On a besoin parfois de mener sa vie comme une course d'obstacles, celle-ci s'imposant à nous selon les circonstances. Mais, à Pleine-Selve, petit village de Gironde à la limite de la Charente-Maritime, François Décombe, vigneron de son état depuis 1994 sait aborder les haies qui se présentent à lui. Dans sa jeunesse, il était cavalier-soigneur!... Avant qu'il ne soit obligé de se tourner vers la vigne auprès de son oncle, pour faire face aux exigences de la vie. Sur ce territoire qui sépara, au fil des millénaires, les Santons des Bituriges, les duchés de Gascogne et du Poitou, les provinces de Saintonge et de Guyenne, découvrons le Château La Haie et ses 6,5 ha du Blayais, désormais au coeur de la Nouvelle-Aquitaine administrative.

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Nous sommes là dans la partie la plus septentrionale du vignoble bordelais, mais aussi du secteur que l'on appelle désormais Blaye-Côtes de Bordeaux. On peut qualifier cette partie du Blayais lui-même de secteur de St Ciers sur Gironde, séparé de l'estuaire de la Gironde et du secteur de Blaye, par un marais assez étendu, peu propice à la culture de la vigne. Mais, les premières pentes offrent des croupes argilo-graveleuses ou sablo-argileuses assez intéressantes. De prime abord, on peut supposer que la viticulture locale a définitivement un caractère artisanal, de par le fait qu'elle voisine avec une agriculture plus variée. Cependant, il existe quelques propriétés de grandes tailles, obéissant à une logique économique exigeante. Le prix de vente à la bouteille impliquant alors des vendanges mécanisées et des rendements élevés, par exemple. Sur les 6940 hectares de l'AOC Blaye-Côtes de Bordeaux, les rendements autorisés sont de 52 à 65 hl/ha pour les rouges et de 62 à 72 hl/ha pour les blancs (source Wikipedia).

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L'artisanat en matière de vignoble et de production de vin existe cependant. Il est un peu, vis à vis des célèbres châteaux bordelais, ce que l'ébéniste est à Ikéa, si on peut se permettre ce raccourci de langage. L'écart se creuse inévitablement, de par le coût des investissements notamment, chaque année plus lourds. Curieusement, ces extrêmes ont trouvé un point de convergence, surtout depuis ces dernières années, au cours desquelles le climat fait désormais plus qu'inquiéter les actionnaires et les propriétaires des grands domaines : l'approche bio, voire l'adoption de la biodynamie gagnent du terrain à Bordeaux, mais il convient de rester prudents et vigilants. Ceux qui pratiquent depuis longtemps la méthode savent que certains opportunistes et même quelques responsables de syndicats envisagent de surfer sur ce qu'ils qualifient de "mode", un changement de cap essentiel pour ce qui est de la qualité de la production et son authenticité, ainsi que pour la protection et la sauvegarde de l'environnement, la santé de tous les intervenants, de la vigne au chai et même au voisinage immédiat des propriétés. Ne pouvait-on pas entendre récemment, lors d'un week-end portes ouvertes, un vigneron expliquer que son domaine était à la fois "en [lutte] raisonnée et en biodynamie"?!... Sauf à négliger le sens des mots ou à le modifier, on peut penser que ce discours pourrait être tenu par d'autres et devenir un argument essentiel de la communication de certains, ceux-ci partant sans vergogne du principe que leurs visiteurs ignorent tout, pour la plupart, des exigences d'une "approche bio", l'emploi de ce seul mot de trois lettres suffisant à rassurer une population sous l'emprise de certains discours médiatiques, perdant chaque jour qui passe, tout sens critique.

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Voici donc un artisan-vigneron, au sens magistral du terme : François Décombe, à la tête de 6,5 ha de vignes à St Palais et St Ciers sur Gironde, tous cépages compris, à savoir sauvignon et ugni blanc d'une part, cabernet sauvignon et merlot d'autre part. Un artisan et un vigneron donc qui s'étonne, depuis deux ans, de découvrir les constats que ses voisins en conventionnel peuvent faire. Ainsi, certains sont contraints de se précipiter à vendanger pour cause de maturité quasi explosive, les raisins atteignant 15° avant la cueillette, alors que dans ses vignes, le vigneron de Pleine-Selve situe ses prélèvements entre 12,5 et 13° maximum, ceci lui permettant de patienter jusqu'à la bonne maturité, rafle et pépins compris. De la même façon, d'importantes attaques de mildiou, comme celles constatées ces dernières années, semblent être mieux contenues que chez certains vignerons en conventionnel. Il s'agit là d'ailleurs d'un constat fait également dans d'autres régions (Muscadet, Anjou, pour ne citer que celles-là).

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On imagine ce qu'une installation, au milieu des années 90 dans les "Côtes de Bordeaux" peut supposer de difficultés. Surtout quand on a tout à apprendre, ou presque, en matière de viticulture. Depuis 1991, année du gel noir, les millésimes "difficiles" se succèdent et chacun rentre la tête dans les épaules. Il faut donc se faire une place dans le paysage et ces trois ou quatre années peu enthousiasmantes vont permettre à François Décombe de se faire la main, bien assisté par son oncle, qui lui permettra rapidement de louer, voire d'acheter quelques vignes. Jusqu'en 2000, le travail à la vigne est des plus conventionnel, comme tout un chacun dans la région de Blaye, ou presque. Cette année-là, il croise quelqu'un qui l'initie au bio et fait quelques essais. Dès 2002, il en augmente la proportion et débute la conversion de l'ensemble en 2004, y compris en Demeter, suite à une rencontre fin 2003 avec Paul Barre, pionnier de la méthode dans le Bordelais.

24232056_10214775935209950_1396950840161644493_nA cette époque là, il a pris ses marques et commence à envisager certaines décisions déterminantes. Arracher une parcelle d'ugni blanc qui compte de nombreux manquants, planter une très belle parcelle de sauvignon blanc de quarante ares, qui a désormais quinze ans environ, sur un sol sablonneux, avec un peu d'argile, parfois compacte, bordée d'une belle friche (la sauvegarde de la faune sauvage locale est un véritable leitmotiv pour le vigneron) et un peu à l'écart des autres vignes très conventionnelles.

François Décombe n'est en rien belliciste. Il sait qu'il est relativement isolé et ne cherche pas à provoquer ceux qui n'ont jamais abordé le bio. Certaines autorités locales lui ont parfois laissé entendre qu'il devait se soumettre à certaines règles (densité de plantation, tenue des vignes, rognage...), au risque de perdre l'agrément indispensable pour revendiquer l'appellation d'origine protégée. Un aspect auquel le vigneron tient fermement, surtout au moment où il peut presque évoquer une notoriété grandissante, lui permettant d'écouler une bonne partie de son stock (son très joli blanc sauvignon-ugni est très vite indisponible), après les premières années au cours desquelles il a fallu batailler. Mais, nous y reviendrons.

Autre secteur, non loin de là, plutôt en pied de coteau, avec des sols bien filtrants sur des argiles blanches. Au total, 3,5 ha, essentiellement plantés de merlot (65% du total des rouges du domaine) et d'un peu de cabernet sauvignon. Un très bel ensemble avec une friche au coeur des espaces plantés et même un point d'eau, que le vigneron s'est bien gardé de combler, malgré les suggestions de certains de ses voisins, au risque de voir les vignes basses inondées, en cas de fortes pluies. Comme si le tracé des rigoles conduisant à des fossés plus importants, puis au marais proche n'était pas là pour quelque chose et pour la bonne sauvegarde du paysage!...

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Un troisième secteur enfin, classé quant à lui en appellation Bordeaux, 50 ares de cabernet sauvignon plantés voilà trois ans, avec Lilian Bérillon. Une vigne qui donne beaucoup d'espoir au vigneron. On devrait dire "déclassé" tout en bas de la hiérarchie des AOC par le syndicat local, pour cause de proximité avec le marais, mais cette "sanction" concernant également une autre parcelle proche, ne semble pas véritablement appropriée. Il en est ainsi des bizarreries administratives...

24232271_10214775936689987_146121964068305174_nVoilà donc de quoi faire une belle découverte dans le "Bordelais d'en bas"! Celui qui se trouve justement dans les "Hauts de Bordeaux", tout au nord!... Lorsque l'on parle avec François Décombe, il n'est pas rare que l'on évoque aussi ses débuts, notamment pour les aspects commerciaux. Au moment de son passage en bio, puis en biodynamie, la logique était d'augmenter ses prix. D'autant que les vins étaient précédemment proposés en vrac et que la première mise en bouteille impliquait de fait un surcoût. Mais là, les conséquences sont immédiates : toute la clientèle ancienne déserte et tourne le dos au vigneron!... Il prend alors son bâton de pélerin, avec l'aide un agent opérant sur Paris et découvre le "Bordeaux bashing" pratiqué par toute une catégorie de professionnels, dont certains restaurateurs qui ne proposent plus de vins de Bordeaux sur leur carte depuis bien longtemps!... Le genre de constat encourageant, lorsque vous débutez!... Ceci dit, gageons que désormais, les choses ont un peu évolué. Seuls peut-être certains "Grands Crus" ont à se plaindre de la façon dont certains les traitent. Mais, sont-ils vraiment en phase avec ce que l'on attend, verre en main?...

Avec le Château La Haie, il y a donc quelques jolis vins à découvrir. Pour ce qui est du blanc, comme indiqué ci-dessus, il est des plus rares!... Voyez au printemps prochain, et tentez votre chance dès la mise. Du côté des rouges, deux belles surprises, avec tout d'abord, le Bordeaux 2014, 80% merlot et 20% cabernet sauvignon, élevé dix-huit mois en cuve béton, agréable et joliment équilibré, mais aussi le Blaye 2016, 100% merlot, qui n'est resté en cuve que douze mois (au lieu de dix-huit habituellement), pour cause de stock épuisé des millésimes précédents. Après les gels de 2016 et 2017, on comprend aisément qu'il est important de rester présent sur le marché. Quoiqui'l en soit, ce Blaye est une petite merveille de fruit, avec des arômes de cassis exubérants, une densité et un équilibre tout à fait remarquables. La prime aux interventions des plus réduites, au cours d'une vinification qui s'est très bien passée et d'une sélection particulièrement attentive dans les parcelles.

A Pleine-Selve, chez François Décombe, rien de rutilant donc. Tout se passe dans une sorte de minimum vital où pourtant, tout est mis en oeuvre pour produire des vins sincères et droits. Finalement, c'est peut-être bien cette catégorie de vigneron-artisan qui fait honneur à Bordeaux.