Christophe Daviau, Domaine de Bablut, à Brissac (49)
Dans le groupe des Anges Vins, ce n'est pas forcément le vigneron le plus connu. Sans doute, parce que sa personnalité ne le pousse pas à se mettre en avant. Pourtant, aux yeux de la plupart de ses coreligionnaires (ce terme est-il vraiment bien choisi?...), la place du Domaine de Bablut (prononcez Bablute, du verbe bluter) est essentielle, pour démontrer que la biodynamie n'est pas une pratique confidentielle, ou du moins, limitée à des vignobles de tailles réduites, voire aux micro-parcelles.
D'ailleurs, Christophe Daviau le dit : "J'ai parfois souffert de deviner une sorte de suspicion dans le regard de mes interlocuteurs, lorsqu'ils me demandaient comment un tel choix, à la vigne et au chai, était possible pour un si grand domaine..." Mais, comme il le dit parfois à ses visiteurs, pour couper court et non sans humour : "Je ne tricote pas mes pulls, je n'élève pas de chèvres dans le Larzac, mais à Bablut, j'ai cinquante hectares en biodynamie!..." Fermez le ban!...
C'est la semaine du printemps dans la région!... Une poussée des températures, une lumière vive, la nature est sur le point d'exploser!... Dans la petite ville de Brissac-Qunicé, l'Aubance coule paisiblement, traçant des méandres dans la campagne vert tendre. Le Château de famille des Ducs de Brissac pose pour la photo, majestueusement. Il connaît quelques travaux. Dans cinq mois, fin août, il accueillera le Championnat d'Europe de Montgolfières.
Il nous faut monter la côte, traverser les places de la petite cité angevine. Nous avons rendez-vous sur la Côte des Moulins. Les Daviau sont installés là depuis 1546. Ils étaient alors vignerons et meuniers, à moins que ce ne soit l'inverse. A cette époque là, il s'agissait vraiment de polyculture et de multi-productions. Une plus grande autonomie donnait plus de force dans l'économie locale, toute simple : des vignes donc sur le coteau, mais aussi des moulins à eau pour l'hiver, au bord de la rivière et, sur la Côte, deux moulins à vent pour l'été. D'où ce nom de Bablut, le lieu où l'on blute, où l'on tamise la farine. Meunier, tu dors...
Christophe Daviau a repris les clés du domaine en 1989, retour d'Australie, où il venait de passer dix-huit mois, suite à son diplôme d'oenologie à Bordeaux. Il y a vingt ans, les Vignobles Daviau, c'était 80 hectares, y compris le fermage des vignes du Château de Brissac!... Une belle machine, qui se veut à dimension humaine, mais avec des exigences d'organisation. C'est à cette période également, que Mark Angeli s'installe dans la région. Rencontre... Lors d'une conversation avec ce dernier (son "parrain" en fait!) et Nicolas Joly, le vigneron de la Roche aux Moines tente de le convaincre, que pour adopter la biodynamie, il ne faut pas dépasser trente hectares. Le problème est que, chez les Daviau, on est attaché à la terre!...
Le vigneron de Brissac en a un peu assez d'injecter tous ces produits dans la terre, sa terre!... Il décide donc de faire un essai en vraie grandeur, sur trois hectares, un peu comme Noël Pinguet, en Touraine. Nous sommes alors en 1993, avec, au passage, une forte pression des maladies. Les deux premières années servent à observer, à convaincre aussi. C'est qu'on dénombre pas moins de treize personnes au domaine, dont plusieurs à la vigne!... L'idée que tous ceux qui oeuvrent au quotidien, dans les parcelles, soient confrontés à un échec, ne serait-ce qu'une seule année, est insupportable à Christophe Daviau!...
Dès 1996, il opte pour une conversion à la biodynamie par tranches : trente hectares la première année, puis trente autres l'année suivante et les vingt derniers à suivre. Au cours de cette période au moins, cette planification doit permettre de sauver la mise d'un mauvais millésime, aux données climatiques défavorables.
Là, Christophe Daviau avoue humblement que tout ne s'est pas exactement passé comme prévu... La faute au calendrier adopté pour la biodynamie, qui se révèle très contraignant, avec les seules interventions en "jours fruits"!... Au point qu'en fait, jusqu'en 2005, bon an mal an, ce ne sont que trente à trente-cinq hectares qui sont réellement convertis, stricto sensu.
Puis deux évènements majeurs vont survenir : une conférence dans la région d'Alex Podolinsky, pionnier australien de la biodynamie depuis 1947, qui impressionne positivement le vigneron de Bablut, par son approche plus pragmatique de la méthode. Il insiste alors sur l'essentiel, le 500 (bouse de corne) et le 501 silice de corne), mais relativise les exigences du calendrier. Autre fait déterminant, le fermage du Château de Brissac prend fin en 2005 et malgré cette sorte de "rupture sentimentale", avec notamment la perte de son "bébé", la vigne du Mausolée, plantée en 2002, le repli sur les cinquante hectares actuels permet une conversion totale et définitive de l'ensemble des vignes du domaine.
Bien sûr, il faut passer du temps dans les vignes avec Christophe Daviau, pour évaluer son attachement à sa terre, cette sorte de lien de sang qui l'anime au quotidien. Le vignoble n'est pas foncièrement spectaculaire, avec des pentes vertigineuses, ou du moins soutenues, comme parfois, en Coteaux-du-Layon. L'Aubance, c'est plutôt des coteaux en pente douce. Mais souvent, malgré tout, des sites qui ne laissent guère indifférent.
Comme par exemple le Clos des Grouas et le Clos des Complans. On y trouve du cabernet franc, celui de la cuvée Petra Alba, en référence aux terres calcaires, de ce que l'on appelait naguère l'Anjou blanc. En fait des marnes à ostracées, sol argilo-calcaire avec des coquilles d'huîtres, du cénomanien supérieur, du crétacé. Nous sommes là, juste à la limite physique du Bassin Parisien et du Massif Armoricain. Le rivage ancien, en quelques sortes, de la zone de tuffeau, le calcaire du turonien.
Au passage, regard sur une des préoccupations principales de Christophe Daviau, depuis cinq ans : la plantation de haies viticoles. Non qu'il tienne coûte que coûte à marquer son territoire et à le protéger de la proximité des voisins en viticulture conventionnelle, mais plus au titre de la biodiversité, celle-là même dont se gargarisent les tenants de la méthode dite "raisonnée".
Une haie viticole doit être entretenue aux dimensions d'un rang de vigne, ni plus large, ni plus haute. Jadis, elle servait à éviter que les troupeaux de vaches ne pénètrent dans les parcelles. Pour certains pays, qui ne reconnaissent pas le label AB, cela reste quand même la preuve d'une séparation physique des vignes. On y plante des prunelliers, des cornouillers, des noisetiers, du sureau noir, des groseilliers, des églantiers, du troène, etc... Des végétaux qui permettent une installation de toute une partie de la faune auxiliaire.
On se demande d'ailleurs au passage, comment les vignerons ne sont pas plus sensibles à ce retour à la raison. Pourtant, les statistiques, les comptages d'insectes, notamment ceux réalisés par l'Association EDEN (en relation avec le SAGE, Schéma d'Aménagement et de Gestion des Eaux), sont des plus explicites. Ainsi, on a pu trouver, dans ces vignes en biodynamie, 50 à 80 espèces différentes d'insectes. Dans la vigne témoin, en lutte raisonnée, seulement deux espèces de coccinelles!...
Malgré tout, ces données ne sont que rarement exploitées par les vignerons en bio. Aux yeux de Christophe Daviau et de quelques autres, faire une telle démonstration publique, c'est prendre le risque de s'attaquer au vin, en général. Et par les temps qui courent... Ainsi, il en va de même de la chaptalisation, mieux vaut laver son linge salle en famille!...
Nous nous dirigeons ensuite vers le secteur de Grand Beaumont (ci-dessus). Nous sommes passés en Anjou noir et ses grès armoricains. Un coteau légèrement concave, dont la pente sud est plantée de vieux cabernets francs. Plutôt une zone en devenir : l'ensemble sera dédiée au chenin, dès 2010, dès que la nouvelle parcelle de près de trois hectares, sur la pente nord, actuellement en luzerne, sera prête.
C'est dans le bas de ce coteau biface, comme les haches de la préhistoire qu'on y découvre parfois, en travaillant le sol, que se situe le cabernet sauvignon planté en 2000. C'est lui qui compose l'essentiel de la cuvée Rocca Nigra, le pendant de Petra Alba.
A peine quelques centaines de mètres et nous pénétrons par le nord, dans le secteur de Grandpierre. En fait, le haut du coteau de Clabeau, une sorte de croupe enserrée dans un grand méandre de l'Aubance. Très favorable aux brumes matinales de l'automne et à l'apparition du botrytis, mais aussi un secteur très exposé au gel. Ici, en 2008, 80% de la récolte a disparu en quelques heures d'une froide matinée d'avril!...
A l'ouest, le coteau est bordé d'une petite falaise de quelques mètres de hauteur, sur plusieurs centaines de mètres. Le sol est sur une dominante d'altérations de schistes gris-vert. Parfois, ils sont orangés. Près de la limite sud de cette parcelle, on trouve une petite surface composée de grès et de quartz parsemés, sur laquelle sont plantés quelques ares de grolleau. Ils composent l'essentiel du Rosé de Loire et de la gouleyante cuvée Topette.
Dans cette partie du domaine, Christophe Daviau se demande s'il ne faudrait pas sacrifier quelques rangs de vigne pour y intercaler des haies viticoles, voire même des jachères polléniques. En tout cas, tout au long de la haie bocagère naturelle, il a déjà planté plusieurs variétés de pêchers, qui font le régal des vendangeurs!...
Le temps nous manque pour faire un tour d'horizon complet des parcelles... et des cuvées!... Après un passage au Château de Brissac, nous nous retrouvons au domaine pour voir ou revoir les millésimes les plus récents des deux grandes cuvées de cabernet. Et prendre note de quelques choix du vigneron.
D'abord, seuls les blancs de Bablut passent en barriques. Tous les rouges sont élevés exclusivement en cuves. Ce qui peut paraître surprenant, vu le potentiel des sélections de cabernet, destinées à Petra Alba et Rocca Nigra, notamment. Dans les deux cas, le vigneron cherche une maturité élevée des raisins. Avant la vendange, il a besoin de "trouver les raisins"!... Parfois, en parcourant la vigne, il ne les trouve pas!... C'est pour cette raison, par exemple, qu'il n'y aura pas de Petra Alba en 2008!... Mais, par contre, il y aura de la Rocca Nigra, c'est à dire l'inverse de 2007, même si, dans ce dernier cas, les raisons sont différentes.
Certains des choix de Christophe Daviau s'inscrivent probablement dans son parcours et dans sa formation d'oenologue, qui suggère de prendre les mesures adaptées, pour préserver l'état sanitaire de la vendange. De plus, une cruelle mésaventure, vécue en 1999, a infléchi nettement la tendance. La faute aux "bretts", ces brettanomyces, qui condamnèrent alors les meilleures cuvées du millésime!... Depuis, il a pris l'option de protéger la vendange, comme si elle était altérée. C'est le seul moment où il utilise le soufre, à raison de 7g/hl maximum. L'élevage se déroule ensuite sans aucun soufre ajouté. Autres axes de la méthode : égrappage, foulage, puis, au minimum 50 jours de macération et un ou deux délestages au début. Ensuite, il s'agit plus "d'infusion". La fermentation malolactique intervient souvent dans le courant de l'été.
- Petra Alba 2007 :
Beau nez de fruit, en finesse. La matière est d'ores et déjà dans un style fluide, avec une très agréable "buvabilité". Pas de maigreur, une matière soyeuse et fine. Mise en bouteille prévue le 27 mars prochain.
- Rocca Nigra 2006 :
Des tannins francs et droits, qui se révèlent plutôt soyeux. Acidité soutenue, qui supporte bien l'ensemble.
- Petra Alba 2006 :
Là encore, finesse et accessibilité immédiate. Un fruit tonique et ferme. Un vin de plaisir, qui répond très différemment aux cuvées hors du commun de 2005.
Le Domaine de Bablut est l'exemple même de vignoble aux multiples facettes. Des vins de plaisir et quelques joyaux, que l'on se doit d'apprécier au fil des millésimes. Même s'ils n'ont pas été évoqués ici, les Grains Nobles sortent toujours admirablement leur épingle du jeu des dégustations comparatives. En tout cas, la passion est présente à tous les échelons des Vignobles Daviau. Une bonne raison d'y faire étape, lors d'un passage à Brissac!...