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La Pipette aux quatre vins
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26 avril 2014

Thomas Teibert, Domaine de l'Horizon, à Calce (66)

On peut dire que c'est le petit dernier de l'Ecole de Calce!... Le dernier arrivé s'entend, parce que pour ce qui est du niveau actuel des vins, il arrive désormais très haut dans la hiérarchie locale. Une sorte de club amical, dont la plupart des membres revendique son goût prononcé pour le cinéma dialogué par Audiard, au point de proposer chaque année, dans leur petit village, une réunion qui vaut le détour : Les caves se rebiffent, comme ce sera le cas le 10 mai prochain, avec quelques invités extra-catalans de talent. A coup sur, une journée entre gens de bonne compagnie chez Les Tontons Flingueurs, qui n'hésitent pas, pour l'occasion, à dégainer à coup de calibres de 75 et Touchez pas au grisbi, sauf pour vous procurer quelques flacons qui pourraient bien vous mettre la dalle en pente!...

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Thomas Teibert est allemand. Et pas autrichien, même s'il est distributeur exclusif (et oenologue) pour la France des célèbres cuves Stockinger et des remarquables verres Zalto, le tout issu de ce pays d'Europe centrale. Il l'est également d'ailleurs, pour la Tonnellerie Boutes, notamment pour le nord de l'Italie. Une région de l'Europe qu'il connaît bien, puisqu'il était régisseur de la Tenuta Manincor, au bord du lac de Caldaro, en Alto Adige, lorsqu'il découvre, à l'occasion d'une dégustation en 2003, les vins de Gérard Gauby, le maître d'école justement. Il n'a jamais vu de vins du Sud comme ceux-là!... Il est positivement impressionné, parce que ce jour-là, les vins de Gauby sont au-dessus des grands Bourgogne et grands Bordeaux présents. "Je suis alors vraiment scotché par leur fraîcheur et leur minéralité!" Trois mois plus tard, n'y tenant plus, il vient jusqu'à Calce, pour tenter de comprendre ce qui se passe ici et percer le secret!... Mais, comme d'autres peut-être, il tombe littéralement amoureux de la région et en conclue que, "s'il fait du vin, ce sera ici!"

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Gérard Gauby lui propose de venir de temps en temps, pour s'imprégner du lieu et travailler un peu, afin de découvrir l'essentiel des us et coutumes de la viticulture catalane. En même temps, son contrat en Italie évolue vers du consulting. le vigneron de Calce lui explique ce qu'il faut acheter et ce qu'il faut éviter, lui apprenant à bien observer avant de faire ses choix. Il s'installe dès la fin 2004 et va effectuer ses premiers achats de vigne en 2006, pour atteindre aujourd'hui quatorze hectares et une trentaine de parcelles plantées en gobelet uniquement, avec une légère dominante de rouges, ce type de vins sudistes étant souvent réclamés par sa clientèle en Suisse, Allemagne et Autriche. Comme pour la parcelle que nous découvrons sur les hauteurs du village, toutes les vignes du domaine "voient la Méditerranée", d'où le nom de Domaine de l'Horizon. "Calce, c'est comme une île, le plateau d'un volcan..." La plupart des domaines sont dans les collines, à 250m d'altitude et désormais tous en bio, depuis que le Château Lafforgue a franchi le pas voilà deux ans. Seul, la coopérative est en conventionnel.

022Perpignan n'est à guère plus de vingt kilomètres, mais la température ambiante est toujours trois ou quatre degrés plus basse que dans la plaine. De plus, avec la tramontane ou le vent marin et l'altitude, les cépages en gobelet s'auto-sélectionnent et les souches qui résistent au régime assez virulent de la météo locale, sont alors armées pour produire des raisins de qualité. Ceci dit, Thomas Teibert a déjà arraché près de trois hectares depuis son arrivée, toujours des vignes peu productives et ce, après quelques années d'observation. Il faut dire que sur les quatorze hectares, dix sont plantés de vieilles vignes, dans leur configuration classique (1,50m x 1,50m) et quelques grenaches blancs sont même centenaires. Du fait des relatives faibles pentes, les labours sont pratiqués au chenillard. Au niveau de la plante, un effeuillage attentif permet d'aérer la souche de l'intérieur et éviter ainsi, l'essentiel des problèmes de maladies, mais pas à l'extérieur, afin de préserver le style des vins, en protégeant les raisins du soleil direct. D'une façon générale, c'est la biodynamie qui est utilisée, cependant les 500 et 501 ne sont pas préparées au domaine. Quelques tisanes en cours d'année et un épandage de compost tous les deux ou trois ans, sur certaines parcelles, sinon un engrais organique est utilisé si nécessaire. Au fil des millésimes, tout en s'adaptant aux conditions climatiques de l'année, le but du vigneron est de vendanger tôt mais mûr (à peine!), quelque chose qui se joue sur le fil!... Les raisins doivent être croquants, la peau un peu dure et le tout ramassé dès le matin, en petites cagettes, dans le but de conserver des raisins frais. Depuis ses débuts, les rendements n'ont guère dépassé douze à dix-huit hectolitres à l'hectare, ce qui est, avoue Thomas, quelque peu limite...

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Un portail à dominante vert écaillé, des mûrs qui témoignent de la diversité des roches locales, Thomas Teibert est installé dans la "cave des débutants"!... Là-même où Gérard Gauby a produit ses premières cuvées en 1983 et ce, jusqu'en 1997 inclus. C'était l'époque où pas moins de 100 000 bouteilles sortaient de cet espace plutôt réduit!... Aujourd'hui, Thomas ne peut guère dépasser 30000 flacons, malgré les derniers aménagements. "Il y a eu beaucoup d'évolutions pour travailler dans le haut de gamme aujourd'hui..." Avant lui, Olivier Pithon et Jean-Philippe Padié ont également fait leurs débuts dans cette cave. Elle n'est pas classée au titre des espaces "faiseurs de talents", mais elle pourrait bien l'être un jour, par les générations futures de vignerons et d'amateurs!...

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La dégustation qui suit permet au passage à Thomas Teibert d'expliquer en quelques mots, où se situent ses goûts, en matière de vins produits et/ou dégustés. Le Domaine de l'Horizon rouge 2008 (1/3 grenache et 2/3 carignan) lui en donne aisément la possibilité. Il préfère ce type de rouge étroit, venant des trois grands terroirs principaux de Calce (schiste, calcaire et marne), alors que dans la plaine, on trouve plus de sables et de galets roulés. "En 2008, il n'y a pas eu un seul jour à plus de 30°, mais aussi pas une goutte de pluie!..." A l'époque, pas d'extraction, fermentation en cuves bois, pendant deux semaines, sans pigeage ni remontage. "On dirait du pinot!"

Pour ce qui est de 2013, "un millésime que je n'aime pas, peut-être surtout du fait des faibles quantités, moins de 12 hl/ha! Les malos, on ne sait pas si elles vont se faire!..." Au passage, il souligne les contradictions et les difficultés qui se présentent aux vignerons en ce moment, à propos du style des vins : "Si on ne veut ni réduction, ni traces de bretts, on doit très vite écarter les lies, mais pour travailler sans SO2, il faut les conserver!..." Un langage volontiers didactique, qui laisse entrevoir toute la difficulté des choix... et des risques.

012Du côté des blancs, principalement du maccabeu (70%), associé à du muscat petit grain (30%) pour L'Esprit de l'Horizon 2012, issus de vignes ayant entre 25 et 50 ans. Fermentation en bois sur lies pendant neuf à dix mois. Une très jolie touche saline, où le muscat se fait assez discret (il semble qu'il soit plus aromatique en 2013). Pour le Domaine de l'Horizon, association des mêmes cépages dans des proportions proches, avec en plus, du grenache gris issu de vieilles vignes. La fermentation est prolongée de trois mois supplémentaires. Il faut préciser que très peu de vignes de blanc dépassent 70 ans, surtout pour ce qui est du maccabeu. Noter que pour ces vins blancs, le pressurage se fait en grappes entières pendant quatre à cinq heures, "presque sans tourner le pressoir", ce qui permet d'obtenir des jus très clairs. Pas ou peu de turbidité donc, repos pendant une nuit, sorte de "débourbage naturel", puis passage en fûts selon le lot. Sont utilisés des fûts de 500 ou 600 litres, mais également des foudres de 12 ou 20 hl. Un aspect important pour le vigneron, qui privilégie cette sorte de diversité, évitant les expressions trop monolithiques. Chaque parcelle est différente et il faut, si possible, les laisser s'ouvrir dans leur style propre, sachant qu'en plus, l'intérêt est d'avoir, au terme de l'élevage, des vins qui s'expriment de façon singulière et obtenir ainsi un style vivant.

Pour les rouges, une large dominante de carignan (cuvaison en raisins entiers pour un tiers à deux tiers de la vendange), un tiers de grenache (raisins entiers uniquement) et très peu de syrah. Les plus jeunes vignes sont égrappées. Les élevages se déroulent dans des contenants identiques aux blancs. L'Esprit de l'Horizon rouge 2011 se montre un peu sur la réduction (comme ce fut le cas du 2012, dégusté aux Greniers St Angers). Thomas avoue au passage que ce problème de réduction sur les carignans est assez difficile à gérer et que cela reste typique de ce cépage. Ici, les vignes ont une douzaine d'années. Cet assemblage compte aussi 30 à 35% de syrah d'une bonne vingtaine d'années. Une jolie touche saline et minérale, une rétro qui s'ouvre sur des arômes de syrah. Pour ce vin, l'élevage s'est limité à un an en fûts, alors que pour le 2012, du fait des volumes plus importants (17 hl/ha), la moitié des jus passa dix mois en cuves béton sur lies. A noter qu'un rosé en pressurage direct est aussi produit (entre 1000 et 1500 bouteilles selon les années), mais il est destiné, pour l'essentiel, au marché allemand.

027Au domaine, d'une façon générale, tous les vins sont filtrés, parce qu'avec le recul, Thomas Teibert estime que la non-fitration génère plus de problèmes que d'avantages. Certes, les vins non filtrés conservent du "gras", mais lui préfère les vins plus serrés. De plus, il n'est pas obnubilé par la façon dont les vins se dégustent lors de la première année de bouteille. Un sujet très polémique dans un domaine qui n'en manque pas!... A ses yeux, il en va de même du "sans soufre", dont il n'est pas friand. Il est cependant fan des vins d'Overnoy, "mais les bons vignerons sont rares"!... Surtout ceux capables de produire des vins constants, réguliers.

Pour ce qui est du SO2, les vins du domaine se situent entre 40 et 60 de soufre total et entre 10 et 25 de libre. Sur certains blancs, on note 25 de libre à la mise et 50 de total, sachant qu'au bout de quelques mois, les 25 sont devenus 15!... Des mesures qui semblent très acceptables pour le vigneron.

Comme on peut le deviner, Thomas Teibert n'est pas homme et encore moins vigneron, à céder aux effets d'une quelconque mode. Il ne veut surtout pas non plus, proposer des vins marqués par une méthode, quelle qu'elle soit. Pas de langue de bois non plus, pour ce qui est de l'origine des chênes, chez quelques tonneliers, pas plus que pour la biodynamie, qu'il a adoptée depuis longtemps. Au calendrier biodynamique et ses jours fruit, racine, etc... il préfère de loin se fier aux grands rythmes de la Lune, montante ou descendante, mais surtout, associer cela à la pression atmosphérique, point essentiel à ses yeux. On le voit, s'il fait partie intégrante de la communauté calcéenne, il sait faire valoir ses idées issues de réflexions personnelles approfondies et chaque sujet important a est abordé le plus objectivement possible. Il faut dire qu'avec vingt-cinq ans de vécu, vignes et caves, son recul est des meilleurs. Il admet volontiers que ses vins ont évolué avec lui et avec ses propres goûts, depuis qu'il est arrivé à Calce. Aujourd'hui, il essaie de faire des vins qui lui ressemblent, ainsi qu'à sa terre, sans qu'il soit nécessaire de tenter d'en copier d'autres. Mais, il n'est pas impossible que ces cuvées remarquables en inspirent d'autres, en Roussillon ou ailleurs.

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