REVEVIN 2011 : Domaine de Trévallon, avec Eloi Dürrbach
Il était une fois un domaine provençal dans la force de l'âge, tout auréolé d'un succès forgé avec le temps, mesuré à l'aune de travaux titanesques. Pas une terre historique, bâtie de quelque forteresse de pierre blanche ou rousse, regardant un quelconque estuaire, mais naguère, un espace de garrigue sauvage à souhait, entourant un mas aux volets bleu ciel de Provence. Pourtant, la vigne qui pousse là, sans être centenaire, élève le vin qui en coule, au rang de Grand Cru et ce, depuis ses origines, ou presque.
Eloi Dürrbach, au Domaine de Trévallon, admet volontiers que la vie est sans doute faite, pour partie, de hasards et de rencontres, mais ce serait sans doute oublier un peu vite le travail et la passion. Avait-il vraiment le but de redonner ses lettres de noblesse aux vins de la région des Baux de Provence toute entière, lorsqu'il vint s'installer là en 1973?... Pas certain. Sans doute, s'était-il penché sur l'Histoire vinicole de la région, pour en capter le contenu essentiel, qui donne la sève originale à ce cru : les cépages historiques, ceux qui avaient droit de cité, selon les générations passées, avant même le phylloxera. Las! Les caciques régionaux, à peine une décennie plus tard, le bannirent alors qu'ils tentaient eux-mêmes de se faire entendre au-delà des berges du Rhône et des escarpements des Alpilles!...
Depuis, sans doute, le domaine jouit d'un statut particulier (qui n'a rien de celui d'un martyr!) dans l'esprit des amateurs et peut-être des vignerons eux-mêmes, dont certains ne pouvaient manquer de participer à une telle séance. Pour ma part, une verticale de Trévallon, c'était une sorte de rêve à réaliser, à satisfaire, comme un alpiniste amateur rêve du Mont Blanc ou comme un passionné de navigation à voile espère traverser l'Atlantique un jour.
Sensations, images teintées d'utopie et puis, finalement, le partage assez exceptionnel, sous le patio du Chai Carlina, en cette matinée quasi estivale, très sud!... Neuf millésimes en rouge et trois en blanc!... Les années 2000 revues et dégustées. Nous étions comblés d'y prendre part, surtout en compagnie du vigneron lui-même.
- Blanc 2009 :
Or pâle. Le nez est intense, complexe, à dominante florale, nuancé de fruits à chair blanche. Sensation de volume dès la mise en bouche et de richesse onctueuse. Très belle expression gourmande et fraîche, même si tout n'est pas rigoureusement en place. Rétro passionnante d'herbes sauvages et surtout une touche "calcaire", sorte de sensation tactile qui évoque le grain des galets blancs du cru!... Étonnant potentiel!...
- Blanc 2005 :
Or brillant. Nez plutôt expressif dans un style assez classique fruits-fleurs. Encore un beau volume en bouche, dense, intense, onctueux. Séduisante finale anisée, qui s'étire grâce à un équilibre porté par une pointe saline.
- Blanc 2000 :
Or soutenu. Le nez donne immédiatement une sensation de profondeur, avec une pointe de beurre frais et d'amande, soutenant la pêche mûre, presque miellée. Grande complexité évidente. La bouche évoque la plénitude!... Volume, ampleur, densité... Finale fraîche, un rien truffée, qui fait de ce vin un phare pour une belle cuisine de poisson, y compris avant-gardiste!...
- Rouge 2008 :
Une teinte pivoine avenante. Nez plein de fraîcheur fruitée, prune, cerise. La bouche est délicatement charnue, avec les tannins d'un millésime plus léger peut-être. Plutôt réussi et sans doute destiné à une consommation plus rapide, au regard d'autres années plus denses, mais une jolie réussite.
- Rouge 2007 :
Robe intense, profonde. Nez assez ouvert et complexe, qui va des baies noires aux épices douces. En bouche, très beau grain, plein de finesse et de densité. Tannins racés, qui tapissent la bouche de façon gourmande. Belle longueur, la finale s'étire... Du grand art!...
- Rouge 2006 :
Robe profonde. Nez très original, où les fruits rouges laissent un peu de place à la figue, aux fruits secs. La bouche révèle une certaine fermeté et un côté austère, mais la structure s'allonge en une finale complexe et multiple, fruits compotés, épices, olives.
- Rouge 2005 :
Rubis profond. Beaucoup de charme dans ce nez fruité, puis sur une pointe d'herbes de cuisine. Sur la puissance, avec un volume riche qui en impose. Pas bodybuildé pour deux sous, mais les tannins en imposent, avec toujours cette complexité d'expression, qui se termine sur une rétro remarquable de fruits rouges mûrs. Potentiel énorme!...
- Rouge 2004 :
Belle robe profonde. Le nez montre un soupçon de fruits confiturés, qui laisse soupçonner une lente évolution vers les arômes tertiaires. Un peu de rigueur dans les tannins plutôt serrés de prime abord, mais là encore, le vin est d'une expression délicate, nuancée, ce qui tend à démontrer la qualité de lecture du vigneron, pour chaque millésime.
- Rouge 2003 :
L'échantillon n'est pas net. Légèrement bouchonné.
- Rouge 2001 :
Légères traces d'évolution sur cette robe profonde. Une pointe de cerises à l'eau de vie au nez, un peu de fruits secs et d'épices. La bouche est droite, tonique, ferme. Une forme de rigueur, mais la finale est exubérante et complexe. Élitiste et généreux.
- Rouge 2000 :
Belle robe rubis, avec une nuance tuilée sur le bord du disque. Les arômes sont complexes et l'expression offre la gamme Trévallon : fruits rouges, herbes, épices... La bouche se montre homogène, soyeuse, très propre, rappelant les arômes présents au nez, mais la texture est séduisante, gardant une belle fraîcheur sur la longue finale.
- Rouge 1995 :
Reflets orangés foncés. Les arômes sont résolument tertiaires, sur le cuir et le menthol. Le vin est ouvert, avec un équilibre sur la fraîcheur de fruits rouges et une rétro minérale à souhait!... Superbe impression de flacon au top!...
Quelques impressions, en guise de conclusion : ce que montre cette dégustation, en premier lieu, c'est la qualité de lecture de chaque millésime et du terroir, par le vigneron Eloi Dürrbach. Et sans doute, de la combinaison des deux également, le tout basé sur une observation au jour le jour. C'est le propre du producteur qui est en phase avec son domaine, ses parcelles. Bien sûr, on n'oublie pas que Trévallon peut prétendre au statut de "Grand Cru", mais sans les dérives ultra-com!... Et avec la liberté immense de faire le choix, si nécessaire, de ne pas produire un millésime trop difficile, comme 2002. Devenu impensable à Bordeaux ou ailleurs, à ce niveau de notoriété et de qualité!...
Le blanc atteint les sommets et pourrait être aisément désigné comme parmi les meilleurs compagnons de la table et de la cuisine. L'apport d'une petite proportion (à ce jour) de grenache blanc, comme c'est le cas en 2009 pour la première fois, va sans doute donner encore plus de complexité et d'ampleur à ce vin rare. Pour le rouge, une telle verticale traduit vraiment l'authenticité du cru et l'expression fidèle du millésime et ce n'est pas la moindre des belles surprises de cette journée!...