L'après-midi s'annonçait assez belle, même si la météo du moment n'était pas d'une exemplaire stabilité. Dans la voiture, j'avais quelques exemplaires de Tronches de vin à déposer chez Didier Chaffardon. Belle occasion de rencontrer quelques vignerons lecteurs, puisque j'avais également rendez-vous avec Sébastien Dervieux, alias Babass, ex-associé du Domaine des Griottes, avec Pat Desplats.

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Avec Didier, une précédente rencontre nous avait permis de faire le tour du sujet, vignes, vins, cuvées... Mais, avec le vigneron de St Mélaine sur Aubance, il y a toujours de la nouveauté, d'abord parce les millésimes se suivent, là comme ailleurs, mais ne se ressemblent pas, là encore plus qu'ailleurs. Chaff', c'est tout le contraire d'un blasé!... De toute façon, il n'est pas du genre à se laisser porter par la continuité sans changement. Il faut que ça bouge, il adore quand ses vins le surprennent, quand Mozart s'acoquine avec Wagner!... Tiens, comme cette cuvée de chenin 2012, qu'il va sans doute garder à part, si la tendance actuelle se confirme : des arômes de viognier, une dynamique et un équilibre de roussanne!... Clin d'oeil de la nature à ce Savoyard, qui fit une partie de ses classes dans le Sud-Est?... A trop aimer ce style de surprise, il doit provoquer un effet papillon d'un nouveau genre, au point que le chenin se fait rhodanien, le temps d'une vendange! Une touche de magie!...

A part ça, là comme dans le reste de la région, 2012 ne se montre pas très exaltant. Sauf exception, les lots sont plutôt dans un mode gourmand, mais la tension est en retrait. L'expression est parfois un brin diffuse, mais surtout diverse, ce qui tend vers une certaine confusion. Les assemblages ne seront pas simples... Cependant, chez Didier, il y a au moins une piste à suivre dans les trois couleurs : blanc, rosé et rouge.

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Parmi les dernières nouveautés, l'un des voeux du vigneron exprimé en 2012 est désormais exaucé. En effet, lui qui aspirait à vinifier quelques ares de grolleau, a enfin trouvé une parcelle (60 ares environ) de ce cépage. Selon ses dires, cette vigne se situe à l'écart, dans un endroit hors du commun, au point qu'il est étonnant qu'elle ne fut pas déjà arrachée par ses anciens propriétaires. Un défi à relever, comme Didier Chaffardon les aime! Avant de prendre le chemin de Beaulieu sur Layon, redécouverte de la cuvée Safran, désormais en bouteilles et du concentré de Layon, toujours en bonbonne, qui devrait porter le nom de Confiturine (tout un programme!), avec ses arômes hors du commun et un équilibre à se damner.

A Beaulieu, rendez-vous avec Babass, au coeur du village, rue Rabelais, la bien nommée. Je le découvre attablé avec Jean-François Chêné notamment, en train d'apprécier une cuvée de blanc de Damien Bureau. C'est l'heure de la pause, avant une séquence décavaillonage, dans une parcelle de Jean-François, située non loin du bourg, à peu près à mi-coteau, au dessus de la rivière. Le dévers n'est pas très marqué, mais tant le réglage de la machine que l'effort physique imposé, impliquent une attention de tous les instants. La taille de cette parcelle n'est pas terminée, mais le vigneron la reporte au maximum, vu sa réputation d'être quelque peu gélive. En fait, elle sera très bientôt taillée en à peine quelques heures, grâce à l'aide de vignerons du cru. L'entraide, un aspect des choses qui n'est pas un vain mot ici.

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Les vignes de Babass, quant à elles, sont situées sur la commune de Rochefort sur Loire, un peu en arrière du plateau sur lequel est implantée la grande antenne de l'émetteur TV, que les visiteurs ne peuvent manquer, dans le paysage qui domine le Layon. La vie du GAEC qui présidait aux destinées du Domaine des Griottes ayant pris fin en 2010, un partage a redistribué les cartes. Sébastien a finalement récupéré 2 ha 40 de vignes dans ce secteur, plantées en 1956 et 1957, où quelques altérations de roches schisto-gréseuses (si l'on en croit e-terroir de Techniloire) côtoient des limons de plateau. Il dispose là d'environ un hectare de chenin, 63 ares de grolleau et 80 ares de cabernet, y compris une petite parcelle de 24 ares (six rangs de chenin - 19 ares - et deux rangs de cabernet) plantée en 1989, par la famille Haquet, frères et soeurs, bien connus dans la région pour être les véritables précurseurs du bio et du vin nature, bien avant l'heure, si l'on peut dire. L'aîné, Joseph, est décédé voilà quelques années, mais on peut découvrir ce reportage assez récent de France 3, consacré à Anne et Françoise, qui ont certes cessé leur activité de vigneronnes, mais qui résident toujours du côté du Breuil, non loin de là.

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On peut penser que Babass se sent un peu l'héritier de ces deux octogénaires qui lui ont confié les arprents de cette micro-parcelle. L'attention qu'il leur porte au quotidien ou presque, en témoigne, lui qui est arrivé dans la région avec ses parents, dans sa plus tendre enfance. A l'adolescence, il a quelques copains fils de vignerons et s'oriente vers la vigne presque naturellement. Il suit quelques modules de formation pour adultes en viticulture et l'aventure débute.

La nouvelle situation impliquait également le recherche de nouveaux locaux. Il a donc trouvé une grange dans un hameau de Chanzeaux, qu'il va pouvoir aménager au mieux, avec salle des pressoirs (verticaux, dont un acheté à Suronde depuis peu) dès que possible, cuvier, espace de stockage... L'ensemble n'est pas rigoureusement hors d'eau (fluctuat nec mergitur!) et la température ambiante quelque peu fluctuante, mais ce dernier aspect n'est pas vraiment pour déplaire au vigneron, lorsque les fermentations lambinent...

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Côté cuvées,il peut y avoir trois ou quatre blancs selon les millésimes : Navine, sec (2500 bouteilles en 2011) et liquoreux, Nuées bulleuses, option pet' nat' et la sélection Joseph, Anne, Françoise, toujours à part et issue de la parcelle de 24 ares. En 2012, Babass souhaitait disposer d'un bon volume de bulles et va donc proposer 3500 bouteilles de Nuées bulleuses. Cependant, la récolte fut si maigre (puis rincée au final!) qu'il n'y aura pas de Navine cette année. 

Pour les rouges, Le Groll'n roll et Roc Cab' (respectivement composé de grolleau et de cabernet, chacun l'aura compris), les raisins sont encuvés entiers dans des cuves de 50 hl :

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"Je ferme bien le chapeau flottant et avec le poids, il y a une partie du raisin immergé dans le jus de tassement. Celui-ci fermente et assure le CO² pour le dessus. On peut donc dire qu'il y a une phase liquide en bas et une phase solide en haut. En 2011, il y avait tellement de jus que tous les raisins étaient immergés, expliquant peut-être une extraction plus traditionnelle. Au contraire, pour 2012, même avec des baies dont la peau était prête à craquer, le jus n'était qu'à la moitié du marc, ce qui donne au vin un côté plus primeur-carbo... Il n'y a pas de chauffage et généralement, on n'a pas beaucoup d'inertie dans la cuve, ce qui favorise une "infusion" plutôt qu'une "extraction" et qui, de surcroît, favorise aussi l'intégration des tannins de la rafle, qui sont néanmoins très intéressants. En plus, sans soufre, on constate une oxydation de l'ensemble des tannins, ce qui lisse vraiment et permet une certaine gourmandise (le côté aubergine confite...)."

La démonstration n'est pas rigoureusement académique, mais elle témoigne d'une grande sensibilité, point extrêmement important pour qui veut produire des "vins naturels" cohérents, en plus d'une part de rigueur au moment des vendanges et au cuvier. A noter que le vigneron de Beaulieu n'est pas un adepte des surmaturités et, de plus, privilégie des rendements moyens qui vont dans ce sens, oscillant entre 25 et 40 hl/ha selon l'année, ce qui parfois peut relever de la performance, lorsque le millésime réclame une attention de tous les instants. Au final, des rouges gourmands avec du caractère, qui séduisent notamment à l'export, vers des destinataires réclamant toujours plus ce type de vins "nature", comme au Danemark ou au Japon, par exemple. Ces vins, que d'aucuns qualifient de borderline parfois, font la démonstration qu'ils sont de plus en plus souvent universels et sans frontière. Pas seulement, parce qu'ils ont quitté leurs attributs conventionnels et qu'ils voyagent sous le vocable "vin de France", mais parce qu'ils aiment marcher pieds nus sur le sable, ne portant parfois qu'un vieux tee-shirt et un bermuda en jean, troué et aux franges délavées... Les "nature" vous gagnent?... Piquez une tête, cet été, ça vous évitera une prise de tête!...