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La Pipette aux quatre vins
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La Pipette aux quatre vins
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17 avril 2019

Baléares : Pla i Llevant, de Manacor à Algaida

On peut considérer que le coeur agricole de Majorque est bien là, dans cette plaine qui s'étend de Manacor à l'est à Algaida à l'ouest, en y intégrant les communes de Porreres et de Llucmajor notamment, soit sur une étendue de trente kilomètres sur vingt-cinq environ, composée donc du Pla et limitée par la Serra de Llevant, une série de petite collines la séparant du rivage. Du point de vue strictement viticole qui nous intéresse, la Denominacion de Origen Pla y Llevant est apparue en 1999, voilà vingt ans donc. Elle regroupe dix-neuf communes et on y recense treize bodegas et soixante dix viticulteurs, sur un total de 444 hectares. Une région calme, aux paysages apaisants, avec ses routes étroites qui mènent à différentes exploitations agricoles ou à un habitat plutôt éparpillé. Et qui donne aussi la possibilité de découvrir des vigneron(ne)s passionné(e)s, qui y effectuent un remarquable travail depuis des décennies.

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~ Francesc Grimalt, 4 kilos Vinicola ~

Cap sur Felanitx tout d'abord, petite ville à une quinzaine de kilomètres de la mer et des jolies calanques de la côte est, que vous pourrez atteindre en vous faufilant entre les collines de la Serra de Llevant et découvrir ainsi Portocolom, Cala d'Or et autre Cala sa Nau. De Portocolom, le port de Felanitx, des quantités considérables de vin et d'alcools issus de la distillation furent exportées au XIXè siècle, notamment vers la France, faisant de ce secteur de Majorque un des centres les plus importants de l'activité viticole. Mais, le phylloxera ruina la région en à peine quelques années.

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Francesc Grimalt n'a pas encore cinquante ans, mais avec un peu plus de vingt-cinq ans d'expérience dans le monde du vin, notamment majorquin, il peut être considéré comme un référent en la matière. C'est d'ailleurs ce que pense de lui nombre de ses confrères. Il a sans doute consolidé cette expérience par une réflexion approfondie sur beaucoup de sujets évoquant la culture de la vigne, la production de vins et les limites d'un art, la viniculture, dont il puise tous les ferments dans le sol natal de son pays et de son village. Sans doute pense-t-il qu'il n'y a pas forcément de limites en la matière d'ailleurs, pour peu qu'on prenne les choses par le bon bout. En 1994, il crée Anima Negra avec deux autres "fous du vin", comme on les qualifie alors. L'objectif clairement affiché est de rendre leur lustre d'entan aux cépages indigènes, notamment le callet, à cette époque, un aimable faire-valoir du cabernet sauvignon, par exemple. Un quart de siècle plus tard, Francesc est considéré comme à la base de sa réhabilitation dans l'île de Majorque et sans doute, son plus éminent spécialiste, quitte à bousculer les à priori.

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Le début des années 2000 va installer en lui, la volonté de passer à autre chose, de donner à sa passion une autre dimension. Les évènements se déroulant dans le vignoble espagnol continental ne manquent pas de l'interpeller. C'est l'époque où, jusqu'en 2006 principalement, se multiplient les projets parfois pharaoniques de construction de nouveaux chais, dont l'étude est alors confiée à d'éminents architectes, en Ribera del Duero, Rioja ou Priorat notamment. Francesc ne manque pas alors de s'interroger : "Est-ce la solution pour produire de grands vins?..." Sa perplexité est grande, mais pour lui, "le plus important, c'est le vignoble et le vigneron!"

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En août 2006, se forme un duo de choc, sur la base d'une franche amitié et d'une solide confiance. Francesc Grimalt et Sergio Caballero créent 4 kilos Vinicola. Le second est un musicien barcelonais et fondateur du festival Sonar, de musique avancée et d'arts mutilmédias. Il prend en charge la gestion de l'image de la nouvelle société et la création des visuels. Pour le reste, la production de vins, Francesc a les mains libres. "C'est sans doute mieux quand les deux partenaires ne sont pas dans le même secteur d'activité..." En guise de mise de départ, les deux amis mettent au pot deux "kilos" chacun. Un kilo, dans le langage commun populaire, c'est un million de pesetas, dans l'ancienne monnaie de l'Espagne. Soit quatre millions de pesetas pour lancer le projet, environ 24 000 euros, ce qui est très peu, au regard des sommes faramineuses englouties dans certaines wineries à cette époque.

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Pour les vendanges 2006, 4 kilos produit son premier vin en s'installant dans le garage d'un autre vigneron, avec peu de ressources mais d'excellents raisins. Fermentation et vinification se déroulent en partie dans un tank à lait et des barriques ouvertes de 225 litres. Après un élevage de quatorze mois, le vin est lancé sur le marché. Dès 2007, ils procèdent à diverses plantations et convertissent une vieille ferme ovine en petite cave. A partir de ce moment, Francesc donne libre cours à sa réflexion et à toute sa sensibilité. Le cépage n'est pas une fin en soi, mais le concept repose plutôt sur la combinaison variété-sol-climat-vigneron. Dans une des parcelles à proximité de la cave, une sélection de soixante pieds issus d'une sélection massale en provenance de différentes parties de l'île a été multipliée. On trouve là entre 60 cm et 2 mètres de sol, ce qui permet de mesurer les effets de l'un et de l'autre sur la plante. De la même façon, si des cépages tels que callet, mantonegro et gorgolassa étaient complantés naguère, cette plantation permet d'associer cépage primeur et sol tardif, ou inversement, afin de tenter d'uniformiser les maturités. De plus, une grande attention est portée sur le type de sol. Les variétés locales étant plantées de préférence sur ce qu'on appelle ici cal vermell, des argiles rouges colorées par l'oxyde de fer ce qui, à priori, leur procure un plus de concentration. Les sols plus argileux sont réservés au cabernet ou à la syrah.

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Mais, les grands axes de travail de Francesc Grimalt prennent plusieurs directions. Tout d'abord, l'agroforesterie, "un mouvement important en ce moment!" Dans certaines parcelles, on trouve désormais différentes variétés d'arbres (amandiers, abricotiers...) mais aussi des légumineuses et même de la lavande. Il s'agit d'alimenter et de préserver la biodiversité des sols vinicoles. Depuis une douzaine d'années, le vigneron de Felanitx s'est donné aussi quelques libertés, sur la base d'une idée essentielle : c'est la qualité des raisins qui commande, dans toute leur variété et les composantes propres à chaque millésime. Ainsi, les élevages peuvent varier, tant pour ce qui est du type et de la dimension du contenant que de la durée. Aucune règle n'est fixée, c'est le vin qui donne le la!... Pour donner toute cette liberté aux vins, le vigneron dispose désormais d'une cuve de fermentation en béton naturel produit avec le sol de Majorque et tous ses constituants, parfois même des restes de végétaux issus de la terre, que l'on distingue en s'approchant. De la même façon, les amphores en céramique utilisées sont produites sur l'île.

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Dehors, la tramuntana souffle fort, au point qu'il est difficile de rester hors les murs. On déguste deux ou trois vins, forts de leur personnalité. Francesc Grimalt évoque ses débuts, mais aussi quelques rencontres déterminantes (Gérard Gauby, Cos, Occhipinti...). En collaborant et en achetant des raisins à plusieurs vignerons (dans un rayon de 10 ou 12 kilomètres autour de la cave, mais aussi à Binissalem), il mesure toute la difficulté pour les producteurs de passer le temps voulu dans les vignes, au regard de ce que leur impose la démarche en bio qu'ils ont choisie. "Cette quantité de travail de bureau est un problème!..."

Surpris, depuis mon arrivée, de ne trouver aucune vigne plantée sur les quelques coteaux environnants, le vigneron me confirme que c'est cette plaine argilo-calcaire qui a toujours été privilégiée et ce, depuis des siècles et même des millénaires!... La montagne est trop dure à travailler, très calcaire et réservée aux oliviers. De plus, on peut considérer que la brise, soufflant ici assez souvent, a un effet proche de ceux constatés sur une vigne plantée à 300 mètres et plus. Ce n'est donc pas une option pour le futur. Si Francesc Grimalt a contribué, au cours de ces dernières années, a une évolution importante de la qualité des vins produits sur Majorque, on perçoit chez lui quelque inquiétude, quant à l'arrivée récente de nombre d'investisseurs. Les prix d'achat de raisins pratiqués par ces derniers pourraient laisser apparaître quelques difficultés. Le défi relevé à l'aube du nouveau millénaire, de remonter la qualité des vins, en engendre peut-être un autre. Il faut souhaiter à ces vignerons d'y faire face avec conviction et sincérité. Et à nous, de croiser la route de ces cuvées!...

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~ Can Majoral, à Algaida ~

Un très joli domaine là encore, où deux générations s'activent sur les deux parties du vignoble, l'une au nord, Son Reus, sur la route de Pina, l'autre, Son Roig, au sud du village, vers Llucmajor, au pied du Puig de Galdent, qui culmine à 420 mètres. Apparu en 1979, Can Majoral est né de la passion du père de Mireia Oliver, sans que l'on sache vraiment s'il y avait à la base une quelconque stratégie, qui ferait du domaine un des excellents référents de la région. S'agissait-il d'une expérimentation, d'un divertissement?... Quelques années plus tard, le projet est devenu grand, notamment parce qu'il s'est aussitôt inscrit dans une démarche respectueuse de l'environnement.

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Le domaine s'étend aujourd'hui sur dix-sept hectares, le plus souvent composés de ce sol d'argile chargé d'oxyde de fer, le cal vermell, notamment pour la partie dite Son Reus. Pour Son Roig, il s'agit plutôt de sols argilo-calcaire, où les vignes, sur un sol légèrement ondulé, sont souvent entourées d'amandiers, de figuiers et de rares caroubiers. Pas moins de quatorze cépages y sont plantés à ce jour. L'ensemble est contrôlé par le CBPAE (Conseil Baléar de la Production Agricole Écologique), organisme de contrôle public, chargé de veiller au respect de la réglementation européenne 2092/91, concernant les produits biologiques. Can Majoral fut le premier domaine viticole certifié dans ce cadre aux Baléares et le second en Espagne. Les bâtiments, construits grâce aux efforts de toute la famille, sont disposés de façon harmonieuse et pratique. A noter, un chai à barriques enterré et climatisé, que l'on atteint par un étroit escalier en colimaçon, afin de mener au mieux les élevages, installation plutôt rare à Majorque.

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Après m'être laissé guider dans une partie du vignoble par Andreu, le cousin de Mireia (Andreu est aussi le prénom du père de Mireia, fondateur du domaine), un large tour d'horizon me permet de découvrir une bonne partie de la production. Dans la gamme "Can Majoral", les huit cuvées disponibles sont proposées en appellation Pla i Llevant. Au passage, le terme de "Majoral" n'a rien à voir avec le patronyme familial. En fait, il s'agit d'une sorte de surnom attribué à la famille depuis des décennies, voire des siècles, évoquant souvent l'activité reconnue d'un ancêtre. C'est une façon de désigner tous les membres de cette famille, à travers le lieu où ils vivent. C'est aussi une tradition plutôt répandue aux Baléares.

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On commence par la gamme dite Butibalausi. C'est le nom que donnaient les Maures à Son Reus, avant le XIIIè siècle et la conquête chrétienne. Le blanc 2018, en DO Pla i Llevant également, se compose de chardonnay additionné de prensal et parellada. Un vin très réussi, avec une expression droite et homogène, malgré la jeunesse des vignes. A suivre, dans la gamme Can Majoral, le Giro blanco prélevé sur cuve, avec une jolie personnalité. Fermentation en cuve inox pour celui-ci. Il passe ensuite six mois sur lies fines, puis est mis en bouteilles au printemps. Galdent 2017 illustre le soin apporté aux élevages. Il s'agit là d'un viognier. Pressurage après une macération pelliculaire de huit heures, puis fermentation en barriques neuves avec contrôle des températures à 16°. Sur lies pendant six mois, avec batonnage. Reste pendant un an en cave après la mise. Est-ce le point déterminant? Le vin est en place et l'expression ne montre aucune exubérance, ni variétale ni boisée. A noter que seules les levures indigènes sont utilisées.

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On passe ensuite à Gorgolassa 2017. Vinification en cuve inox avec de légers remontages, puis chapeau immergé pendant deux semaines à 25°. Après la fermentation malolactique, élevage de neuf mois en barriques de 500 litres de chêne français pour 70% du volume, le reste passant en céramique. Là encore, une belle expression et une sensation de pureté. Pour le Callet 2016, même process de vinification que le précédent, si ce n'est que seulement 20% du volume est passé en céramique et toujours le sentiment d'un vin pur et droit. Enfin, avec Turgent 2014, on passe à la gamme sensiblement plus puissante, notamment du fait de ses 15°!... Vinification voisine des deux premiers, si ce n'est que la macération avec chapeau immergé a duré trois semaines et que l'élevage est de douze mois en barriques neuves et d'un vin de chêne français. Indiscutablement, un bel ensemble, avec certainement une approche très fine et nuancée du potentiel de ces vins et, au final, une gamme très cohérente. Pour conclure, citons Idris al-Yamân, un des rares poètes musulmans évoquant la terre de Majorque : "Les verres étaient lourds quand ils sont arrivés à nous, mais en se remplissant de vin pur, ils se sont allégés et étaient sur le point de voler avec leur contenu, tout comme les corps sont allégés avec les esprits."

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~ Toni Gelabert, à Manacor ~

Une maison posée sur la plaine, au milieu des vignes. Je ne pouvais passer à côté de ce domaine figurant sur ma short list, d'autant qu'il était situé à trois cents mètres, à vol d'oiseau, de mon hébergement pendant cette semaine!... Petits inconvénients : la forte tramontane de cette matinée et le fait que je ne parle pas espagnol, alors que Toni Gelabert ne parle pas anglais!... Les langues, les langues, que diable!... Je pousse la porte du petit cuvier et me retrouve face au vigneron en compagnie de deux ou trois de ses employés, en train de prendre une petite collation et une boisson chaude, vu le ressenti à l'extérieur. Il me demande de patienter quelques minutes et me rejoint ensuite devant la porte principale.

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Il s'agit donc là d'un petit domaine qui ne dépasse pas six hectares actuellement. Il a été créé en 1979. Comme pour le cas de Can Majoral, tout a commencé par une sorte d'expérimentation basée sur la passion du vin et sur l'idée qu'il était possible de produire ici de jolies cuvées. Petit à petit, avec le soutien de sa famille et de ses amis, Toni Gelabert a donné une plus grande dimension à l'ensemble. En 1999, alors qu'est créée la DO Pla i Llevant, le vigneron de Manacor fait construire cette nouvelle cave dite des Trois Ermites, sur ces terres de Son Fangos. Dans cette plaine calme, le vigneron trouve la lumière, le vent, l'eau et l'énergie propres à ce secteur de Majorque.

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De très nombreuses variétés (quinze si je n'en ai pas omises!) vont être plantées au fil des ans, tant locales qu'étrangères. Les vignes sont palissées, mais toutes sont taillées selon la méthode du cordon de Royat. Toni Gelabert a très vite opté pour une viticulture écologique, s'appuyant notamment sur les phases de la Lune, puis en adoptant les préceptes de la biodynamie (non certifiée). En quelques mots, on sent le vigneron en phase avec l'énergie du lieu, qui semble encore plus concrète, un jour de forte tramontane. Nous avons du mal à converser vraiment, mais j'apprends quand même qu'il dispose d'une "petite vigne très spéciale" du côté de Colonia de Sant Pere, petit village donnant dans la Baie d'Alcudia, dans le nord de l'île. Une sorte de jardin secret, sans doute...

Les vins de Toni Gelabert (quatorze cuvées actuellement) se sont taillés une excellente réputation depuis quelques années, mais au hasard de diverses conversations, l'homme semble avoir aussi l'image d'un excellent vigneron, prenant particulièrement soin de ses vignes, au point que certains n'ignorent pas que l'on peut faire chez lui de très belles sélections massales, notamment avec les variétés indigènes, toutes présentes ou presque. Indiscutablement, un personnage au fort caractère, mais que quarante années de viticulture majorquine ont renforcé dans ses convictions et les moyens à mettre en oeuvre, pour atteindre une belle qualité de produits authentiques et sincères. Prenons désormais la direction du nord et de Binissalem pour en découvrir d'autres aspects.

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