Cette année, il faudra être patient. Facile à dire, lorsque le beau temps est là. Septembre ne compte que trente jours, mais il risque de paraître long à bon nombre de vignerons. Et pas seulement en Anjou et Layon!... Certes, la fin d'été, à l'heure où la cloche retentit dans la cour des écoles, prend de jolies teintes, relevées par une belle lumière propre à ces journées anticycloniques, avec léger vent d'est et atmosphère sèche, mais le souvenir de deux années compliquées en 2011 et 2012, avec baisse de rendement incontournable, est dans les mémoires. Si d'aventure, 2013 pouvait associer un rendement moyen normal et les qualités d'une vendange saine, l'année comblerait d'aise les vignerons. Si, en plus, nous pouvions profiter d'un bel été indien, du genre de ceux permettant de vendanger en marcel jusqu'à la Toussaint (c'est peut-être beaucoup demander là?...), chacun pourra croire, dans les vignes, à sa bonne étoile.

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A propos des mémoires justement, il n'est pas vain de pratiquer quelques retours en arrière, parfois. Les belles journées, comme celles que nous vivons en ce moment, nous font vite oublier, ne serait-ce que le premier semestre de l'année en cours. Tessa Laroche, du Domaine aux Moines, à Savennières, ne manque pas de nous rafraîchir les neurones : "Après la coulure en 2011, le gel de 2012, plusieurs phases ont été perturbées, depuis l'automne dernier. En fait, il fait beau depuis la fleur, le 3 ou 4 juillet dernier, mais avant, il pleuvait tout le temps!..." Et le travail, à la vigne, s'en est trouvé sérieusement bousculé. C'est surtout la présence d'herbe qui le confirme. Pas de coulure à signaler (à l'exception d'une petite parcelle du Parc, jouxtant la Coulée de Serrant qui, pour une raison restant mystérieuse à ce jour, connaît des problèmes depuis deux ans!) et donc, une belle sortie de grappes. Des attaques de mildiou bien contrées, si ce n'est dans la plus jeune plantation, suite à quelques essais de réduction des quantités de cuivre, à savoir 400 grammes de cuivre métal total à l'hectare, au lieu de 900 sur les vieilles vignes. Il est probable que d'autres essais, avec des huiles essentielles notamment, seront inscrits au programme dès 2014. Pas d'attaque sur grappe, même si des traces de mildiou mosaïque ont fait leur apparition sur quelques feuilles, ici ou là. Tessa pense, à ce propos, qu'une importante et régulière rosée matinale, n'est pas étrangère à ce phénomène.

Guère de pluie estivale donc, si ce n'est les 5 ou 6 mm du week-end des 24 et 25 août et surtout les 60 mm tombés dans la période perturbée et orageuse de la fin juillet et du tout début d'août, lorsque la grêle a sévi dans le Bordelais notamment. Des intempéries qui ont certes épargné l'Anjou, mais qui n'ont pas manqué de suggérer la prudence à Tessa Laroche, retardant ainsi les vendanges en vert au maximum. Elles ont débuté depuis peu (ainsi que la suppression des entre-coeurs) et se prolongeront au cours des deux premières semaines de septembre, même si la météo parle de nouveau d'une période orageuse à compter du 5 ou du 6. De toute façon, l'AOP Roche-aux-Moines impose 30 hl/ha et ce n'est pas la présidente de la dite appellation qui sera prise en défaut!...

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Désormais, le domaine compte pas moins de douze hectares en Roche-aux-Moines, depuis les dernières plantations réalisées ces trois dernières années. Ces parcelles ne sont pas cependant livrées à elles-mêmes et Tessa veille à ce qu'un nombre de grappes soit conservé selon l'année de plantation : quatre pour les vignes plantées en 2010, trois pour les 2011 et aucune pour les 2012. Le but étant que la vigne s'enracine et s'installe au mieux. A noter que la dernière est issue d'une sélection massale de vieilles vignes du Parc, sur rupestris. La précédente provient de clones sur riparia. On note la présence de petites grappes composées de petits grains, ce qui augure d'un potentiel de qualité intéressant. On peut d'ailleurs découvrir les premiers jus millésimés 2012, lors d'un passage au domaine, même s'ils sont réservés à une dégustation et à une consommation privées. En 2013, il y en aura bien plus de trois hectolitres, mais en Vin de France, AOP Roche-aux-Moines oblige et le domaine ne proposant pas de Savennières, ni d'Anjou blanc. Mais, il n'est pas dit que ce lot soit distribué. Dommage!...

Cette année, on compte au moins quinze jours de retard dans le cycle annuel "normal". La véraison est en cours sur les cabernet sauvignon, ce qui, en théorie, repousse la vendange des rouges à une date quasi record!... C'est aussi le cas pour les chenin, qui vèrent également petit à petit. Sachant qu'une mise est prévue pour les rouges le 1er octobre prochain, les premiers jours de cueillette devraient se situer entre le 2 et le 4 octobre. Si la pluie survient, la bonne fenêtre pourrait être repoussée, mais par contre, s'il s'agit de petites averses, le processus pourrait être accéléré. En 2012, les vendanges se sont déroulées entre le 18 et le 20 septembre et tout fut vite ramassé avant le 25, date à laquelle les pluies annoncées, plus conséquentes, survinrent. Seules les plus jeunes vignes furent atteintes de botrytis, un élément absolument incontournable, voilà encore peu, "mais, désormais, ici, plus personne n'en veut... sauf exception."

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Belle dégustation ensuite des lots de 2012, millésime qui marque un tournant dans l'histoire du domaine ("Il ne faut jamais dire jamais!"). Si 2009 avait déjà proposé des vins conservant au final une trace de sucres résiduels, ce qui n'est pas en soi particulièrement choquant pour ce qui est de vins de Savenières, naguère demi-secs certaines années, le prochain millésime disponible (mise prévue en mars 2014) se composera de lots ayant subi une fermentation malolactique et d'autres pas et ce, à des moments différents de l'année (décembre ou mars), ce qui n'est pas sans conséquence dans la perception gustative actuelle. Et ceci, quel que soit le contenant et sa position dans le chai, de quoi surprendre la vigneronne, malgré tout ce qu'elle a pu entendre sur le sujet!... De plus, si le parc à barriques se compose jusqu'à maintenant de fûts de 400 litres et d'autres de 300, neuves ou d'un vin, l'avenir se fera uniquement avec les secondes, notamment pour des questions de manipulation. Un choix qui peut surprendre à l'heure actuelle, où la tendance est plutôt inverse, mais la dégustation montre vite à quel point c'est bien la qualité des barriques qui prime, avant même leur volume. Ainsi, les jus issus des vieilles vignes du Parc, élevés dans les fûts de l'Atelier Centre France, gardent une pureté d'expression et une dynamique remarquables, au regard des contenants voisins provenant d'un célèbre tonnelier. De même, un essai sur deux fûts de 400 litres en provenance d'une même tonnellerie, mais l'un disposant de deux fonds de barriques chauffés est assez révélateur du "maquillage" que l'on peut obtenir. Inutile de préciser que l'essai ne sera pas transformé!... Notez que les vins issus du Parc et ceux venant des Ruettes, à l'extérieur, seront réunis séparément, avant l'assemblage final. Enfin, il est très intéressant de déguster à ce stade les bas de cuves, réunis dans une même cuve inox, tant leur fraîcheur et leur spontanéité aromatique révèlent sans doute tout le potentiel du terroir et certaines des qualités du millésime. A noter également que les jus furent soufrés après pressurage, au moment du débourbage, mais pas depuis.

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Voilà qui augure d'un avenir passionnant pour la Roche aux Moines!... Une appellation dont on mesure encore peu l'évolution depuis trois ans et la mise en place du nouveau décret. D'ailleurs, il suffit de faire un tour dans le vignoble pour se rendre compte à quel point le paysage change. Au-delà, la présidente du syndicat local ne peut que se réjouir de constater que la petite dizaine de vignerons et de domaines s'accordent sur une même vue des choses, pour l'essentiel. Mais, la concertation n'est pas absente et, après les vendanges, sera organisée une réunion technique permettant de faire un point et de comparer les expériences. Chacun pourra ainsi s'exprimer sur les éventuelles difficultés rencontrées, mais aussi sans doute, sur les constats rassurants que la méthode n'aura pas manqué d'engendrer. Pourvu que chacun fasse son vin, celui qui lui ressemble et que les amateurs trouvent leur plaisir dans la diversité, même si elle n'est que l'expression d'un petit territoire, sorte de confétis, aussi passionnant soit-il, au milieu des appellations ligériennes. Certes, il ne faut jurer de rien, mais la démarche a fait progresser l'ensemble. Au final, ce "Grand Cru" servira peut-être de modèle à d'autres, plus célèbres, enfermés et engoncés dans leurs certitudes intemporelles.

La journée se prolonge en compagnie de Richard Leroy, à Rablay sur Layon, petit village angevin qui a du réorganiser la circulation de son centre bourg, depuis que les co-auteurs de la célébrissime bande dessinée Les Ignorants reçoivent leurs admirateurs, qui pour une dédicace du dessinateur, qui pour quelques flacons du vigneron. Je peux en témoigner - et Richard avec moi! - le fait que ce village soit à l'écart des grands axes régionaux de circulation a du quand même aggraver le bilan carbone de l'éditeur et des édités. En effet, il ne passe pas une journée sans que le vigneron ne déçoive les visiteurs, lorsqu'il leur annonce qu'il n'a plus aucune bouteille disponible, malgré les kilomètres du détour consenti, pour découvrir la plus bio des communes layonesques. Il faut dire qu'ils l'ont bien cherché, surtout lorsqu'on apprend que la version anglaise a été imprimée à destinations des États-Unis notamment (à quand Michelle Obama, juste sortie de son potager bio, à Rablay?...) et qu'une nouvelle rafale de vingt mille exemplaires, en français cette fois, sort juste, également, de chez l'imprimeur!... Il faut dire ce qui est : Tronches de vin était à New York avant les Ignorants, mais pour ce qui est du nombre de copies, nous sommes battus à plate couture!... Un autre monde!...

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Ceci dit, le vigneron de la Grande Rue (à Rablay, bien sur, pas à Vosne-Romanée!) est loin de perdre le fil du millésime 2013. Du côté de Montbenault et du fait de son terroir plutôt prime, il est rarement en retard pour les vendanges. Il est même souvent un des premiers à embrayer, dans les parages. Il faut bien admettre que cela lui réussit bien, depuis quelques années!... Mais, cette fois, il voit plutôt la fenêtre s'ouvrir début octobre, peut-être à la toute fin septembre... On n'y est pas!... Et, dans le secteur, il faudra au moins attendre le 15 octobre pour les rouges! En fait, 2013 cumule les complications. La pluie et le froid ambiant ont eu leurs conséquences parfois funestes : un petit peu de coulure, malgré la faible charge et la pousse permanente des ronces, nécessitant quelques belles séances de piochage!... Dont une le 27 mai, avec une température de 7°, l'obligeant à se couvrir d'un bonnet qu'il ne porte que rarement l'hiver!... Il va d'ailleurs devoir ressortir la pioche très vite (pas le bonnet!), alors même qu'il rentre de vacances!... Plus tôt dans la saison, au printemps (pourri), ses problèmes se situaient au chai, du fait des températures basses. Les fermentations malolactiques s'éternisant, il dut avoir recours à une batterie de "grille-pain" (pour le plus grand plaisir d'EDF!), afin de maintenir une température ambiante restant péniblement à 16°!... La poooorte!...

Du côté des 2012, en cours d'élevage, on note les rendements plutôt faibles à Montbenault : 17 hl/ha, alors que moins de 5% de la vendange est trié et écarté et ce, malgré qu'il n'y ait plus de manquants désormais. "C'est un peu bas, ça m'interpelle!" Aux Rouliers, en revanche, c'est un peu plus quand même. En 2011, la moyenne se situant pour l'ensemble à 25 hl/ha. Tout le monde en a?...

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Nous dégustons plusieurs lots des deux secteurs. La plupart sont joliment expressifs, mais on note désormais que les jus sont résolument différents : Les Rouliers, avec une souplesse propre aux terres un peu plus lourdes, genre bas de coteau et Les Noëls de Montbenault, sur les cailloux, dense et plus puissant. Rappelons que ces vins sont désormais "zéro soufre" et qu'ils expriment de plus en plus, selon le vigneron même, toute la richesse, mais aussi la diversité et la typicité de ces deux terroirs.

Il ne nous restait plus qu'à passer à table, un moment privilégié chez Richard, tant cette pause permet de faire quelques découvertes passionnantes de cuvées de la région, mais pas seulement. Si vous souhaitez en savoir plus sur la situation pré-vendanges ligériennes, vous pouvez également vous rendre à St Lambert du Lattay, les samedi 7 et dimanche 8 septembre prochains, chez Agnès et René Mosse, qui ouvrent les portes du domaine en grand sur la D160, en compagnie de quelques joyeux lurons et néanmoins top-vignerons : Jean-Marie et Thierry Puzelat, Moses Gadouche et Pascal Potaire, Emeline Calvez et Sébastien Bobinet, Hervé et Isabelle Villemade, Pierre et Catherine Breton, ainsi que Nathalie Gaubicher. Que du beau monde!...