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La Pipette aux quatre vins
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La Pipette aux quatre vins
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19 décembre 2018

Liber Pater existe, je l'ai rencontré!...

Voilà quelques mois et même quelques années, que l'approche novatrice de Loïc Pasquet m'interpelle. Quelque chose que l'on pourrait sous-titrer façon retour vers le futur!... Avec, en arrière plan, la recherche quasi utopique, du moins considérée comme telle par les tenants d'un classicisme gustatif peu novateur, de vins qui ont vraiment "le goût du lieu" et pas seulement celui de cépages anciens, voire des temps pré-phylloxériques. La plupart des passionné(e)s, professionnel(le)s ou non, n'accumulent des données offertes à leur mémoire, que pendant trente ou quarante années, quelques rares fois plus. Mais, cette passion pour la dégustation engendre, pour certains, cette question subsidiaire : quel était le goût des vins au XVIIIè siècle, lorsque sont apparus ces domaines viticoles médocains notamment, dont la hiérarchie basée sur leur réputation et leur prix de vente à Bordeaux, à Londres ou sur quelques autres places, allaient déboucher (le mot est-il adapté?...) sur le célèbre Classement de 1855?...

48402825_10217856136453056_3240987647321047040_nLiber Pater, avec ses quatre hectares actuels, n'a pas, stricto sensu, pour objectif d'inonder la planète!... Et ce n'est pas le total de sept hectares visé, à terme plus ou moins lointain, par le vigneron, qui bouleversera la donne future!... D'autant que, malgré la plantation en franc de pied à 20000 pieds/hectare, le rendement actuel ne dépasse pas 10 hl/ha et, selon Loïc Pasquet, pourrait atteindre au mieux 20 hl/ha.

Après un premier passage, début 2017, sur "l'île de Villagrains" (bien connue au Lutétien, il y a 43 millions d'années...) sur laquelle se situe, de nos jours, la petite commune de Landiras et que le vigneron s'attache à planter de nombreux cépages, bien au-delà de ceux qui régissent les décrets d'appellation actuels, il me tardait de déguster ces premiers jus issus de castets et autre tarnay, ainsi que les cabernets et petit verdot non greffés.

Il faut rappeler, si nécessaire, que le vigneron installé au coeur des Graves a, depuis ses premiers achats de vignes en 2004, déclenché quelques tempêtes sous les crânes et dans le landerneau bordelais. Lui qui faisait partie de ceux devant révolutionner Bordeaux, selon la Revue des Vins de France en 2014, notamment par un aspect qui, fatalement, allait faire grincer des dents, à savoir le prix de vente, a depuis échappé de peu à l'échafaud que certains légalistes du cru lui promettaient... Mais, qu'on ne s'y trompe pas, l'homme, s'il a su faire face et se battre, garde la marque de ces années difficiles et une finale amère, qui ne sera pas cependant la caractéristique principale de ses vins du futur.

Après avoir mis sur le marché, dès les premières années, quelques bouteilles produites sur la base de vignes greffées et de vins élevés en barriques, fussent-elles haut de gamme façon Taransaud (un choix qui aurait pu s'avérer risqué au regard de son objectif actuel), et défini pleinement sa stratégie marketing sur laquelle il peut s'appuyer désormais, Loïc Pasquet semble avoir retrouvé une certaine sérénité, sans se départir néanmoins de sa combativité, qu'il ne peut se permettre de perdre de vue. Mais, en cette fin d'année 2018, il retrouve le sourire à la lecture d'articles parus récemment dans la presse nationale* et en voyant d'autre part, son agenda se remplir de multiples rendez-vous, notamment avec certains éminents conseillers ès-vinification de la région, ne pouvant ignorer cette démarche innovante. Rassurez-vous, je ne me range pas dans cette catégorie, ce qui ne m'empêche pas d'apprécier le moment!...

48365121_10217856138693112_3985097263998304256_nCar voilà, il faut bien dire qu'évoquer mes précédents contacts avec le vigneron et sa démarche, ne manquait pas jusque là de soulever une certaine forme de suspicion : "Mais enfin, vous avez déjà goûté à Liber Pater?..." Une question parfois entendue, qui cachait mal la perplexité, pour le moins, de mes interlocuteurs. Loïc Pasquet prend tout cela avec humour, notamment lorsque je lui fais remarquer que Liber Pater et lui ont les mêmes initiales... "Il ne faut pas y voir une quelconque forme de mégalo! C'est comme Emmanuel Macron et En Marche!..." Il en va de même avec les échos entendus çà et là, de ses projets de construction de chai!... "Il paraît qu'il en fait construire un façon pyramide?..." En fait, surpris d'avoir rendez-vous à son domicile en fin de journée et donc, ne pouvant découvrir cette supposée oeuvre architecturale, je constate amusé que le vigneron est, en fait, en train de rénover une maison ancienne au coeur du village de Podensac (celui-ci remontant à l'époque gallo-romaine, plusieurs couches apparaissant sur les fondations), celle-ci permettant d'y aménager à terme une salle destinée à recevoir tous les contenants d'élevage, au rez-de-chaussée, alors que, pour le moment, ils sont entreposés à l'étage, auquel on accède par une échelle métallique façon accès à la Mer de Glace!... Déguster Liber Pater, ça se mérite!...

Sur ses quatre hectares de l'anticlinal de Landiras-Villagrains, les vignes greffées ont été désormais toutes arrachées, pour laisser place à des plants francs de pied de cabernet sauvignon, petit verdot, cabernet franc, castets, saint-macaire et tarnay. Cette année, tous les blancs initialement plantés ont été également arrachés, mais devraient faire leur retour ultérieurement, quand certains aspects réglementaires seront résolus. Au total, pas moins de 25000 pieds, tous cépages confondus, vont être plantés en 2019.

Pour ce qui est des élevages, Loïc Pasquet a la conviction que les barriques conviennent mieux aux vignes greffées. Il en a fait l'expérience pendant quelques années, sans se départir de l'impression "d'aromatisation" des vins par le bois, fut-il bien choisi. Avec les premiers jus issus de francs de pied, il lui a paru évident qu'il devait les installer, pour deux ans environ, dans des dolias d'origine italienne. Celles-ci sont en grès, dont l'intérieur est revêtu d'un matériau ressemblant à du verre. S'il n'y a pas de contact avec la matière de base, elles sont néanmoins poreuses et permettent de maîtriser l'apport de 4 mg d'oxygène par litre et par an.

48374413_10217856144933268_7842149870591803392_nPassons donc ensuite, à la dégustation de ces jeunes vins d'à peine trois mois, qui vont me permettre d'approcher ces rares nectars. Je m'attends à quelque piège, malgré les dires de mon hôte. Le premier échantillon est d'une finesse au nez et d'une pureté de fruit pour le moins notable. Il s'agit d'un cabernet sauvignon, apte à construire la colonne vertébrale du vin final. Ensuite, quelques centilitres de castets, profond et élégant. Le troisième ("il n'y a pas de piège!") est un petit verdot, dont on perçoit la structure et la charpente devant contribuer à la solidité de l'ensemble. L'ultime verre est un assemblage à la pipette des trois premiers, plus un peu de cabernet franc, un soupçon de saint-macaire et de tarnay. "C'est un proto Liber Pater, millésimé 2018!..." Le tout est d'une grande pureté et doté d'un toucher de bouche remarquable. Tout semble en place, sensation renforcée par la complexité du vin malgré sa jeunesse. On a le sentiment que le vigneron touche au but, celui que sa clientèle lui a fixé, dans sa recherche de "vins fins et purs", malgré la jeunesse des vignes!...

Ne nous y trompons pas, ils seront peu nombreux à apprécier ce vin après la mise, en 2020 ou 2021!... Et même si Loïc Pasquet espère en mettre deux mille bouteilles de par le Monde!... Ce nombre de flacons disponibles pourra-t-il tempérer la flambée des prix?... C'est peu probable. Après deux années blanches (2016 et 2017), où le gel a anéanti la récolte espérée (le vigneron s'est doté depuis d'un système antigel indispensable pour son terroir très frais), une autre année de lutte contre le mildiou, au cours de laquelle les traitements au cuivre furent nombreux et où l'idéalisme fût battu en brèche par le pragmatisme indispensable en de telles circonstances, le millésime 2015 arrive sur le marché et les prix s'envolent!... A peine 550 bouteilles produites (dont quelques-unes qu'il souhaite garder pour ses enfants) forcément très contingentées (12 par pays!) et les enchères battent des records!... Déjà apparu dans les vingt premiers vins les plus chers du Monde, Liber Pater devrait aisément grimper quelques échelons!... Au point que le vigneron refuse désormais certaines surenchères récentes!... Tout en se préparant à apposer sur ces bouteilles, une étiquette... d'une grande symbolique, à l'occasion du 170è anniversaire du Classement des Crus Classés de 1855!...

Décidément, certains pourraient qualifier cette démarche de "brutale", tant elle nous ébranle sur nos fondements d'amateurs de vins et de dégustation, voire de consommateurs. Qui sont ceux qui peuvent mettre sur leur table de telles bouteilles?... C'est peu de dire à quel point le fossé se creuse d'une extrémité à l'autre de notre société et les évènements récents nous l'ont rappelé... Pour un peu, on s'inquiéterait pour Loïc Pasquet, tant il nous parait inconcevable, à minima le plus souvent, d'imaginer être l'auteur d'une telle production et garder la tête froide. Pourtant, d'autres produits viticoles ou créations artistiques ont déjà atteint de tels sommets, faut-il le rappeler?... Vaste sujet, que vous pourrez aborder avec lui, peut-être, si vous vous inscrivez à la prochaine Étape du Tour, réservée aux cyclotouristes affûtés et qui se déroulera dans les Alpes, l'été prochain. "J'y participe tous les ans! C'est un moyen pour se fixer des objectifs sportifs, afin de rester en forme. Pour faire de la "haute viticulture", cela demande une grosse énergie. Il faut avoir une très grande forme, ce que me permet le vélo! Je reste affûté, c'est nécessaire. Dans les vignes, je marche dix à quinze kilomètres par jour. Nous avons les mêmes contraintes qu'un sportif de haut niveau sur une saison. Il faut une très grande forme physique et un très gros mental pour passer les épreuves de la saison..." En attendant, sachez que d'autres domaines bordelais ont choisi d'opter pour la plantation de cépages anciens, tel le Château Cazebonne, du côté de Langon. Il se mumure même que le célèbre Château Latour aurait planté du castets!... Affaire à suivre!...

*: voir aussi le livre de Jacky Rigaud et Jean Rosen, Le Goût retrouvé du vin de Bordeaux, paru cette année aux Éditions Actes Sud.

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