La vigne en Bretagne, c’est une vieille histoire, n’en déplaise à tous ceux qui éclatent de rire au moment où on les informe que l’on doit assister à l’Assemblée Générale annuelle de l’Association de Reconnaissance des Vins Bretons (ARVB) !... On situe au Vè siècle l’apparition des premières vignes à l’Abbaye de Landévennec, dans l’estuaire de l’Aulne, qui se jette dans la rade de Brest. Bien sûr, il fallait alors vendanger pour la tenue du culte. Au final, sur l’échelle du temps, quelque part entre l’Antiquité, la présence romaine et l’apparition des grands vignobles, en France notamment (Bourgogne, Coulée de Serrant…). Au début du XVIIIè siècle, nous sommes alors au cœur de ce qu’on appelle le « petit âge glaciaire ». En 1709, l’hiver est si froid qu’il gèle à pierre fendre et les pieds de vignes disparaissent. A cette époque, les Rois de France (Louis XIV et Louis XV) ainsi que Colbert veulent organiser le pays. Pour la Bretagne, on préconise alors la culture des céréales (le Pays Nantais y échappe du fait de l’existence du port de Nantes) et même la plantation de pommiers. Le cidre devient donc la boisson régionale. La vigne ne disparaît pas, car les nobles et l’Eglise veulent maintenir leur production pour le culte, mais est réduite à sa plus simple et rare expression. Néanmoins, en 1848, on n’en recense pas moins de 800 hectares cadastrés. Cependant, en 1960, on considère que la vigne a disparue de la carte de Bretagne, sa culture en étant purement et simplement interdite. La vigne n’étant acceptée que dans les départements dits viticoles, la Bretagne en étant exclue, la réglementation était alors impitoyable. Certains reçurent des injonctions pour procéder aux arrachages de l’existant.
Mais, ceci ne manqua pas de motiver certains « vignerons » pour se réunir et évoquer leur mésaventure. En 2005, une Association pour le Renouveau des Vins de Bretagne est créée, ses statuts déposés à la Préfecture des Côtes d’Armor fin 2006, parus au Journal Officiel en janvier 2007. Les vignes existantes sont alors recensées. Elles sont, pour la plupart, à caractère associatif et patrimonial. Bien sûr, si la culture de la vigne est interdite, la vente du vin l’est aussi. Il n’y a donc aucune porte de sortie possible pour ceux qui voudraient s’orienter vers une professionnalisation plus concrète. En 2015, le mot Renouveau est remplacé par Reconnaissance. En effet, l’association regroupe des membres issus des cinq départements de la Bretagne historique, y compris la Loire-Atlantique donc, mais celle-ci possédant plusieurs centaines d’hectares de vigne, elle ne peut pas vraiment revendiquer une quelconque forme de renouveau, puisque déjà reconnue. Même si les vignerons de ce département acceptent volontiers la « bretonnité » de leurs vins.
Ci-dessus, de gauche à droite : Loïc Fourure (Co-Président, Theix-Noyalo), Karine Aliouane (Sud Finistère), Sylvie Guerrero (Secrétaire, Tréffiagat), Aymeric Blond (Trésorier-Adjoint, Baden), Aurélien Berthoud (Vice-Président, Auray), Emmanuel et Gwénael Prigent (Plouguiel), Julien Lefèvre (Co-Président, Merléac, devant) et Rémy Ferrand (Président de l'ARVB et Président d'Honneur de l'AVB)
Absents : Guillaume Beauché (Trésorier, Noyal Pontivy) et Catherine Bourdon (Secrétaire-Adjointe, St Pierre de Quiberon)
Cependant, en janvier 2016, la législation européenne évolue, donnant la possibilité à la France d’obtenir de nouveaux droits de plantation, valables pour tout le territoire (8000 hectares !). Quelques passionnés s’engouffrent alors dans cette nouvelle brèche, réclament et obtiennent des droits, puis créent des structures professionnelles, aux quatre coins de la Bretagne. On compte à ce jour, neuf vignes associatives, dix-neuf en exploitations, mais surtout environ quatre-vingt projets de vignes privées. De plus, une douzaine de « viticulteurs » (qui deviendront vignerons dès qu’ils pourront produire leurs premiers vins) se sont fédérés dans le cadre nouveau de la petite sœur de l’ARVB, qui s’appelle AVB (Association des Vignerons Bretons), dont le siège est situé au Lycée de Kerplous, à Auray, qui va dès cette année proposer une formation au BPREA (Brevet Professionnel de Responsable d’Exploitation Agricole), indispensable pour pouvoir s’installer et même un BPA travaux de la vigne et du vin, qui sera réservé aux salariés futurs de ces structures.
La nouvelle association s’est dotée d’une charte, avec quelques points forts : protéger et développer la biodiversité, n’utiliser aucun produit de synthèse, réaliser une vendange manuelle, respecter son terroir et le consommateur, favoriser le circuit court, etc… Elle se dit aussi proche du GAB (Groupement des Agriculteurs Biologiques). Même si certains ont déjà planté plusieurs hectares de vigne, le brain storming est en cours !... Ils savent tous à quel point il reste des axes de progrès, quelques-uns étant à même d’alimenter la discussion : choix des cépages, modes de conduite, connaissance des terroirs et même apprentissage des bonnes pratiques (taille par exemple) pour des viticulteurs, souvent néoruraux, ayant un parcours professionnel souvent aux antipodes de celui qu’ils ont choisi pour leur avenir.
Mais, la belle histoire pour ces quelques pionniers n’est pas sans connaître quelques anicroches, qu’ils étaient loin d’imaginer. Ainsi, Sylvie Guerrero, première vigneronne professionnelle à Treffiagat (29), a constaté les fortes pluies de l’année de plantation (2015), puis le gel, les dégâts causés par les sangliers, les chevreuils et les taupes et même le vol de 700 pieds de treixadura (cépage portugais) sur les 1800 plantés. Sept ans plus tard, il lui en reste 280 !... « Il faut avoir les nerfs solides ! » Certains projets, à Belle-Île notamment, sont contestés et fortement remis en cause, même si celui-ci vient d’obtenir l’aval du Préfet.
On comprend donc leur prudence et leur discrétion, surtout en attendant leurs premières vendanges et leurs premières bouteilles. On n’en est pas encore à réfléchir à la création d’un ODG (Organisme de Défense et de Gestion, les ex-syndicats viticoles), d’autant que le choix de cépages a orienté certains futurs vignerons dans des directions variées, voir étonnantes, avec l’option de planter des hybrides ou des « cépages résistants », ceci motivé notamment par l’orientation vers les circuits courts, permettant de trouver une clientèle sensible à une nouveauté et une identité locales. Et même si Valérie Bonnardot, climatologue de l’Université de Rennes, est venue à l’occasion de cette AG, confirmer que nous étions bien sur une pente ascendante, pour ce qui est des températures annuelles et descendante pour ce qui est de la moyenne des précipitations, chacun a bien conscience que l’on s’inscrit sur un temps long (avec en plus des hypothèses haute et basse pour ce qui est du réchauffement climatique), mais aussi sur la variabilité annuelle que l’on constate encore. On en a tous pour preuve la « fraîcheur » de l’année 2021. On ne peut perdre de vue que la température moyenne lors de la période végétative de la vigne, reste un point essentiel pour atteindre des taux de sucre suffisant et une maturité acceptable. Même si on fait le constat que les moyennes trentenaires à Bordeaux ou Angers, entre 1950 et 1980 sont proches de celles constatées en Bretagne de nos jours, elles ne sont pas une garantie pour atteindre la maturité phénolique des millésimes de bon niveau chaque année. Sauf à faire le choix de produire des vins moins alcoolisés, chose que certains amateurs réclament depuis quelques années, ou à ne mettre sur le marché que des vins effervescents, comme ceux apparus dans le sud de l’Angleterre ou à Jersey un temps. Mais, l’identité des Vins Bretons est peut-être là !... Laissons aux générations futures la liberté de proposer autre chose, s’ils constatent à la fin du XXIè siècle, que la Bretagne compte désormais nombre d’essences exotiques dans ses forêts et une faune en adéquation avec cette évolution. A suivre !
Bureau de l'Association des Vignerons Bretons
Mais, il ne faut pas considérer cependant que ces femmes et ces hommes, jeunes pour la plupart, se complaisent dans une activité utopique, doucement rêveuse, porteuse, de plus, de supposés relents druidiques, dont on affuble parfois les Bretons. Non! Ils n'ont pas prévu de vendanger au moyen de serpes d'or et de vinifier au coeur d'une quelconque forêt de chênes, fut-elle la mythique Forêt des Carnutes, les raisins choisis par l'assemblée annuelle des druides, venus de toute la Bretagne!... Se lancer dans l'aventure du vin en 2021 implique que les bases soient bien posées et la notoriété voulue ne sera atteinte qu'en toute objectivité.
Dans le cadre de l'Association des Vignerons Bretons (il y a d'autres projets existants ou en cours de création extérieurs), deux tendances sont apparues : la première, avec notamment Loïc Fourure, à Theix Noyalo, non loin de Vannes (56), qui a planté environ quatre hectares de cépages historiques (chenin, chardonnay, savagnin et pinot noir), issus de sélections massales. Après étude, ses sols sont souvent formés de granite décomposé, gneiss et orthogneiss, sous une forme sablo-argileuse, avec une faible proportion de limon. Julien Lefèvre, à Merléac (22) dispose, quant à lui, d'un sous-sol ardoisier. Catherine Bourdon, à St Pierre de Quiberon (56), a planté une sélection massale de chenin. Guillaume Hagnier, à Sarzeau (56), a opté pour une sélection clonale de chardonnay, cabernet franc et chenin. Le teixadura de Sylvie Guerrero, à Treffiagat (29), est issu également d'une sélection clonale. L'autre option est celle choisie par Aurélien Berthou par exemple. A Auray (56), il a fait le choix de cépages dits résistants, sauvignac et un autre à définir. A Plouguiel, dans les Côtes d'Armor, près de Tréguier, Emmanuel et Gwénael Prigent ont également choisi des cépages résistants, en l'occurence solaris, johanniter et peut-être un troisième qui pourrait être le floréal, cépage double-résistant, au mildiou et à l'oïdium. Le terroir breton, quant à lui, a quelques similitudes avec l'Anjou noir, à savoir granite, quelques veines de schiste, mais point de calcaire.
Il nous tarde de découvrir et de déguster ces cuvées du futur!... Mais, il faudra encore patienter quelques années. On ne peut que souhaiter aux vignerons nouvellement installés de passer quelques saisons sans se heurter aux sempiternelles écarts de la météo, fut-elle océanique. Pas de gel tardif au printemps, des étés chauds et secs, mais pas trop, afin que le taux de sucre soit suffisant, mais que les jeunes vignes ne soient pas confrontées à un stress hydrique. On peut aussi leur souhaiter de trouver une identité propre à la région, en jetant les bases d'un futur où la vigne prend sa place dans l'économie régionale. Et peut-être le vin lui-même, également vecteur culturel de toutes les contrées où il est apparu voilà des siècles. Pourquoi pas en Bretagne?...
Quid du vignoble de l'île d'Arz ? Après tout, le golfe du Morbihan connaît un micro-climat, avec beaucoup plus de soleil que dans les terres, et une douceur permanente.
http://arz.fr/index.php/culture-loisirs/associations-iledaraises/in-vino-veritarz/