Pessac-Léognan, ses croupes de graves et ses clairières de sables noirs. Au coeur du vignoble, un village, Martillac, où se situent quelques crus classés ou pas. Curieusement, un domaine de 4 hectares peut être qualifié d'ultra urbain, tant il est entouré de lotissements et de maisons dans le plus pur style cher à nos cités dortoirs. Château Mirebeau, bichonné par Cyril et Florence Dubrey, c'est une sorte d'îlot de verdure bio sur un échiquier de parcelles normalisées, largement bétonnées, uniformisées.

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Source : www.si-graves-montesquieu.fr

Ne cherchez pas cependant, l'anneau de sable blanc de vos rêves, bordé de végétation tropicale, la plage des Dubrey remonte à -19 millions d'années, ou quelque chose comme ça!... Elle est le résultat de ce que les paléontologues ont coutume de nommer le Mouvement burdigalien, bien connu à Saucats, Léognan ou Martillac. Sur la propriété, cela se caractérise par une nette rupture de pente, qui partage les vignes en deux parties à peu près égales. Le bas serait le site de l'ancienne mangrove, le haut, un patchwork de sols dans lequel on relève aussi bien la présence d'alios ferrugineux que de coquillages divers et variés. Un endroit qui ne peut qu'attirer les vignerons passionnés.

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Cyril Dubrey, ingénieur agricole et oenologue, n'est sans doute pas arrivé là par hasard. D'abord parce qu'il est issu d'une famille où les générations de vignerons se succèdent. La propriété familiale, à Illats, c'est le Château d'Ardennes, qui totalise dix fois plus de surface que Mirebeau. Ce dernier est un peu le "laboratoire" du premier, dans le sens où Cyril et Florence expérimentent, même si les méthodes de culture ne sont pas les mêmes.

Au milieu des années 90, le vigneron de Mirebeau effectue quelques stages estivaux chez Moueix, à Pomerol, au moment des éclaircissages. En 1995, il rencontre dans ce cadre Nicolas Joly, venu présenter la biodynamie, en vue d'une éventuelle adoption de la méthode par Pétrus... qui finira par y renoncer. Le moins que l'on puisse dire alors, c'est que le mode de culture l'interpelle!... Il finit par acheter Château Mirebeau en 1996 et se met au travail, la bio-D restant dans un coin de sa mémoire.

Après presqu'une décennie, il s'interroge sur la qualité de ses vins et se demande comment leur faire franchir un palier salutaire, pour une expression plus sincère et authentique de ce terroir parmi les plus intéressants de la région. A l'occasion d'un salon, il croise Christian Binner, venu d'Ammerschwihr, qui lui conseille de prendre contact avec Michel Favard (Château Meylet), sorte de référent régional, à St Emilion, en matière de biodynamie. Nous sommes alors en novembre 2004. Dès les premiers jours de janvier 2005, il décide de franchir le pas et abandonne la "lutte raisonnée". 

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Sept ans plus tard, le vignoble semble se porter à merveille. Le terroir est malgré tout exigeant, réclamant un suivi attentif. Particularité de Martillac, les sols sont très humides. On découvre d'ailleurs, au coeur de la parcelle du haut, une source empierrée qui n'a pas moins de trois cents ans. Pour tout dire, l'idéal, le millésime plaisir, c'est 2010, sec à souhait!... Avec 2012, c'est plutôt le contre-exemple!...

Les deux hectares du bas (dans un ensemble exposé plutôt nord) sont plantés exclusivement de merlot, à l'exception de 18 ares, sauvés de l'urbanisation galopante, où l'on trouve 1500 pieds de sauvignon blanc, destinés à la cuvée Les Héliotropes, apparue en 2008. En haut, deux autres hectares sur lesquels, la dominante est aussi à base de merlot (70% du total), mais on y trouve également du cabernet sauvignon (20%), plus un peu de petit verdot (5%) et de carmenère (5%).

A la vigne comme au chai, les choix sont faits avec soins et rigueur. Cyril Dubrey confesse un "pointillisme" de tous les instants, ou presque. Mais, cette forme d'exigence l'a guidé pour s'équiper en matériel et optimiser ses installations. Ainsi, l'élevage de Château Mirebeau rouge se fait en partie en barriques neuves de chez Darnajou, tonnelier des plus grands, que nombre de vignerons et de domaines sont convaincus de ne pouvoir obtenir.

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Tour d'horizon intéressant des vins disponibles pour conclure. Le Château Mirebeau blanc 2011 est tonique et frais, avec un joli potentiel. Le rouge 2010 se situe dans un registre assez puissant, mais s'exprime de façon plutôt complexe, sans doute du fait de la diversité des sols : argiles, parfois rouges, calcaire... Cyril évoque un "goût cristallin" pour ses vins, plutôt qu'une supposée "minéralité". Le millésime 2011, en cours d'élevage, apparaît suave, homogène et doté d'une jolie texture. A noter également, la très confidentielle (à plus d'un titre) Cuvée de la Lune 2008, une sélection de très beaux raisins foulés aux pieds dans un dynamiseur en châtaigner, puis le jus transféré dans un oeuf Nomblot, avant d'être mis en bouteilles sans soufre. Un peu le genre de phénomène qui a du mal à satisfaire aux dégustations d'agrément!... Et pourtant!...

Voilà donc un cru à découvrir au coeur des Graves de Bordeaux. Plutôt confidentiel, mais bigrement sympathique par ses dimensions humaines et l'accueil que ce couple de vignerons passionnés réserve aux amateurs de passage. Un îlot d'humanité, au milieu d'un vignoble qui en manque bien souvent, trop occupé, dans bien des cas, à s'assurer d'une communication efficace et à soigner une image que le temps et les conventions écornent de plus en plus.