Un vigneron au tribunal (2) : Anjou feu! Anjou libre!...
Nous nous étions quittés le 2 octobre dernier, par une belle journée automnale à Angers. En ce 5 mars 2014, nous nous retrouvions à proximité ou au pied même du monument aux morts des deux guerres, face au Palais de Justice, pour en quelques sortes, apporter notre soutien aux vins vivants, en même temps qu'à Olivier Cousin, confronté pour la seconde fois en quelques mois, aux affres d'une audience judiciaire.
L'après-midi a des relents printaniers, après un hiver particulièrement pluvieux et désagréable. Cette météo plaisante, aux deux extrémités de l'attente séparant les deux audiences, avait valeur de symbole, un peu comme si la nature s'était mise entre parenthèses pendant cinq mois. Le printemps allait-il renaître, comme pour rappeler l'été indien de l'année passée?
Les quelques nuages blancs survolant la Place Leclerc dans un ciel azur étaient presque les mêmes que ceux d'octobre. Nombre de participants étaient également les mêmes, à peine plus nombreux, évalués à deux cents personnes selon les organisateurs, les chiffres de la Police étant inconnus, pour cause de panne de drones!... Parmi eux, nombre de vignerons d'Anjou, du Saumurois ou de Touraine, mais aussi quelques-uns venus de plus lointaines provinces, tels Michel Gahier et Étienne Thiébaud, accourus du Jura et d'Arbois pour l'occasion, sans oublier Dominique Derain, confronté quant à lui, depuis quelques semaines, à une forme d'arbitraire qui peut s'avérer ravageur comme un insecte indésirable (perte de l'AOC pour ses Pommard et Gevrey-Chambertin notamment). A noter aussi Michel Tolmer, de passage quasi incognito. Les conversations évoquaient souvent un autre jugement récent, celui d'Emmanuel Giboulot, autre vigneron bourguignon, poursuivi pour avoir refusé de traiter ses vignes contre la cicadelle (vectrice de la redoutable flavescence dorée) alors qu'elles n'étaient pas atteintes et relativement épargné par le tribunal de Dijon (1000 € d'amende, dont la moitié assortie du sursis, jugement en délibéré au 7 avril prochain).
Certains ne manquaient pas de rappeler à quel point ils (les vignerons en bio) étaient parfois et dans certaines appellations, les cibles de divers organismes officiels, dépêchant régulièrement (disons beaucoup plus régulièrement que chez d'autres!...) leurs émissaires fouillant les documents dans les moindres détails, sans vergogne et procédant à quelques prélèvements débouchant parfois sur des décisions pour le moins arbitraires et non fondées. Peut-on parler d'une quelconque forme d'équité, lorsque d'aucuns sont contrôlés entre quatre et huit fois plus que leurs voisins?... Dans d'autres domaines, on aurait vite fait de dénoncer vivement cette forme d'acharnement!...
De plus, la réglementation est telle qu'il faut être extrêmement vigilant à l'emploi des termes figurant sur les étiquettes et la mésaventure d'Olivier Cousin le rappelle au passage. Certains auront tôt fait de parler de provocation, mais parfois, il s'agit purement et simplement d'une méconnaissance ou d'une "mauvaise lecture" des règles précises.
Sur les coups de quatorze heures, à l'heure de gravir les marches du Palais de Justice d'Angers, le vigneron n'ignorait rien de ce qu'on lui reprochait, mais il pouvait compter sur ses soutiens présents, même si tous n'accédèrent pas à la salle trop exiguë du tribunal. Chacun espérait au passage une certaine clémence, car les enjeux (financiers, entre autres) n'étaient pas forcément anodins.
La durée des débats ne manqua pas d'éprouver la patience de tous les participants à cette après-midi, puisqu'il fallut attendre presque dix-sept heures pour en connaître le terme. Il fallait bien que Maître Éric Morain, avocat d'Olivier Cousin, s'exprime complètement lors de sa plaidoirie, pour répondre aux six infractions relevées par les plaignants et notamment l'INAO soi-même. Il le fit parfois avec une pointe d'humour (pas inutile avec ce genre de crispation), non sans démontrer que certains reproches s'avéraient infondés (cas des bouchons, semble-t-il, pour lesquels aucune interdiction précise n'existe) et tout en relevant au passage quelques imprécisions, qui amusèrent parfois les spectateurs.
Mais, pour les supporters présents sur la place, la séquence émotion du jour était à venir. En effet, au moment où Olivier Cousin repassait sous les colonnes du bâtiment, Joker, chevauché par une jolie amazone andégave, gravissait les marches du Palais pour venir à la rencontre de son partenaire de travail et parfois de balade, quelques peu impatient sans doute de retourner dans les rangs de vigne de Martigné-Briand. La scène fut accueillie par la clameur qu'on imagine et pour chacun, il ne restait plus qu'à apprécier la douceur de la soirée angevine, en espérant que la Justice ne prenne pas trop ombrage d'une telle démarche quelque peu... cavalière!...
Pour ce qui est du contenu du jugement lui-même et sur la base d'échanges au terme de cette journée, tout en croisant le verre la corne, nous pouvons affirmer de sources très proches du dossier (selon la terminologie dont il convient d'user dans ces circonstances) que l'amende de 5000 € avec sursis était réclamée au bénéfice de la Fédération des Viticulteurs d'Anjou-Saumur (plus, à priori, 1 € symbolique pour l'INAO, partie civile dans ce procès). A propos des infractions constatées en 2010 et 2011, les chiffres restent à confirmer. Des sources journalistiques affirmaient dès hier soir que l'ensemble portait sur 23603 bouteilles, avec des amendes de 0,10 à 0,26 € par bouteille, soit un total allant de 2360 à 6130 €. Parfois, il était plutôt question de 0,10 à 0,20 € sur un total différent de 9000 bouteilles environ. Reste sans doute à obtenir et arrêter le total réel, au regard des seules infractions retenues, ce que nous confirmeront peut-être des spécialistes en la matière (à voir aussi par là). Affaire à suivre donc, mais entre 1000 et 6000 €, la pilule à avaler n'est pas de la même taille!... Là encore, le tout est mis en délibéré par Madame la Présidente jusqu'au 4 juin prochain, après que Maître Morain ait demandé la relaxe pour la "tromperie sur les étiquettes" et une dispense de peine pour les contraventions.
Laissez le vin bio en paix!... pour reprendre le titre de la tribune de JP Géné, parue dans Le Monde du 28 février dernier. C'est un peu le sentiment qui flottait dans les esprits de tous les amis et soutiens d'Olivier Cousin présents ce jour, même si beaucoup de vignerons, ayant fait le choix d'une viticulture respectueuse de l'environnement et de la santé des consommateurs, aspirent à une reconnaissance complète et sincère, sans conserver en permanence au-dessus de la porte de leur cave, les épées de Damoclès issues de la panoplie de tels ou tels organismes, dont l'action se résume souvent à servir des intérêts à tendance lobbyiste. Lors de l'apparition des AOC, dont les premières datent de 1936, la défense d'un travail issu de la transmission orale entre générations était la priorité. Cela intégrait des choix et des connaissances techniques que certains progrès technologiques ont ensuite contribué à renforcer, mais pour combien d'autres de ces supposées avancées, qui n'ont cessé de dénaturer le vin par les effets d'un productivisme acharné?... Vivre avec son époque, où chacun en veut pour son argent de manière absolument simpliste, inclut-il un aveuglement communautaire?... Nous sommes finalement de plus en plus nombreux à croire que la tromperie n'est pas le fait de ceux, restant une minorité à ce jour, qui prônent une seconde voie et même dans le cadre de l'AOC, parce que parfois, elle le vaut bien!... Et si leur camp ne s'élargit pas, tant mieux, nous pourrons encore, pour quelques temps, nous partager du vin d'Anjou d'Olivier Cousin!...