Julien Braud, la nouvelle vague en Muscadet
Début février glacial. En cette matinée, à Monnières, il fait froid à fendre l'amphibolite!... Pour un peu, le village serait jumelé d'office avec Mouthe, aimable localité jurassienne*, que dis-je? du Haut-Doubs, qui détient nombre de records de basses températures, là où le mercure des thermomètres gèle, dit-on, comme en janvier 1985, mais peut-être cela tient-il de la légende?... Cet hiver froid est plutôt le bienvenu pour les vignerons, qui ne craignent pas de passer des journées dehors à tailler, plutôt que subir la pluie.
Peut-être quelques amateurs et assimilés ont-ils déjà eu vent des premières cuvées proposées par Julien Braud?... Voire quelques pros, récemment, lors de la Levée de la Loire et ceux qui fréquentent, de temps à autre, la belle restauration nantaise, comme Les Chants d'Avril. Pourtant, ce membre de la nouvelle vague du Muscadet, n'en est qu'au tout début de son histoire, mais la passion qui l'anime va certainement lui permettre de rejoindre très vite les référents du vignoble local (si ce n'est déjà le cas!) et peut-être même, d'être un des leaders de la génération montante.
Le Muscadet, que l'on dit parfois maritime, au regard de la proximité de l'Océan Atlantique et de son influence climatique, n'est pas loin de déborder de belles cuvées à découvrir et à mettre en valeur. Et tout cela avec le melon B, ou melon de Bourgogne, fils du gouais blanc et du pinot noir (comme nombre de cépages de la famille des Noiriens), introduit sur les coteaux de la Loire dès 1635, semble-t-il et plus certainement après 1709 et son hiver glacial, au cours duquel la mer gela et les vignes aussi!... (Et à Mouthe, quelle température fit-il cette année-là?...) Une variété de vigne adaptée à la région, ainsi qu'à ses sols et sous-sols, comme tend à le démontrer ce travail assez récent, permettant désormais de délimiter des Crus Communaux (Le Pallet, Clisson, Gorges, puis en cours de certification, Château-Thébaud, Monnières-St Fiacre, Mouzillon-Tillières, Goulaine, voire Vallet et La Haye-Fouassière), où granite, gneiss, orthogneiss, gabbro et amphibolite influent sur la dimension organoleptique des jus, avant même le travail des vignerons et l'influence de l'élevage.
Les premières cuvées de Julien ne manquèrent pas d'interpeller Vincent Caillé, vigneron monnièrois lui aussi. Il faut dire que leurs parents se croisèrent souvent, puisque leurs caves respectives étaient naguère voisines, au coeur du village. Julien Braud y est resté, puisqu'il dispose là d'un local et de quelques cuves souterraines aux dimensions raisonnables, celles du domaine familial n'ayant jamais atteint les volumes (100 hl!) apparus voilà quelques décennies dans le secteur.
Le jeune homme, âgé de 28 ans, au terme de ses études d'ingénieur viti-vini effectuées en alternance dans le Lyonnais et d'un apprentissage en Beaujolais, dans un domaine de Romanèche-Thorins, terre du cru de Moulin à Vent, revient au bercail pour les vendanges 2009. Quelque chose de logique, puisque Monnières et sa terre natale étaient connues jadis pour être le "pays des moulins"! Pendant trois ans, il travaille avec ses parents sur le domaine familial - Domaine du Fief aux Dames - où se succédèrent cinq générations, plutôt dans un mode conventionnel. Mais, Julien exprime alors, en 2012, sa volonté de travailler en bio, tout en cherchant à distinguer les terroirs. Il propose donc de reprendre trois hectares, tout en continuant à travailler à mi-temps avec son père. Il acquiert en plus quelques parcelles qui étaient en fermage et reprend deux hectares, du côté du Moulin de la Justice, à un vigneron cessant son activité. Soit un total de 7,8 ha aujourd'hui, dont 5,5 ha en production pour le millésime 2014. Notez que certaines parcelles, plantées en 1936, représentent un véritable patrimoine, mais elles devront néanmoins être arrachées et replantées avant longtemps.
Découverte des premières vignes dans le secteur de la Croix Barré, à quelques encablures seulement du bourg. Ce coteau légèrement bombé est connu pour être celui des Quarterons. Un site que Julien Braud affectionne particulièrement, avec ces vignes familiales datant des années 50, où il espère prélever des greffons, en vue de futures massales. Nous sommes ici sur le gabbro du Pallet (le village sur l'autre rive, en face), à gros grains et plus filtrant, par opposition au gabbro de Gorges et ses sols plus "argilisés", s'apparentant plus à l'altération des gneiss du secteur. Une butte rive gauche de la Sèvre Nantaise, bien ventilée et séparant le bourg de la rivière. Jadis, les moulins étaient alignés jusqu'à La Minière. Au total, pas moins de deux à trois hectares sur ce coteau, friche voisine comprise, sur laquelle, il ne manquera pas de planter quelques céréales, avant de faire "remonter" quelques droits. En effet, dans le village même, quelques petites parcelles, dont certaines sur des amphibolites, seront sans doute arrachées à moyen terme. Cette roche métamorphique, rendue désormais célèbre par Jo Landron, n'est pas affleurante ici et donc, les sols sont beaucoup plus riches. Conséquence, les vins sont résolument sur le fruit et ne permettent, selon le vigneron, que la production d'une bulle.
Inutile de préciser à quel point Julien est attaché aux notions de terroir. A la roche bien sur, mais aussi à la structure des sols qui conditionne beaucoup de choses. "Lorsqu'ils sont plus ou moins argilisés et plus ou moins sableux, cela influe énormément sur l'écoulement des eaux, la réserve utile en eau des terrains, mais aussi en azote et autres nutriments, avant même de parler d'expositions ou des vents dominants."
Avant de passer à l'ouest du village, afin de découvrir le secteur des Jeunetais, petite visite à deux des vedettes locales : Othello et Volcan. Le premier est un superbe Percheron gris de treize ans, le second est un Breton brun de six ans, déjà impatient de travailler, même s'il a encore tout à apprendre (avec Frédéric Carlier dans la Creuse) ou presque, volontiers dominant. Ils sont pour l'heure dans un pré pentu dominant un méandre de la Sèvre et ils n'ont pas manqué d'interpeller les habitants de la commune!... Pensez donc, travailler avec le cheval dans le Muscadet!... Certains ont du se frotter les yeux!... C'est l'épouse de Julien, Apolline, passionnée de chevaux, qui lui a transmis le virus. Et depuis, le vigneron travaille les sols et peut constater à quel point il va pouvoir limiter le tassement de ceux-ci.
Ensuite, traversée de Monnières pour rejoindre le plateau des Jeunetais, non loin du Moulin de la Justice. Cette très belle parcelle donnant sur La Hallopière et dans laquelle le rocher affleure, est séparée par un chemin, des Grandes et Petites Herses où là, ce sont plutôt des gneiss altérés qui dominent, pouvant donner une bonne unité d'expression. Notez que si le vigneron appuie sur ces parcelles et leur identité, c'est que la tendance est à proposer avant longtemps des cuvées parcellaires, afin de conforter ce travail de fond. Une démarche quelque peu contrariée en 2012, puisque pour ses premières vendanges sur trois hectares, il ne récolta que 15 hl/ha en moyenne!... "On ne perd pas de clients, puisqu'on en n'a pas, mais, c'est quand même l'angoisse..."
A la vigne, au-delà du travail du cheval, Julien Braud souhaite mettre l'accent sur certaines phases essentielles à ses yeux, comme la pratique d'une taille redonnant un bon équilibre aux ceps et d'un ébourgeonnage attentif. Il utilise nombre de tisanes et décoctions, voire quelques préparations biodynamiques, sans pour cela, la moindre revendication jusqu'à maintenant.
Il n'est que de déguster les jus du millésime 2014 prélevés sur cuves souterraines, pour constater que le jeune vigneron de Monnières a déjà trouvé son style. Jusqu'ici, les mises des deux premières années ont été pratiquées en novembre, mais Julien va proposer, dès les prochains mois, une cuvée 2014 dite de printemps, genre pur jus de gneiss (duo de vignes des Barres et du Fay d'Homme, sur des gneiss plus altérés, situées dans le village), avec juste ce qu'il faut de fruits blancs (poire) et de fraîcheur, ce qui ne manquera pas d'agrémenter nos dégustations printanières de coquillages, marée du siècle oblige!... Les Jeunetais (dont le style s'exprime le plus souvent sur le pain grillé) et Les Quarterons (souvent anisés, voire mentholés à terme) associent pour l'instant des arômes citronnés et une jolie touche saline, soutenue par une belle acidité.
L'emploi des sulfites ajoutés est limité le plus possible, par une pratique régulière de la dégustation en cours d'élevage et par une grande rigueur (tri attentif lors des vendanges) lors des fermentations. La seconde fermentation, dite malolactique, est en principe bloquée (elle s'est cependant faite en 2014, du fait des pH hauts, épisode ni gênant, ni recherché) et un très léger sulfitage intervient lors des mises, précédées parfois d'une très légère filtration sur plaques.
Les Jeunetais 2013 expriment tout leur potentiel, avec de très beaux amers en finale. Partis pour dix-huit mois d'élevage sur lies, Julien n'en fera la mise qu'à l'été 2015 sans doute, lorsqu'il aura le sentiment que le vin est absolument en place. Les Quarterons 2013 disposent d'un beau volume et d'une mâche étonnante. Un équilibre et une expression aromatique qui devraient s'affiner encore, puisque ce jus, qui composera le futur "Monnières-St Fiacre", est parti pour trente mois d'élevage et seule la dégustation indiquera dans quelques temps, si cette phase mérite d'être prolongée six mois supplémentaires. N'oubliez pas de réserver, on ne le répétera pas!...
Des blancs donc, mais aussi bientôt des rouges!... Du moins, un rouge, puisque Julien Braud a aussi planté 69 ares de pinot noir sur des gabbro très peu altérés, mais aussi sur des gneiss. A priori, l'idée est de proposer une jolie cuvée sur le fruit et on est presque déjà impatients de la découvrir, tant le jeune homme, amateur de vins droits et rectilignes a, de toute évidence, une forte capacité à étonner les amateurs. Il fait donc, au passage, la démonstration qu'il est au coeur d'une région en mouvement, avec quelques acteurs volontiers innovants. Il cite d'ailleurs parmi ceux-ci, Manu Landron et sa compagne Marion, installés sur Le Pallet, mais dont les vignes se situent sur La Haye Fouassière pour l'essentiel, ou encore Rémi Sedes, sur les Coteaux d'Ancenis et Jacques Février, à Oudon, autant de vignerons que nous ne manquerons de découvrir in situ avant longtemps. La nouvelle vague nantaise, n'en doutons pas!...
*: Notez qu'il existe une autre commune du nom de Monnières... dans le Jura!