Christophe Abbet, vigneron-éleveur à Martigny (Valais)
Les fans ne tarissent pas d'éloges!... A moins d'une heure de Chamonix et en présence des blogueurs jurassiques, Olif et Laurent, l'occasion était trop belle de rencontrer ce vigneron valaisan, que certains qualifient d'artiste, voire de sorcier!... C'est dire!... Et au final, quelqu'un qui se distingue surtout par son sens de l'accueil et sa disponibilité. Un grand moment!...
Nous avons rendez-vous à Martigny-Bourg, chez un Bordillon (un Bourgadin, dirions-nous en Vendée!). Nous sommes en retard. Voici le 18 de la rue, qui file entre quelques vénérables maisons et boutiques. Une vitrine, un rien désuète... Christophe Abbet, vigneron-éleveur... Juste à côté, un antiquaire semble-t-il... La déco de notre hôte se veut-elle au diapason?...
Christophe Abbet est vigneron depuis 1998 (nonante huit de l'autre côté des Alpes). Mais, les amateurs disposent parfois de flacons millésimés 1995, 1996 ou 1997. En fait, depuis nonante trois (1993 de ce côté-ci du Jura), il travaillait pour un autre vigneron et, chaque année, était, pour partie, rémunéré en jus de raisin. Ce qui fait que, lors de son installation officielle, il disposait déjà de cinq millésimes!... Malin, non?... Manière de disposer d'une carte de visite en rien virtuelle, à l'instant des premiers contacts!...
Ce Bordillon de vigneron est souvent présenté comme un artiste, ès-vignes et caveau. C'est indiscutablement quelqu'un qui tente de rester lui-même, de laisser libre cours à ce qui le touche, ne serait-ce qu'au niveau de l'expression de ses vins et de la dégustation. Ces cuvées, c'est une part de lui-même sans doute...
L'instant suivant, quelques mots sur un point précis de ses choix, le laisse apparaître plutôt pragmatique, les pieds sur terre. Alors?... La tête dans les étoiles, Christophe Abbet?... Pas celles d'une star, en tout cas!... A l'écoute, attentif à tout commentaire, il manie parfois un humour très second degré, jaillissant à tout moment. Ainsi, devinant que ses visiteurs tentaient de sonder les qualités de ses vins et pour détendre l'atmosphère, il nous lâche, au moment de descendre les marches du caveau : "Vous ne serez plus les mêmes en sortant d'ici!..."
Il était donc temps de passer à table, pour ne pas finir comme certains flacons!... Collés au mur ou le nez dans la poussière!... La table, vénérable, rustique à souhait, est dans la vitrine, ou presque et nous nous y installons sans craindre les chalands qui passent, intrigués parfois, amusés le plus souvent, dans la rue du Bourg!... Nous ne rendons pas visite au Grand Inquisiteur!... Mais, à quelqu'un qui se nourrit, certains jours (et pour ses vins) de l'avis des visiteurs. Nous le devinerons le lendemain, mais un petit malentendu, une erreur de tarif, nous laissèrent à penser que la syrah n'était pas en bouteilles, au point qu'aucun d'entre nous n'en achetât quelques flacons!... Cela suffit à Christophe Abbet, pour s'inquiéter quelque peu de cette tendance très relative à l'abstinence!... Comme si, s'abstenir d'une telle syrah était envisageable!...
- Chasselas de Fully, Les Avasiers 2007 :
Des vignes quadragénaires, situées dans une combe, dans les hauts de Fully, à environ 600 m d'altitude. C'est la première apparition de cette cuvée de chasselas (en principe assemblée au reste pour composer le Fully). Le hasard d'une panne de monorail, indispensable aux vendanges, impose de ramasser ce raisin une semaine à dix jours plus tard!... Résultat : un fruit mûr, intense, sur les fruits blancs. Le vin est tonique, alliant suavité et élégance. Belle présence en bouche, rétro très agréable sur les agrumes légèrement confits. Le vigneron pense que le retard a impliqué une température de fermentation très basse (3 à 5° dans la cave, à ce moment là), d'où l'exubérance des arômes, due aussi au maintien des lies et des bourbes du moût.
- Petite Arvine 2007 :
D'un secteur dit Les Clèves, à Fully également. Christophe Abbet "flashe" un peu pour cette PA tout à fait sèche!... Il la trouve moins "pétaradante", sans les débordements d'agrumes ou de rhubarbe... de certains millésimes!... Avec des arômes de résine de fleurs sauvages. Plus mystérieuse que parfois... Beaucoup de finesse, tant au nez qu'en bouche. Des arômes d'ananas confits le disputent à une expression d'agrumes et de fruits mûrs. Belle tension qui laisse percevoir des notes minérales, portées par l'acidité. Pas de seconde fermentation. De la richesse, 105° oechslé, un peu de botrytis (5 à 10% des grains). Et une cuve de 1000 litres en tout et pour tout!... Pour le vigneron, une vinification à dimension humaine!... Ce qui lui permet notamment d'effectuer les remontages (trois dans ce cas) à la main, sans pompe, avec l'outil qui lui permet d'atteindre le fond de la cuve. C'est ce qu'on appelle une PAA ou une P2A : une petite arvine artistique!... Selon Christophe, une arvine moins "pimpante", moins ouverte que certaines, avant même la mise (récente ici), mais qui va s'épanouir... comme une fleur... au moment voulu...
- Gamay de Fully, Les Avasiers 2006 :
De ce même secteur, dont on ne sait pas tout... Un fruit acidulé, sur les petites baies rouges. Mais, de la chair et une assez belle concentration, pour un vin très... buvable!...
- Gamay de Fully, Les Avasiers 2007 :
Toute la fraîcheur d'un échantillon prélevé sur cuve. Du fruit et une belle densité, ce qui lui confère une jolie persistance.
- Gamay de Fully Vieilles Vignes 2007 :
Issu d'une autre cuve, très peu soufré. Concentré, riche, mais soyeux! Sur des notes très mûres et sur les épices, une sorte de rôti. Belle pureté et fermeté, jusqu'à la finale.
- Humagne rouge Tradition 2006 :
Beaucoup de finesse au nez, sur les fruits rouges. Belle tenue en bouche, avec une sorte de délicatesse, de mesure dans l'expression très séduisante.
- Syrah 2007 :
Très longue macération! Pressurage le 3 juillet dernier!... Une syrah qui allie le fruit-plaisir et une belle concentration. Expression complexe : des épices, de l'olive... La mise récente laisse supposer un potentiel certain. De la chair, du volume et une agréable "buvabilité"!...
Après cette première séance, il nous fallait descendre les quelques marches qui nous séparaient de l'enfer!... Un enfer pavé d'ambre, d'or et de lumière!... Pas un ne manquait à l'appel!... Embarquement pour Cythère!...
Il ne suffit pas d'aller se promener sur les plages de la Baltique pour trouver de l'ambre!... Quelque part, dans ce coin du Valais, vous pourrez aussi en découvrir quelques barriques!... Nous l'avons vu, de nos yeux vu!... Et de nos gosiers et papilles bu!...
- Assemblage de petite arvine et chardonnay 2003 :
Levons le voile!... Bienvenue dans le monde de l'oxydatif!... De la pomme blette (en finesse!), de la cire... De la nuance et une finesse remarquable!... Une grande richesse et une telle fraîcheur! Destination la cuvée L'Air du temps!...
- Ermitage 2003 :
De la marsanne, est-il besoin de le rappeler? Sous voile, un monument!... Pour son nez, on pourrait y passer des heures : agrumes confits, abricots, miel, une touche de fruits secs. La bouche révèle un équilibre superbe et une longueur "multi-caudalique"!... Vous êtes certains qu'il faut le remettre dans la barrique?...
- Assemblage de marsanne et de petite arvine... 2000 :
Sous le voile... un regard ardent!... Une étonnante expression qui allie les fruits secs et une touche rancio appuyée!... C'est l'opulence!... Superbe rétro tourbée, maltée!... Suggère une sorte de Jerez ou de Porto blanc. Une présence énorme en bouche.
- Assemblage de marsanne et un soupçon de petite arvine 2003 :
Un fruit superbe!... Très vite, des notes minérales (mine de crayon!) et surtout de thym!... Pas la moindre lourdeur. Intense et plein de fraîcheur.
- Ambre 2006 :
Assemblage de 55% de petite arvine et de 45% de marsanne. Pas moins de quatre barriques neuves (Taransaud). Intéressant de les découvrir à des stades différents. Christophe Abbet suggère "un bouton de fleur qui va s'épanouir lentement..."
- Ambre 2005 :
Deux barriques, comme de futures associées qui vont engendrer une belle symbiose. La première est moins aboutie à ce stade, sur l'abricot sec. La seconde est un peu cigale pour le moment : thym, garrigue, écorce de pin. L'arrière-pays varois!... Mais aussi camphre, voire truffe. Étonnant!... Et toujours cette fraîcheur!... Et l'ampleur!...
- Ambre 2004 :
Du citron confit, de la résine... Une pointe de volatile, qui renforce son caractère "éthéré". Le temps suspend son vol pour le millésime, à ce stade. On devine alors aisément que la durée s'inscrit dans ce type de vin.
- Ambre 2002 :
La mise approche. Le vin se livre!... Le vin?... Que dis-je?... De l'huile, de celles qui apaisent les douleurs. Christophe Abbet se lance, pipette en main, dans une démonstration tenant de la physique des fluides!... "Remarquez la courbe qui tient de l'ellipse astrale, lorsque le vin, l'Ambre, s'écoule de l'extrémité de la pipette jusque sur la paroi du verre..." En bouche, une caresse. L'émotion de la pureté, de l'élégance suave. La générosité faite vin, ou plutôt nectar...
Il est 21 h lorsque nous reprenons la route!... La nuit tombe. Sommes-nous toujours les mêmes?... En tout cas, plus riches d'une jolie rencontre et d'instants de partage, au terme desquels certaines choses de notre quotidien deviennent, d'un seul coup, moins essentielles...
La vie nous le rappelle régulièrement pourtant... Comme cette disparition brutale, d'un autre tempérament du monde du vin, du côté de Pouilly Fumé... Partons à la rencontre des vignerons!...