6è Paulée de l'Anjou noir, Bonnezeaux
Un évènement que les amateurs de ch'nin de l'Anjou noir ne rateraient pour rien au monde!... Le 17 juillet dernier, c'était la sixième édition de ce rendez-vous qui réunit les vignerons "engagés pour le respect de l'environnement, en adoptant une viticulture biologique ou biodynamique, mais aussi pour un respect du consommateur, en proposant des vins plus naturels et sans artifice". Parmi les participants et les invités, des restaurateurs, des cavistes, des journalistes, des blogueurs, souvent, pour la plupart, des clients fidèles. Après les premières éditions à Saint Aubin de Luigné, Chaudefonds sur Layon, Savennières ou dans le Haut-Layon, entre autres, cette fois-ci, cap sur Thouarcé (ou Bellevigne en Layon désormais!), aux confins de l'Anjou noir et du Massif Armoricain, là même ou l'Anjou blanc, le Bassin Parisien et leur calcaire tentent quelques incursions au coeur des schistes et autres roches de l'ère primaire.
Même si c'était là l'occasion de refaire un tour d'horizon des productions angevines, de par la présence d'une trentaine de vignerons de la vallée du Layon et jusqu'à Savennières, il était donc aussi possible de se pencher sur Bonnezeaux, une appellation qui pourrait avoir vocation à être élevée au rang de "Grand Cru", comme Quarts-de-Chaume, du fait des sites et terroirs exceptionnels qu'elle compte sur ses cent vingt hectares. Il n'est pas question d'évoquer cet aspect des choses pour raviver de vieilles querelles locales, mais il faudra bien qu'un jour, la légitimité supposée d'une telle classification revienne sur le tapis, même si ce sont les générations futures qui acceptent d'en débattre. Il faut dire que, comme le rappelle Jean-François Vaillant, du Domaine Les Grandes Vignes, hôte de cette 6è Paulée, le sujet fut bien abordé naguère, alors même que René Renou (décédé en 2006) était président du syndicat local, mais que cela provoqua un véritable tollé, voire un vent de folie, qui faillit emporter les ailes du moulin de La Montagne!...
On peut comprendre, de prime abord, les réticences des uns et des autres, à mettre en place de nouvelles classifications, notamment du simple fait que nombre de vignerons et de domaines pourraient être exclus du sommet de la hiérarchie, mais on en oublie peut-être un peu facilement la promotion globale que toute l'appellation pourrait en tirer. De plus, au final, on peut penser que les surfaces ainsi promues seraient très réduites et limitées à quelques secteurs remarquables des collines de La Montagne, du Mallabé, de Beauregard et peut-être de Fesles ou des Melleresses, à charge pour les géologues, tel Fabrice Redois, qui est dans son jardin en Anjou viticole et les vignerons de recenser même d'éventuels "Premiers Crus". L'établissement de cartes géologiques des sols, plus que des sous-sols, devrait permettre d'avancer sur le sujet de façon quasi incontestable. Après, ce n'est question que de bonne volonté... Je rêve?... A peine!...
Bonnezeaux, c'est donc 120 hectares en AOC, mais seule une centaine est revendiquée par les quarante cinq vignerons du cru. Un nombre important de producteurs donc et l'on comprend mieux pourquoi la majorité absolue peut être difficile à atteindre, lorsque le syndicat se réunit... Le plus surprenant peut-être, c'est que malgré la dynamique actuelle en faveur d'une viticulture biologique dans la vallée du Layon et en Anjou, l'appellation reste pour le moins hermétique à la méthode. On connaissait naguère le Bonnezeaux bio de Mark Angeli, ceux désormais de Jean-François Vaillant, mais aussi de Benoît Rocher (Closerie de la Picardie), qui est dans sa troisième année de conversion, mais c'est tout!... Le Château de Fesles, qui avait converti tous ses chenins au bio, a fait machine arrière depuis un an. A noter cependant que l'emploi de désherbants chimiques est désormais proscrit dans l'appellation... de manière conventionnelle. Notons enfin que la perspective nouvellement apparue et discutée de proposer à l'avenir des Quarts-de-Chaume et des Chaume secs, pourrait inspirer les vignerons du cru à suggérer à l'INAO la possibilité de produire des Bonnezeaux secs sur le même principe. Mais, nous n'en sommes encore qu'au stade des éventualités. Il faut donc laisser le temps au temps. Le nom de ce cru, Bonnezeaux, est cité en 1055 par les moines du Gué du Berge. C'est un nom d'origine celte, qui fait allusion à une source ferrugineuse aujourd'hui disparue. Cependant, des thermes ont existé à Thouarcé de la période gallo-romaine jusqu'au début du XXè siècle.
La Paulée de l'Anjou noir réunit donc de plus en plus de participants : 80 en 2012, sous l'impulsion notamment de Jo Pithon, à l'origine de cette initiative, puis 120 et plus les années suivantes, 265 en 2016 et certainement plus de 300 cette année. C'est aussi une association présidée par Charlotte Carsin, du Clos de l'Elu, à St Aubin de Luigné. Programme du jour : 4,3 km de marche à pied dans le vignoble, côté La Montagne, au départ du restaurant Les Terrasses de Bonnezeaux, naguère l'ancienne gare de Thouarcé-Bonnezeaux. Nous sommes là sur le tracé de la ligne reliant Poitiers à Angers, appelée localement "ligne du haut", par rapport à la "ligne du bas" qui relie Chalonnes sur Loire à Poitiers, en longeant le Layon. Ces "lignes" sont devenues des sentiers de randonnée, bien appréciés des amateurs, qu'ils soient cyclistes ou pas, puisque ces voies ont été abandonnées depuis 1944 pour la première, suite aux bombardements des ouvrages par les Alliés et 1953 pour la seconde.
Bien sur, la balade est agrémentée de pauses à caractère informatif, voire didactique. La première est proposée par Fabrice Redois, qui évoque sans pareil le paysage, ses formes, ses couleurs, mais aussi, bien sûr, le terroir, ses composantes géologiques, ses influences climatologiques. En quelques minutes et en quelques phrases, il met notre cerveau en éveil. Après cela, inévitablement, on ne marche plus le nez en l'air (en tout cas, moins) et on scrute la terre et les cailloux sous nos pas.
Deuxième étape, après quelques centaines de mètres dans les vignes, pour découvrir les chevaux d'Arnaud et Marie-Astrid Place, des prestataires de la région intervenant de plus en plus dans les parcelles angevines. Marie a fait le choix d'une des dix races de chevaux de trait reconnues et élevées en France : les Poitevins mulassiers. La race la plus menacée de disparition, puisqu'en 2011, on ne comptait que 71 naissances, alors qu'on dénombrait la même année 1142 Percherons et 4177 Comtois, par exemple. Marie nous explique au passage qu'à ses yeux, le travail avec le cheval est bien une activité à part entière, avec toutes les exigences fortes que cela implique. De toute évidence, elle trouve louable que quelques vignerons aient opté pour des travaux en vigne moins mécanisés, tout en étant très tentés par le contact et la relation avec l'animal, mais il lui semble difficile de tout concilier, sachant notamment que le cheval a besoin d'une attention et d'une activité régulière et même annuelle. En tout cas, elle insiste au passage sur la nécessité d'une réflexion approfondie en amont, en faisant fi de quelques idéaux, pas souvent en accord avec la réalité de notre quotidien.
Nous passons ensuite à la troisième station du périple (rassurez-vous, il n'y en aura pas douze, c'est loin d'être un chemin de croix, même si on en trouve parfois, au détour d'un chemin!), en compagnie de Mark Angeli, du Domaine, que dis-je, de la Ferme de la Sansonnière, qui évoque l'agroforesterie. Une technique agricole qui a tout d'une innovation récente, puisqu'elle revient dans les conversations depuis peu, mais qui en fait existe depuis bien longtemps. Après tout, on a souvent dans nos mémoires des images de moutons en train de paître sous les cerisiers ou les pommiers. Parce qu'en fait, il s'agit bien de cela : utiliser un même espace agricole pour deux modes de culture juxtaposés, qui n'entrent pas en concurrence, plutôt que le dédier seulement à la vigne, par exemple. Précisions au passage qu'il faut donc intégrer l'arbre dans un environnement de production, comme peuvent le faire des maraîchers en intercalant des rangées de fruitiers, par exemple, au milieu des rangs de légumes. Exemple de filière intégrant l'arbre dans leur cahier des charges, le Pata Negra, les cochons élevés (et le jambon cru qui en est issu) au coeur de la Dehesa espagnole, système agroforestier couvrant quatre millions d'hectares en Espagne et au Portugal, où sont associés les chênes verts et les chênes liège, autant pour l'élevage que pour les céréales. En France, les porcs noirs de Bigorre, voire quelques élevages de volailles relèvent du même principe. En tout cas, une très belle parcelle chez Mark Angeli, qui en profite pour évoquer certaines de ses expériences passées, pas toutes couronnées de succès, comme la plantation en foule de vignes franches de pied qu'il a du arracher, ou la nécessité de surgreffer certaines parcelles de cabernet sauvignon, cépage finalement peu adapté à la région, selon lui.
Le vigneron de la Sansonnière est aussi connu pour être un des plus actifs en matière de soutien aux jeunes désirant s'installer dans la région. Ils sont désormais nombreux à être venus vendanger chez lui un jour et à avoir fait le choix de vie si particulier d'être vigneron angevin. Mais, ce pourrait être n'importe où, ou presque... Cette démarche volontariste et résolument militante, permet aux jeunes nouvellement installés d'intégrer dès la première année, les salons réservés aux professionnels se déroulant fin janvier ou début février (Greniers St Jean, La Dive...) à Angers et Saumur, avec pour but d'écouler le premier stock issu d'un tout premier millésime. Un véritable défi, mais quelque chose qui permet de mettre le pied à l'étrier, tant les aspects commerciaux peuvent rebuter parfois et pour peu que le vigneron débutant "ne rechigne pas à se lever tôt le matin!..." Comme le rappelle au passage Mark Angeli!...
Un petit tour en calèche pour regagner le Domaine des Grandes Vignes, où chacun pourra, verre en main, apprécier la récente production de la trentaine de vignerons participants, mais aussi aborder les grands principes de la biodynamie, méthode adoptée par quelques-uns de ceux-ci. Dégustation toujours intéressante, malgré la chaleur ambiante de cette journée, où l'on note à quel point il est possible de rafraîchir sa mémoire olfactive et gustative, quant aux "styles" des domaines les plus connus notamment. Les Baudouin, Laroche, Laureau (pour ne citer que ceux-là) ont une identité qui leur est propre, en particulier pour ceux qui ont l'habitude de déguster leurs vins régulièrement. Il en est de même d'autres vignerons du secteur, absents lors de cette journée (Leroy, Delesvaux...). Doit-on appeler cela "la patte du vigneron" ou s'agit-il à proprement parler de "l'identité terroir"?... Beau débat en perspective!... Au passage, à noter la très belle cuvée Ephata 2014, élevée en amphores pendant un an, par le Clos de l'Elu, cher à Thomas et Charlotte Carsin, ainsi que Le Bel Ouvrage 2014, l'un des Savennières de Damien Laureau, même si le prix public de ces deux cuvées contribue à en faire des vins rares et presque inaccessibles au commun des mortels, fut-il cheninivore!...
Après l'effort, le réconfort!... Les chevaux et les enfants d'abord!... Chacun prit la direction du chai à barriques climatisés du domaine, afin de se restaurer d'un cochon grillé notamment. Un repas qui est toujours l'occasion de dialoguer avec les uns et les autres, en croisant le verre et en évoquant la prochaine édition, qui devrait se dérouler au Château du Breuil, début juillet 2018, cette fois, sans qu'il ne soit nécessaire de se préoccuper de la date de la finale de la Coupe du Monde de football ou du départ du Tour de France cycliste!...