulsard et savagnin vinifiés ensemble sans soufre ajouté. De plus, on ne peut passer sous silence le chardonnay A la percenette 2010, ni celui élevé trois ans sous voile, Cellier des Chartreux 2008, ainsi que le Vin Jaune 2005 du domaine. Belle découverte!...

     

Dans la foulée, il ne vous reste plus qu'à vous en remettre à l'élite locale, tout en sachant que d'autres surprises sont possibles... Passage donc, chez Stéphane Tissot, qui nous régale de Poulsard DD 2011, vinifié selon la tradition locale et de son Savagnin 2011 élevé en amphores. A suivre, les trois Vins Jaunes 2005, issus de trois terroirs, Les Bruyères, En Spois et La Vasée (qui réclame les huîtres de Vendée!...), passage obligé pour découvrir toutes les nuances des jaunes. Après cela, on devient fan, c'est fatal!... A noter aussi, le Savagnin dévoilé 2005, le Vin Nu, pourrait nous suggérer Alice Feiring!...

Jolie série encore chez Philippe Bornard, avec le Ploussard et le Trousseau 2009, ainsi que le Rouge Queue dans le même millésime, sans oublier le Savagnin ouillé Les Chassagnes 2007 et la délicate Ivresse de Noë, catégorie vendanges tardives. Un Savagnin 2006 sous voile, puis le Pét'Nat Tant Mieux, rien de mieux pour chasser les brumes nocturnes...

     

Juste quelques mots pour évoquer le Domaine Les Coteaux du Val de Sorne, situé à Vernantois. Jean-François Ryon est l'héritier d'une famille de vignerons passionnés d'agriculture biologique depuis cinquante ans et présents dans la contrée depuis le XVIIè siècle. Il est aussi conservateur des antiquités et objets d'art du Jura à temps partiel. Un personnage assez étonnant, apparemment plus enclin à vous parler de ce qui illustre ses étiquettes (explications au demeurant passionantes!) que des cuvées qu'il propose. Pourtant, chardonnay et savagnin 2007, tout comme trousseau 2010 et le duo poulsard-trousseau 2009 ne sont pas exemptes d'intérêt. Un peu d'Histoire sur votre table!...

     

De belles journées donc, au Château de Gevingey!... Quelques huîtres venues de Vendée, un sacré bout de succulent cochon, accompagné de légumes anciens, une petite douceur pour la route et de bons souvenirs d'amateurs passionnés. Sans blague, vous devriez mettre ce salon sur votre agenda, l'année prochaine, même si on retourne dans le nord!...