Axel Prüfer, Le Temps des Cerises, au Mas Blanc
Cela fait dix ans que Axel Prüfer s'est installé au Mas Blanc, à La Tour sur Orb. Lorsqu'on est dans la région, il faut l'inscrire sur ses tablettes. Incontournable. Pour certains amateurs, il en va de même du Chai Christine Cannac, à Bédarieux. "Ce serait quasiment une faute professionnelle de ne pas y passer!..." m'a-t-on soufflé peu avant notre départ. En sortant de chez François Aubry, à Brenas, nous n'avons que quelques kilomètres à parcourir pour aller y apprécier quelques verres et un succulent jarret aux lentilles. A proximité, sur la terrasse, quelques personnes partagent un verre autour d'une barrique, en goûtant la douceur de la soirée. Tiens! Mais, c'est Axel Prüfer!... Inutile d'user du portable, rendez-vous est pris pour le lendemain!...
Dans ces derniers jours de juin, la chaleur est là. C'est aussi la période des fêtes de fin d'année dans toutes les écoles. Axel a promis à ses enfants qu'il serait présent pour le spectacle auquel ils participent. Pas question de rater ça, cette fois!... Mais, il reste un peu de temps pour déguster et évoquer son parcours. Un personnage un brin lunaire, Axel! Avec sans doute des traits de caractère qui lui donnent une sorte de résonance romantique. mais, c'est peut-être la pointe d'accent allemand qu'il a gardée, qui y contribue. Quelqu'un qui ne manque pas de caractère, tout bonnement néanmoins et que l'on devine fidèle à ses idées et à ses engagements, au-delà de supposés idéaux.
Il est au coeur du Languedoc depuis dix ans, mais en France depuis 1998. Ces quelques années intermédiaires, semées de découvertes et de rencontres diverses, ont peut-être aussi participé de cette sorte de légende qui flotte autour de lui. Sans doute, parce qu'il ne parlait que la langue de Goethe à son arrivée et que quelques traductions approximatives (nous ne sommes pas si nombreux que cela, à bien pratiquer l'allemand en France!) de ses explications en ont fait une sorte de héros moderne, qu'il ne cherchait pas à être.
C'est neuf ans après la chute du Mur de Berlin qu'il gagne la France, alors que la réunification allemande actée depuis déjà longtemps, n'empêche pas la Bundeswehr de réunir ses jeunes gens sous les drapeaux, afin qu'ils effectuent leur service militaire. Une idée qu'Axel Prüfer ne supporte guère et il met cap au sud et à l'ouest avec sa compagne qu'il connaît depuis longtemps, puisqu'ils étaient dans la même classe depuis l'âge de sept ans!... De plus, celle-ci a déjà eu l'occasion de découvrir la région et l'escapade estivale devient définitive. Néanmoins, il évoque volontiers ses souvenirs d'une enfance heureuse en RDA, sur la base des fondamentaux de la solidarité, grâce au communisme ou au socialisme de l'époque. Je vous parle là d'un temps... Le temps des cerises, en fait!...
En 2002-2003, il vinifie sa première cuvée avec l'aide de Jean-François Nicq, qui est encore à Estézargues, après avoir trouvé quelques arpents de vignes. L'option du "tout nature" est pour lui comme une évidence, ainsi qu'une vinification en macération carbonique, méthode adoptée et confirmée désormais.
"Vous ne pouvez pas vous tromper, le nom du domaine est marqué en gros sur le portail!..." L'humour est quasiment une constante chez Axel Prüfer. Il nous propose très vite de déguster quelques échantillons et notamment le blanc, La Peur du rouge 2010, qui a tout ce qu'il faut pour jeter le trouble sur les papilles des amateurs!... En fait, depuis son installation, le vigneron n'a fait que des rouges (trois dès ses débuts), à l'exception d'une tentative "foirée" sur une base de chardonnay et d'une cuvée de viognier en 2007, qu'il destinait en premier lieu à la cuisine!... Mais, le choix de la carbo en fait un vin pour le moins tannique et il reste caché, jusqu'à ce qu'une redécouverte tardive ne le remette sur le marché.
Mais, en 2010, il trouve une petite annonce dans un journal local : "Vigne à vendre sur le causse." Le prix demandé est pour le moins prohibitif, voire dissuasif, puisqu'il atteint deux fois le prix d'un hectare de l'AOC Faugères, alors que nous sommes là en Vin de table! Mais, le couple habite à proximité et Axel se disait depuis quelques temps, qu'un jour peut-être... Il fait donc le forcing auprès des propriétaires et enlève l'affaire, alors même que d'autres candidats, désireux sans doute d'arracher la vigne et faire construire, en lieu et place du vieux mazet en ruines, font de la surenchère.
Il faut dire que le jeu en vaut la chandelle, tant le lieu est magique ("nous avons toujours cherché des vignes avec une jolie vue..." humour!) et nous n'avons pas besoin de trop insister, pour qu'Axel nous amène sur place, malgré le risque d'être en retard, car cela lui permet, au passage, de vérifier la présence d'éventuelles traces d'oïdium. Il y a là deux hectares de chardonnay, à 450 m d'altitude. Le sol? Du calcaire, rien que du calcaire, sur un sous-sol argileux, sur le causse de Bédarieux, dont les pierres sèches ont été régulièrement extraites, au point d'entourer le clos de murs de deux mètres de hauteur et d'épaisseur. Au début, le vigneron pense que cette vigne, plantée à 2,50m, pourra être surgreffée, avec du terret ou du picpoul, mais le manque de temps et de moyens a remis cela à plus tard. Ici, le vent dominant vient du nord. Anciennement, la parcelle du bas était réservée aux bêtes, dans le cadre d'une polyculture classique dans la région. Elle fut ensuite plantée de blé et on identifie aisément, d'ailleurs, une aire de battage devant le mazet.
Pour ce 2010, les vendanges ont débuté vers le 18 ou le 20 août, puis se sont prolongées chaque week-end. Les deux premières cueillettes traitées en presse directe et les dernières en macération carbonique de cinq à six semaines, sauf l'ultime ramassage, qui avait atteint le stade de la vendange tardive. "Le chardonnay n'a rien a faire dans le sud! Même à cette altitude, il perd son acidité. Analytiquement, pour ce vin, il n'y a pas d'acidité, ce sont les tannins qui délivrent une sorte d'acidité tactile. Ça ne vaut pas la Loire (humour toujours!), mais je suis très content lorsque les gens n'identifient pas le chardonnay!..." On y trouve des notes exotiques (litchi), après que la trame aromatique fut plus florale au début, selon le vigneron. En 2012, avec la surmaturité, c'était plus sur la mangue et l'ananas. En revanche, en 2011, les jus issus de la fin de la cueillette ont permis la production d'un pet' nat'.
Le domaine compte actuellement sept hectares et quatre personnes y interviennent. Jusqu'à maintenant, toutes les interventions étaient manuelles, mais il se trouve que l'avant-veille de notre passage, Axel Prüfer a apposé sa signature en bas d'un bon de commande pour son premier tracteur, avec l'espoir notamment d'optimiser les traitements et de soulager son dos, lui qui est désormais libéré des affres et des souffrances d'une hernie discale.
Les premières vignes se situaient à Colombières. Un fermage dont le vigneron dispose toujours. Essentiellement, du carignan, plus une bande de grenache sur les granite-quartz de l'ancien lit de l'Orb, avec non loin de là, la montagne du Caroux qui, avec ses mille mètres d'altitude, bloque les entrées maritimes, ce qui fait qu'on ne craint guère la sécheresse dans le secteur. Les deux cépages, vinifiés ensemble, composaient depuis l'origine la cuvée Avanti Popolo, bien connue des amateurs. Tout prêt de cette parcelle, une autre sur des terrasses de schiste, plantée à égalité de carignan, de grenache et de cinsault vinifiés ensemble, malgré les différences de maturité et destinés à la cuvée Fou du Roi. Ce choix de vinification est sans doute né d'une conversation avec Olivier Cousin, celui-ci évoquant les méthodes ligériennes anciennes, pour lesquelles les tris à la vigne n'étaient pas alors le mode privilégié de vendanges. "C'est sans doute ce qui fait le charme de ce vin!"
A noter aussi une autre cuvée, Les Lendemains qui chantent, issu d'un grenache planté sur le causse et sur granite-quartz, à 450 m d'altitude également et exposé nord, avec pour conséquence évidente, des vendanges très tardives, puisqu'elles se déroulent souvent début octobre, ce qui est très tard pour la région. Entre temps, était apparue la cuvée Un pas de côté, mais Axel s'est séparé de ces vignes plutôt difficile... Plantée sur des sables granitiques, mais dans un endroit plus chaud, vers le pont de Tarassac, en suivant la vallée qui mène à Olargues, elle laisse au vigneron des souvenirs douloureux de fracture de côtes et de traitements laborieux avec la brouette à sulfater. La version 2007 était issue de grenache, puis ensuite ce fut une association de grenache et de merlot. Seule réelle satisfaction, avoir pu céder cette parcelle à un domaine en bio et qui propose des vins nature.
A propos de ce type de vins, les amateurs et certains professionnels ont souvent dit que Axel Prüfer proposait parfois des cuvées quelque peu... rock'n'roll!... Une augure qu'il accepte volontiers, même si les soucis rencontrés parfois ne sont en rien volontaires. Il précise avoir fait quelques essais de sulfitage "raisonnable" (20, maxi 30 mg, plutôt que les 80 inacceptables, voire plus!) jusqu'en 2008, essais qu'il a vite estimés peu efficaces. En revanche, il s'est toujours interdit d'utiliser des enzymes, mais il lui est arrivé, naguère, de doper les levures, lorsque les vinifications patinaient quelque peu, non sans l'avoir signalé au passage.
Quelqu'un frappe au portail. C'est François Aubry qui vient se mêler à la dégustation en cours. Il tombe bien, puisqu'en tant que vigneron nature labellisé de la région, il va pouvoir apprécier avec nous quelques OVNI, comprenez bien objets viniques non identifiés!... En premier lieu, Fatal Brutal 2013. Quelque chose de spécial, sur une base de raisins de table (ceux qui se trouvent au sommet du clos, sur le causse et qui seront peut-être un jour surgreffés avec du cinsault... ou de l'oeillade - private joke), mais il ne restait pas assez de volume pour faire un pressoir. Il a fallu ajouter un peu de carignan égrappé à la main et le tout est passé sur les marcs des carbos de grenache. Une recette non approuvée par les canons de l'oenologie moderne!... Un jus de raisin qui atteint les 7,5°, catégorie plaisir immédiat!... Ça se glougloute grave!... Pour le millésime précédent, il s'agissait de Brutal Fatal, en provenance du secteur de Colombières, qui va encore très bien.
Deux exemples de cuvées qui illustrent en même temps le travail et la personnalité d'Axel Prüfer, un vigneron volontiers rieur, façon pince sans rire parfois, mais qui, dans la minute suivante, peut vous faire part avec force, de toutes ses convictions en matière de pratiques viticoles et vinicoles. De par son engagement déjà ancien, il reste attaché au devenir de l'AVN (Association des Vins Naturels) et attentif au développement, parfois exponentiel, de certains salons et regroupement de vignerons, comme La Remise, même s'il ne peut que se réjouir de l'apparition de domaines, travaillant respectueux de l'environnement et de la santé des producteurs et des consommateurs. En à peine une dizaine d'années, le voilà devenu une sorte de référent, dans le style des vins proposés, avec quelques autres dans le Roussillon, le Rhône et l'Ardèche, par exemple. Pour notre plus grand plaisir.