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La Pipette aux quatre vins
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La Pipette aux quatre vins
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8 mai 2014

Domaine Danjou-Banessy, à Espira de l'Agly

Que de changements au domaine, en à peine quelques années!... Au cours de deux passages précédents, en mars 2008 et fin 2009, nous avions pu découvrir quelques petites merveilles proposées par ce domaine familial, bien ancré sur les berges de l'Agly quasi-maritime, très différent du Haut-Fenouillèdes. En novembre 2011, lors d'un passage du vigneron, cette fois, au Chai Carlina, à St Jean de Monts, bien connu des ReVeVineurs, nous prenions connaissance du chambardement en cours au domaine : nouvelles cuvées de terroir, mise à disposition de quelques trésors, option rancios, etc... Depuis, Benoît Danjou a indiscutablement pris confiance (la paternité récente?), lancé de lourds travaux au niveau des bâtiments, continué à sillonner la campagne environnante pour découvrir de nouveaux terroirs, projeté de futurs aménagements, en vue de partager sa terre catalane avec ses amis, le tout, bien soutenu par son épouse, aidé d'autre part par Sébastien, son prof d'anglais de frère (en "double activité" aménagée grâce à un proviseur arrangeant!) et boosté par quelques jolis succès et commentaires flatteurs, ici ou là, sans qu'il n'en perde pour autant la tête!...

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Nous voilà partis pour un tour d'horizon des parcelles et terroirs. Certains semblent abordables pour le commun des véhicules, mais Benoît nous invite à prendre place dans un 4x4 collector qui laisse à penser que les chemins à emprunter ne sont pas tous carrossables... Le vigneron veut nous montrer ses dernières découvertes situées dans un endroit hors du commun : Les Escounils. Des parcelles dans la forêt, à flanc de montagne, comme une langue de terre gagnée depuis des lustres sur la végétation, des terrasses successives, des banquettes, un terme qui convient peut-être mieux, le tout orienté nord-ouest/sud-est. Pas besoin d'être devin pour imaginer à quel point ces terres sont exceptionnelles. Au total, douze hectares de très vieilles vignes, lâchés par un grand domaine de la région et repris par trois vignerons du cru, dont Benoît Danjou.

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Des grenaches blancs et gris, comme cette parcelle de 80 ares et de plus de 90 ans (ci-dessus). De nombreux manquants certes, mais une bonne reprise de la vie, grâce notamment à la biodynamie (quelques essais en cours) et le travail d'un sol argileux, ou la roche calcaire affleure parfois. Nous sommes là entre 200 et 250 mètres d'altitude. Certaines des dites banquettes sont plantées de muscat, dont certains non taillés depuis deux ans. L'objectif, pour ces zones, est de racheter la terre, arracher, semer des céréales et ensuite replanter, lorsque le temps sera venu, parce que ce sol semble être excellent pour les blancs, avec une forte minéralité probable, même pour les rouges, présents par complantation des trois grenaches notamment. Ici, on trouve trace de schiste en plus du calcaire, mais aussi de grès rose, avec quelques chênes-lièges en bordure de la forêt et moins de pins. On note aussi la présence de galets ronds ayant peut-être glissé dans la pente, au fil des siècles et millénaires. En fait, la démonstration de toute la variété des sols d'Espira de l'Agly, ce qui incite le vigneron à travailler à la parcelle, avec désormais pas moins de dix à douze cuvées, "histoire de faire plaisir à l'imprimeur!..."

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Le domaine compte actuellement une vingtaine d'hectares, dont trois à quatre en fermage (un hectare sous les Truffières). Parmi cet ensemble, pas moins de six à sept hectares de muscat, base historique de bien des entités de la région. Aujourd'hui, 90% des raisins de ce cépage sont destinés au négoce. Le vigneron avoue qu'il se demande s'il consomme lui-même, en famille, plus d'une bouteille de Muscat de Rivesaltes par an!...

Après avoir découvert le secteur dit des Terres Noires, au nord-ouest du village, en compagnie de Lucien Salani, retour dans cette même partie de la commune, qui offre quelques micro-terroirs et autant de nectars. C'est dans le bas du coteau que se situe le secteur de La Truffière (1 ha). Des sols argileux sur un socle calcaire. Nous sommes là juste à la limite d'une zone de schistes et de calcaire qui se chevauchent dans le sous-sol. Ce dernier réserve quelques surprises, si l'on en croit le chasseur de trésors que Benoit a croisé là un jour, armé de sa poële à frire (un détecteur de métaux, bien sur), qui disait avoir trouvé là nombre de pièces romaines. Il semble qu'un cimetière romain soit identifié ici, en profondeur, non loin d'une voie romaine passant jadis dans ce paysage.

038Au sud de la petite route, la parcelle de carignan complanté, Les Myrs (1 ha), reprise en fermage, donne de grands espoirs aux deux frères Danjou, avec des sols de schistes et de marnes. En face, La Truffière, avec 33 ares de carignan gris (La Truffière blanc), carignan noir et grenache (La Truffière rouge), cuvées connues pour leur finale saline et leur tension. Les grenache n'ont pas moins de 60 ou 70 ans, les carignan noirs au moins 80, dont la plupart sont dans la famille depuis plusieurs générations.

Autres vignes familiales sur les mamelons proches, L'Estaca, 55 ares de grenache noir (80 à 90%) complanté, sur des marnes et du schiste (présence de mica et d'éléments ferrugineux). Dans la contre pente, orientée nord-ouest, L'Espurna, 55 ares de cinsault, sur un sol très sec, avec une majorité de quartz. Pendant quatre ans, Benoît a tenté de planter pour combler les manquants, mais ici, rien ne pousse!...

Nous continuons à grimper dans le coteau. On y trouve de vieux muscats, âgés au moins d'une soixantaine d'années, chose plutôt rare pour un cépage qui est souvent arraché dès qu'il atteint trente ans. A proximité d'un petit mas, restauré dans quelques années sans doute, pour permettre aux clients du domaine de goûter... le paysage et quelques cuvées autour de quelques grillades, une parcelle qui pourrait relever d'un conservatoire des variétés rares de vigne : 300 pieds de jaumet (ou jaoumet), appelé aussi la Madeleine de Jacques ou le St Jacques. Un cépage pour le moins prime, puisqu'il mûrit à la mi-juillet, le saint se fêtant le 25 de ce mois. En fait, le premier raisin de bouche cultivé en France, sur échalas, avant même le chasselas de Moissac. Particularité de ce cépage, il prend bien l'oxydation. A prévoir donc au domaine avant longtemps, un essai de vin de voile, comme il se doit, pour ce passionné d'oxydatifs et de rancios!...

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Les parcelles de maccabeu les plus hautes dans la pente ont été arrachées. Pas de plantations programmées là, mais peut-être seulement quelques semailles. A terme, elles pourraient être dédiées au rêve qui se construit doucement dans l'esprit de Benoît Danjou : une exploitation viticole qui s'orienterait vers une polyculture vivrière!... Ici, il se pourrait bien qu'on trouve avant longtemps quelques vaches de l'Albera, la massanaise, dont on a retrouvé quelques rares spécimens non loin de Banyuls. Une race, abandonnée au profit de la charolaise produisant le double de viande, mais qui est tout à fait adaptée au climat et à la sécheresse de la région. Et qui, quelque part, porte toute la fierté sanc e or, aspect des choses auquel le vigneron d'Espira ne peut rester insensible.

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Au final, il est intéressant à plus d'un titre de découvrir tout l'aspect géologique (du moins, pour ce qui est des sols) et les composantes terriennes du travail et des choix d'un vigneron. Benoit Danjou admet volontiers que s'il était à Calce, par exemple il aurait sans doute une autre vue des choses, parce que là-bas, il faut jouer avec la pluralité des sols dans certaines parcelles. Ici, on peut, d'après lui, jouer et tenter d'optimiser le duo terroir-cépage, faire valoir son identité, notion très recherchée de nos jours, notamment parce que ses ancêtres, à force d'obervations, ont déterminé ce qu'était la meilleure option, parmi de multiples possibles.

Le domaine est certifié bio depuis trois ou quatre ans (label Ecocert), sans que ce soit affiché sur la contre-étiquette. "Cela n'a pas changé grand chose pour nous, au domaine. On l'a fait un peu sous la pression de certains importateurs qui aiment produire des documents sur le sujet. Et puis, de toute façon, c'est bien ceux qui sont en chimie qui devraient le mettre sur l'étiquette!..."

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En dégustant le premier vin, Coste 2012, un 100% maccabeu bien armé pour être une belle mise en bouche, nous évoquons avec les deux frères la grosse évolution commerciale du domaine en quelques années. Voilà peu, Danjou-Banessy était surtout connu dans les P-O, un peu à Lyon et sur quelques tables à Paris. Désormais, les cuvées, au volume très limité parfois, ont franchi quelques frontières, mais plutôt vers des pays limitrophes, surtout parce que Benoit et Sébastien tiennent à un bilan carbone le plus positif possible. Ils sont désormais bien diffusés en France, sauf dans le Grand Ouest, qui est un peu le parent pauvre. Tant pis pour les amateurs et les gastronomes bretons et ligériens!... Il faut savoir que les Danjou sont très attachés également à la qualité des relations qu'ils peuvent avoir avec leurs diffuseurs. Certains ne manquent pas de participer aux vendanges et sont devenus des amis. Pas question de laisser partir les cuvées du domaine dans n'importe quelles mains!...

056Lors de cette séance de régalade, c'est l'occasion, pour Benoît Danjou, de faire une sorte de profession de foi, la sienne, celle qui le porte chaque jour. Ce jeune homme a du carignan catalan dans les veines, n'en doutons pas!... "Le plus souvent, les grenache sont vinifiés en vendanges entière et les carignan égrappés. Mais, il n'y a pas de recette type, on s'adapte au millésime! Parfois, tout est non égrappé, une autre fois, on égrappe partiellement. Le grain est important, mais la rafle aussi. Pendant les vendanges, on goûte tout, tous les jours! On est présents dans toutes les parcelles. On y passe énormément de temps, mais on croque le raisin!... Quand on le croque ce raisin, c'est sucré, forcément. Or, le sucre annihile tous les arômes. Donc, on sépare la pellicule, les pépins et la pulpe, c'est important!..." Ce qu'on appelle peut-être des pré-vendanges chirurgicales?...

"Il faut goûter tout séparé. Dans la pulpe, on va avoir la densité du vin. Dans la pellicule, ce sera la qualité des tannins. Les pépins, quant à eux, on ne les croque pratiquement pas. On s'est aperçu, contre l'avis des oenologues, que lorsque le pépin est marron chez nous, en visuel sans le goûter, le grain est déjà en surmaturité et d'est trop tard!... Ces oenologues prônent encore dans le département, de récolter à maturité phénollique, terme inventé par les scientifiques et à contre-courant de ce qu'on veut faire au domaine!... La maturité phénollique d'un grenache noir en 2006 se situait à 17°, dans certains endroits! Ce n'est plus de la maturité, mais de la surmaturité, avec des arômes de Maury, de Rivesaltes ou de Banyuls, ce n'est plus un rouge!..."

"On a déjà vinifié des vins secs à 17 ou 18° même, avec au final, aucun sucre. Qui peut dire que tel ou tel fruit est mûr?... Je ne dis jamais ça. Je dis seulement : ce raisin, il me plaît, c'est avec ça que je veux faire mon vin et on va aller le cueillir dès demain! Pour moi, un vin rouge, c'est du fruit rouge! On s'accroche trop à certaines choses dans le sud. Après, il y a toute la complexité d'un terroir derrière, mais pour moi, ce n'est pas du fruit noir compoté. Les goûts, ça reste subjectif. Certains vont préférer des peaux plus acidulées, d'autres plus sucrées, mais nous, on fait nos vins avec nos sens. On goûte avec méthode et on prend une décision. Ce n'est pas du hasard!"

057De plus, Benoît nous l'avoue : "2012, c'est un des plus beaux millésimes que j'ai eu la chance de faire!" La Truffière blanc est déjà abordable et d'une belle pureté. On passe ensuite au "ploussard catalan"!... Les Myrs 2012, dont c'est le premier millésime. Un vin qui a passé quatorze mois en fûts anciens. Un carignan très très vieux, pour lequel une extrémité de la parcelle est en marcottage, l'ensemble se passant fort bien de soufre. Selon le vigneron, un carignan travaillé à contre-courant de nombre de ceux qu'on trouve dans le sud, ni robuste, ni lourd. Une belle touche florale, un croquant qui propose une belle acidité. Des sols avec moins de calcaire cependant et plus de schistes ferriques. De la griotte, pour une belle pureté de fruit. Voilà un carignan qui pinote!...

Un travail en levures indigènes bien sur, aucune filtration même sur les blancs, ces dernières ayant très vite été abandonnées après un seul essai, il y a près de dix ans!... A suivre, Espurna 2011, le nom catalan de l'étincelle provoquée par la pioche sur le quartz, du cinsault dans un autre style, plus sudiste sur ce millésime, entre fruits rouges et noirs, après un élevage de 22 mois dans un seul demi-muids. Plus de richesse, de matière, même s'il ne s'agit que d'infusion, en mouillant le chapeau, lors des vinifications et plus du tout d'extraction. Cette matière qui se fait à la vigne, le credo du vigneron. Celui-ci qui s'offusque parfois, lorsqu'il entend dire des vins du Languedoc-Roussillon que ce sont des rouges qui tâchent. "Pour ce qui est du Roussillon en tout cas, dans la vallée de l'Agly, la roche-mère affleure dans les vignes, on est en contact avec le minéral et cela doit équilibrer les forces, avec la climatologie qu'on a. C'est bien le but!..."

Parmi les nouveautés, Les Mirandes 2011, une cuvée d'exception, genre explosive! Une vigne de syrah plantée près d'une carrière de roc de mirande, une roche quasi basaltique, un schiste plein de petits mica, dont on garnit les ballasts des voies ferrées. Pendant les travaux à la cave, les ouvriers y ont laissé quelques perceuses, les mûrs étant parsemés de cette roche indestructible. Ca goûte du diable!... Du fumé, de l'encre de seiche, du graphite!... Ma doué!... Selon le vigneron, une parenté quasi certaine avec certains St Joseph sur granite, même si on n'a pas encore trouvé trace de cette roche sur la parcelle.

Estaca 2011 (le piquet ou le tuteur en catalan) : de l'infusion encore, mais souvent, de la vendange entière foulée aux pieds par le vigneron (qui n'aime guère les macérations carboniques, sauf pendant l'été, sous la tonnelle, lorsqu'elles viennent du Beaujolais!), dans une petite cuve, dans laquelle le contenu des petites caisses de raisins est introduit petit à petit, pour éviter toute trituration et l'astringence qui peut en découler. Infusion de deux à trois semaines, puis les jus écoulés par gravité dans un demi-muids (dans les très bonnes années, une barrique de 500 litres et une autre de 228 litres en plus), soit 5 à 7 hl sur un demi-hectare!... Du grenache à 90%, avec une belle structure tannique due aux rafles, à la fois aérien et robuste. Des notes de fraises écrasées, marqueur habituel du cru et un soupçon de pétale de rose. Du grand art!...

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Et de grands vins de gastronomie aussi, point important qu'il ne faut pas négliger pour les vins de ce domaine, qui ont désormais leur place sur les plus grandes tables et les cartes des vins les plus réputées. Avec Benoît Danjou, on devine que nous sommes là en présence d'un vigneron qui sait prendre ce succès récent (coup de coeur de la Revue du Vin de France pour le millésime 2008!) avec ce qu'il faut de recul. Inutile de céder à un dithyrambe par nature excessif, ce ne serait pas la meilleure façon de le mettre à l'aise. Mais, il sera sans doute le plus heureux des vignerons, si vous prenez un peu de temps pour découvrir ses vignes en sa compagnie. De toute façon, il sait bien, question de gènes sans doute, que son métier est très exposé à divers risques, notamment les plus naturels et qu'il faut donc sans cesse se remettre en question, chercher de nouvelles voies, explorer. Ça tombe bien, le Roussillon est un formidable terrain de jeu pour ce genre d'explorateur. N'hésitez pas à vous mettre dans ses pas!...

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Commentaires
F
Bonjour,<br /> <br /> Suite à l'article paru dans "L'Indépendant" du 21 mars dernier je viens de découvrir avec beaucoup d'intérêt votre site.<br /> <br /> Vous développez de façon très compréhensible le travail et surtout l'amour de la terre et plus particulièrement de la vigne et du vin.<br /> <br /> Fils de viticulteur, j'ai apprécié votre approche de "cette culture" de ce noble métier de viticulteur.<br /> <br /> Je suis un inconditionnel des vins "rancios", et je souhaite savoir s'il serait possible de pouvoir vous rencontrer, afin de les déguster et d'en acheter bien évidemment .<br /> <br /> <br /> <br /> Dans l'attente de votre réponse , et vous en remerciant par avance , veuillez croire Monsieur à l'assurance de mes salutations les plus distinguées.<br /> <br /> <br /> <br /> Joseph
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