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La Pipette aux quatre vins
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9 avril 2021

Gel printanier dans le vignoble : une fatalité?...

Par le plus grand des hasards, je me suis trouvé dans le vignoble bordelais, voilà trente ans, du côté de St Emilion, Pomerol et Fronsac, au lendemain du 21 avril 1991, jour connu pour être celui du gel noir. Ne cherchez pas de bouteille du millésime 91 dans votre cave, elles sont infiniment rares!... Après trois très belles années (88, 89 et 90), la sanction climatique venait de tomber!... Les conséquences n'étaient pas forcément les mêmes qu'aujourd'hui, parce qu'un tel phénomène, même s'il était bien connu et redouté des vignerons, n'était pas encore répétitif, comme c'est le cas, lors de ces dernières années. On craignait tout autant les orages de grêle, les pluies soutenues au moment des vendanges, les tempêtes dévastatrices lors de la période de la fleur... Pour certains, depuis 2016, tout s'est déréglé. La conjonction d'hivers souvent très doux, des débourrements de la vigne souvent remarquables dès les premiers jours chauds fin février ou courant mars et pour certains, l'influence de dérèglements plus systémiques (températures élevées aux pôles, évolution des courants marins notamment dans l'Atlantique Nord...) sont les critères d'une évolution qui ne manque pas d'inquiéter et dont certains effets (pluies automnales diluviennes, fortes tempêtes...) peuvent être associés aux observations faites par les uns et les autres.

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En 1991 donc, comme on peut le constater sur ces premières photos, le bilan visuel était catastrophique. Très peu de pieds furent épargnés, d'autant que la lutte, telle qu'elle s'organise aujourd'hui (bougies de paraffine, pailles humides brûlées...) n'avait pas cours. A peine connaissait-on les éoliennes, quant aux hélicoptères, les très grands crus médocains allaient être bientôt les seuls à pouvoir en user. Le bilan humain était de ceux qui laissent des traces, de par les images d'un paysage planté de ceps noircis par le gel implacable, comme brûlés par un souffle venu d'ailleurs. Ce matin-là, nous le passions sur la Rive Droite et avions rendez-vous avec Maryse Barre, au Château Pavie-Macquin. Sa voix était pleine des trémolos de son émotion, face au désastre, elle qui tentait alors de mettre en place la biodynamie à la propriété (ils étaient rares à cette époque-là!), en compagnie notamment de Stéphane Derenoncourt, arrivé depuis peu dans la région. Tout d'abord peu conscients des conséquences, nous fûmes gagnés par ce désarroi et cette émotion. Nous comprenions, même débutants en matière de dégustation et d'approche du vignoble, que la vie de vigneron, même si elle mérite d'être vécue, est soumise à tout un lot d'incertitudes, dont certaines remettent en cause le travail d'une année, voire plus, en quelques minutes. Je crois qu'en quittant Pavie-Macquin ce jour-là, j'avais décidé de créer La Pipette, alors modeste et très artisanale publication, non pas pour parler uniquement de dégustations comparatives ou évaluer les différentes parutions en librairie, mais pour aller à la rencontre de ceux qui ont fait de la vigne et du vin, leur vie de passion et de frisson, de joies et de peines.

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J'ai donc repris la plume (le clavier cette fois!) pour contacter de nouveau tous ces vignerons croisés dans diverses occasions, souvent réjouissantes et savoureuses. Je ne m'attendais pas à des réponses rapides, spontanées, tant ils étaient tout d'abord dans l'action et dans cette lutte acharnée pour sauver ce qui pouvait l'être. Je sais aussi que d'aucuns préfèreraient cacher leur peine, leur désarroi, parfois leur colère contre tout ce qu'on suppose être à l'origine de cette évolution climatique qui a quelque chose d'implacable. Mais, l'un des premiers à me répondre fut Julien Guillot, du Domaine des Vignes du Mayne, à Cruzille (71). Il m'a envoyé le message ci-dessous, dans lequel il me semble deviner une forme d'espoir, malgré le tourment d'une nuit et d'une journée terribles, quand le constat vous laisse presque sans mot :

"Salut Philippe, je suis content de te lire ce soir. Pour l’instant le chaos est tel que je n'ai plus de réflexion. Tout perdre par le gel n'est même plus une forme d'injustice ou quoique ce soit dans le genre. Nous sommes comme tous les paysans du monde face au mythe de Sisyphe, qui n'est pas du tout un mythe mais bien une réalité : L’ÉTERNEL RECOMMENCEMENT! Qu'est-ce qui est important? Quels sont les gens qu'on aime? Ce sont surement les vraies questions. Tous autant qu'on n'est, malgré l'éducation et la bienveillance réciproque, nous ne sommes que des voyageurs solitaires qui se croisent et dans le meilleur des cas se rencontrent. Je suis très admiratif du lien que tu souhaites souligner dans toutes ces vies parallèles de vignerons. En tout cas j'espère et compte sur toi pour en faire une compilation intelligente, ce dont je ne doute pas une seconde, mais surtout réjouissante pour accepter l'inacceptable. Avec toute mon amitié. Julien."

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Les mots sont forts. Ils pourraient être ceux de nombre de vignerons de toutes régions, qui ont eu à subir ce coup du sort. Et il pourrait y en avoir d'autres, de ces nuits glaciales!... Alors justement, c'est plus tôt que certaines années. Peut-on espérer dans les contre bourgeons?... Je n'en parle pas en expert, bien sûr... Les échos aperçus, lus et vus sur les réseaux sociaux notamment, tout au long de cette journée, laissent craindre le pire pour certains. Comme souvent, tout le monde ne sera pas à la même enseigne. Certains mesurent le poids d'une telle calamité, mais tentent de se tourner vers l'avenir, comme Olivier Humbrecht, en Alsace, par exemple, non sans admettre que la chance d'un impact moindre est inscrit dans la règle de ce jeu cruel : "Nous avons eu des températures allant de -1,5 à -2°C mardi et mercredi matin, donc des températures supportables par la vigne. Seul le cépage Gewurztraminer avait vraiment débourré dans les vignobles précoces (Turckheim) d’environ 1cm. Les températures plus faibles à partir de samedi dernier ont fortement ralenti le débourrement ailleurs. Il y a peut-être quelques dégâts sur les jeunes plants, sur les vignes qui n’ont pas été buttées pendant l’hiver (ce n’est pas notre cas, nous buttons fortement les vignes), autrement, nous avons eu beaucoup de chance…"

D'autres évoquent la difficulté d'avoir une bonne stratégie, tout en rappelant qu'il est difficile d'adopter celle qui répond durablement au problème. Ainsi, Rémi Branger, au Domaine de la Pépière, au coeur du Muscadet : "Point difficile à faire... Hier matin, nous avons gelé sur une partie du domaine... Nous avions acheté l'an dernier des bougies pour protéger une partie du vignoble. L'idée était de protéger 3 ha (sur les 42 dont on dispose, même si cela ne fait pas beaucoup, c'est déjà un début!) et de disposer de deux jeux de bougies, soit une protection de deux fois dix heures environ. Hier matin donc, nous les avons allumées vers 5h. La nuit dernière devait être plus calme, nous ne pensions pas avoir besoin de nous lever.... et nous avons allumé les bougies ce matin à 2h30. Une grosse partie de la matinée, avec l'équipe, a été occupée à mettre en place le deuxième jeu de bougies, car le premier était complétement utilisé. La nuit dernière a finalement été plus froide que celle d'avant, le gel est monté plus haut sur nos parcelles... Nous sommes inquiets encore pour la nuit de lundi prochain, elle risque d'être froide, humide et longue... Si c'est le cas nous ne disposerons plus de bougies et nous serons à la merci des froids suivants, car nous sommes encore bien loin des saints de glace!... [ndlr: 11, 12 et 13 mai] Concernant les phénomènes météorologiques, nous avons depuis quelques années un réveil beaucoup trop précoce par des températures trop hautes pendant une dizaine de jours. Ce phénomène n'existait pas autrefois ou se passait bien plus tardivement. Pour les options contre les gelées, il y en a très peu : les bougies en sont une, mais certaines d'entre elles dégagent beaucoup de fumée (entrainant probablement bientôt des problèmes de voisinage...), les éoliennes fixes en sont une autre. Pour avoir discuté avec des amis vignerons, quand elles ont été mutualisées, le bruit de celles-ci pose aussi des problèmes quand elles sont en action plusieurs nuits durant. Pour les habitations à proximité cela correspond à avoir en permanence le bruit d'un hélicoptère!... Notre vrai questionnement, en tant que vigneron, est de savoir si ce phénomène va continuer à se produire et surtout dans quelle proportion?...  Combien d'années de gel pour combien d'années sans gel?..."

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Alors, que faire?... On peut difficilement taxer les vignerons de manque de réflexion quant à leur devenir. Dans nombre de contrées et sous nombre de lattitudes, ceux-ci ont analysé les conséquences des fortes chaleurs estivales, au point de rechercher de nouvelles parcelles en altitude et à privilégier quelques versants nord plus frais. Etait-ce un risque au regard des printemps actuels?... Ainsi, les vignerons insulaires en Corse, mais aussi à Majorque et en Sardaigne connaissent depuis cinq ans, parfois plus longtemps, ces descentes d'air froid, orientées au nord-est (qu'ils nomment souvent mistral d'ailleurs), possiblement problématiques, quand la douceur des journées précédentes faisait oublier l'hiver encore si proche. Ces jours-ci, il se confirme que la Corse (catastrophe générale annoncée à Figari, dégâts à Patrimonio, chez Antoine Arena notamment, mais sans doute beaucoup plus largement) et les Baléares (Can Majoral) sont touchées. Du côté des vignerons sardes, voyons ce qu'ils en pensent. Tout d'abord, Piero Carta, qui dispose de 1,5 ha de malvoisie sur trois parcelles, tout près de la côte Ouest, en deux épisodes : "Chez nous aussi, il y a ce problème... En deux jours, la température a chuté de quinze degrés! Et il y a du vent, du mistral. Je pourrais avoir des problèmes..." Puis le lendemain : "Voilà, le gel a frappé une de mes trois parcelles! Cette vigne est gelée à 40% et il risque de faire froid encore la nuit prochaine. J'essaie de protéger la plante avec de la zéolite. Avec Pedro Marchi (Sa Defenza, voir ci-après), nous faisons des essais avec le macérat de chanvre, après le gel. Il faut donner une charge hormonale à la vigne, afin de la faire réagir. On essaie ainsi d'encourager les bourgeons dormants, pour qu'ils développent des parties vertes, pour remplacer celles qui sont brûlées par le gel. Même s'ils ne sont pas fructifères, au moins, ils permettent de garder la plante en vie... De toute façon, maintenant, la zéolite et le kaolin servent à protéger la plante de l'humidité qui, avec les basses températures, devient de la glace."

Du côté de Pedro Marchi, dans le sud de la Sardaigne : "La dynamique de la météo a changé et nous devons nous habituer à ce changement, en observant et en réagissant en conséquence. Chez nous, l'année dernière, le gel a fait plus de 50% de dégâts! Des dommages plus faibles cette année, mais il reste du froid à venir... Depuis deux ans, j'essaie le macérat de chanvre, mais c'est encore très expérimental. Cependant, l'an dernier, cela m'a donné des résultats étonnants. Attendons pour avoir quelques certitudes..."

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Au sud-ouest de l'île, Enrico Esu précise : "Il faut savoir que le risque de gel printanier a toujours été présent, peut-être a-t-il récemment augmenté un peu, allant jusqu'à frapper à la fin du mois d'avril. Traditionnellement, sur les gobelets, on faisait la taille en deux périodes : la première en décembre, en diminuant la plante, mais en laissant de longs sarments. On taillait quand il commençait à faire froid, puis on finissait la taille à la mi-mars, ne laissant que les bourgeons pour la production. De cette façon, on évite d'avoir, à cette période, des bourgeons trop longs. A ce jour, ceux-ci sont en phase cotonneuse, donc beaucoup plus résistants au gel éventuel. Cependant, avec le passage à d'autres types de tailles, comme le Guyot, il devient plus difficile de travailler en prévention contre les gelées."

De son côté, Giovanni Montisci, vigneron dans le centre de la Sardaigne, en moyenne montagne, fait davantage preuve de fatalisme, en s'appuyant sur la distribution de ses parcelles : "Dernier jour froid ce jeudi. Nous attendons moins 4! Nous gardons l'espoir! Nous ne disposons pas des moyens de lutte comme en France. Si le gel brûle et ruine les bourgeons, patience... On vendangera lors d'un autre millésime. Toutes nos petites parcelles sont situées dans des zones différentes. En général, il n'y a jamais trop de dégâts..."

Quelques précisions apportées par Alessandro Dettori, dont le domaine est situé près de la côte nord-ouest de l'île : "Il y a des zones de la Sardaigne qui subissent le gel, comme la Gallura, au nord-est, ou le Sulcis, ou vit et travaille Enrico Esu. Un autre secteur souffre du changement climatique : Mamoiada, dans la province de Nuoro, où travaille Giovanni Montisci. Quant à nous, heureusement, nous sommes situés entre deux et quatre kilomètres de la mer et cela nous aide beaucoup! Le minimum constaté cette fois : 3°C!..."

En guise de conclusion provisoire, d'autres informations viendront sans doute compléter cet article prochainement, tout en remerciant également ceux qui ont bien voulu répondre à mon message et en leur souhaitant de surpasser cette épreuve, laissons la parole à Anne Houillon-Overnoy, au coeur du Jura, très durement touché à nouveau : "Que peut-on ajouter ????? Nouvelle cata … Ma foi, nous n’avons pas le choix. La nature se venge des abus commis par l’humain… Redressons-nous en nous disant qu’il y a pire."

Enfin, je ne résiste pas cependant à vous communiquer les deux réponses successives de Brunnhilde Claux, au Domaine de Courbissac, en Minervois-La Livinière (souvent cité parmi les rares secteurs épargnés). La première, le mercredi 7 : "Chez nous, heureusement, pas de gel pour le moment!" Le lendemain, inquiet des échos concernant une partie du Languedoc, je l'interroge de nouveau. Le vendredi 9, nouvelle réponse : "Non, rien, presque un miracle!..." Cela illustre parfaitement le fait que le gel ne se pose pas partout, sans que l'on puisse vraiment comprendre pourquoi, sauf à étudier de près les conditions aérologiques locales, le mode de culture, la nature des sols... Je devine aussi, du fait de ses réponses laconiques, que la vigneronne de Courbissac mesure sa chance, car elle n'a sûrement pas ignoré cette semaine, à quel point certains de ses collègues sont aujourd'hui meurtris par cette météo...

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La semaine se termine avec l'arrivée de quelques nouvelles en provenance de la Coulée de Serrant et de Virginie Joly. A noter que la rive droite de la Loire semble avoir été épargnée, dans ce secteur du moins... "La semaine fut longue du coté de Savennières! Trois matins de gel et un impact très variable. En ce qui nous concerne, pas de dégâts. Nous avons allumé des bougies, des agrofrosts et quelques éoliennes pour une protection "physique". Les veilles et apres-midi de gel, pulvérisations de dilutions homéo + tisane d'ortie + thé de compost. Il y a certainement des choses à chercher dans le domaine de l'homéo pour un effet protecteur ou anti-brûlure. Une taille plus tardive est une option mais fatigue beaucoup les ceps, donc a long terme, sans doute pas idéale. Ces périodes font ressortir la solidarité, l'entraide et les échanges d'expérience, ce qui est toujours positif!..."

Avec quelques heures de recul, Henri Duporge, au Château Le Geai, à Bayas (33), nous fait part de quelques réflexions : "Le gel se généralise comme tous les aléas climatiques, nous devons trouver des solutions environnementales, comme la plantation de haies brise vent, tailler le plus tard possible, garder un manteau herbeux, etc... Dans tous les cas, je suis attristé des techniques de nuages de fumée et de chaufferettes, qui ne sont qu'un pansement sur une jambe de bois, et quelle est la cohérence?... Idem pour les orages de grêle! Je suis bref pour l'heure, car je pense que le sujet est plus profond qu'il n'y parait."

171704514_4103496743034871_3899659767091353709_nOn peut aussi ajouter que ce début de semaine, à compter du 12, pourrait être cruel pour un grand quart nord-ouest de l'Espagne, où le centre de la Galice et le Bierzo, notamment, voient un flux de nord-est s'installer, avec des températures négatives au lever du soleil (de 0 à -4° selon les secteurs), qui ne seront pas sans conséquences...

Comme on peut le constater sur la photo de gauche, les effets de ce gel printanier sont pour le moins curieux, puisque le feuillage juvénile d'arbres situés en pleine campagne est affecté dans sa hauteur. Le bas est grillé par le froid, alors que le haut n'a guère souffert!... Etonnant!...

Alors même que je me réjouissais auprès de Virginie Joly, du fait que Savennières soit quelque peu épargné, celle-ci postait ce matin un premier message inquiétant : "Ce matin ça a tapé dur sur Savennieres! Trop tôt pour évaluer, mais les bourgeons étaient littéralement pris dans la glace..." Lui demandant si la situation concernait ses voisins : "Oui c'est général! Et encore on est plutot mieux servis!... Emmanuel Ogereau dit avoir quasiment tout perdu, Belargus aussi, Morgat a taillé plus tard, donc semble épargné, chez les Laureau, la semaine dernière, c'est passé, mais ce matin je ne sais pas. Pour René Papin, c'est mitigé selon les endroits, le Closel ça allait a peu près hier mais... Bref! Mardi soir est a nouveau annoncé à -3°... Je pense surtout aux jeunes qui s'installent depuis cinq ou six ans... Dramatique! Ca gèle trois années sur quatre! Quand on n'a pas les épaules financières solides, c'est catastrophique!..."

Au terme de cet épisode glaçant, réception d'un long message d'Hélène Thibon, la "Dame de l'Ardèche" et du Mas de Libian. Pas trop assomé par la météo des derniers jours, le domaine garde quelques traces d'autres épisodes dévastateurs au cours de ces plus récentes années. Bien sur, sa réflexion est riche, tant pour ce qu'on pourrait faire et ce que l'on ne peut pas faire... Marquée de plus, du sceau du bon sens paysan, quelque chose qui lui est cher!...

"J'ai mis un peu de temps à répondre, il faut dire que des épisodes comme ça, ça secoue... Ici, nous ne pouvons nous plaindre car nous avons été relativement épargnés, même s'il y a de la casse. Effectivement, des secteurs ont gelé alors que de mémoire d'homme, il n'y avait jamais eu de gel. Que dire? Que parfois ça arrive! Le dernier grand gel dans le sud date de 1991, un 21 avril. Tout le Vaucluse, les Bouches-du-Rhône, le Var, avaient gelé. Mon beau-père, à Grimaud, sur les coteaux face à la mer, avait tout perdu : déclaration de récolte : -95%! Ce fut encore plus tardif et encore plus violent. Qui s'en souvient? L'homme est ainsi fait, et pour se protéger il oublie. Et les paysans ont la faculté de mettre les mauvaises années de côté, pour mieux se réjouir des cadeaux de la Nature. Qui se souvient du millésime 2013 dans le sud, où tous les grenaches ont coulé? Nous avons fait entre 1 et 5 hl/ha : ça valait un gel!... Là aussi, beaucoup d'émotion à l'instant T, puis la récolte 2014 a été prolifique (sauf pour des gens comme nous qui avons subi une grêle terrible, avec une tempête qui a causé la mort de deux personnes). Qui parle encore du gel du 26 mars, l'année dernière, particulièrement terrible dans le centre Var : deux nuits à -6°C? Un ancien de chez nous, qui venait de s'installer, vient de perdre ces deux premières récoltes...

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Voilà, ce qui est frappant cette année c'est que pratiquement toutes les régions ont gelé, que ce fut particulièrement violent et que nous avons des moyens bien plus importants pour communiquer notre détresse. Que cette catastrophe nationale survient après plusieurs mauvaises années. Je ne pense pas qu'il faille voir que cet épisode, mais d'une façon bien plus globale, le dérèglement climatique dans son ensemble. Car des gels, des grêles, il y en a toujours eu il y en aura encore et beaucoup, mais que l'année dernière, il y ait eu un coup de froid le 26/03, c'est bien normal! Ce qui ne l'était pas, c'est que les vignes étaient à deux feuilles étalées. Nous avons des hivers de plus en plus doux (prolifération des insectes, des champignons, débourrement précoce, manque de froid pour les mises, etc) et des printemps qui ressemblent à nos hivers, puis un été si sec et si chaud que l'on se demande bien si nous sommes encore en zone tempérée!... Faire appel à la recherche? Grand Dieu non! Car, que pourrait-on nous proposer? Du matériel de protection anti gel high-tech, qui va polluer un max et coûter une fortune? Du matériel végétal OGM? Non, non, on ne fera qu'aggraver le mal à long terme. L'assurance gel-grêle n'est pas la solution non plus, en partant du principe que les assurances ne sont pas des entreprises de bienfaisance, les paysans y perdront à coup sur... Tailler plus tard, oui bien sur, mais dans le sud, début avril les vignes poussent de toutes façons. Choisir un porte-greffe plus tardif (je pense que nous sommes déjà nombreux à le faire) on gagne 1 à 3 jours, ce n'est pas suffisant. Faire remonter des cépages du sud de l'Europe? Aucune incidence sur le gel : les vignes poussent! L'agronomie : elle ne protège pas du gel, en revanche une excellente agronomie va minimiser les dégâts sur le long terme : une plante en bonne santé est plus résiliente. Il faut supporter et s'entraider mais peut-être pas qu'entre paysans : ça ne suffit plus! Car tout le monde est impliqué : tout le monde mange trois fois par jour et tout le monde doit s'intéresser, protéger, aider le monde paysan à l'agonie. Alors, pourquoi ne pas envisager un fond d'aide mutualiste où il y aurait les paysans, les structures territoriales, la grande distribution, enfin tout l'aval qui se nourrit sur la production paysanne?... Et que ce fond appartienne réellement aux paysans!..."

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