Voyage initiatique, estival et gourmand en Sardaigne (2)
Dans ce secteur ouest de la Sardaigne, les routes colorées de jaune de la carte Michelin sont souvent bordées de vert. Indiscutablement, les paysages valent le détour!... En fait, depuis la Costa Verde, un peu plus au sud, jusqu'à Bosa et l'embouchure du fleuve Temo, s'étend une côte propice aux séjours estivaux, mais protégée de toute construction et station balnéaire dédiée au tourisme de masse. Nous ne sommes pas très en avance, mais Pietro Marchi prend le chemin des écoliers en vacances, afin de faire un détour par S'Archittu, au paysage de calcaire et aux plages de sable blanc. Chaque soir, les touristes prennent le petit chemin côtier et se retrouvent face à l'arc taillé dans la pierre blanche par la mer et le vent, d'où les plus téméraires plongent d'une hauteur d'une quinzaine de mètres. Pour ma part, je me suis contenté d'attendre le moment opportun, afin d'apprécier l'instant où le soleil couchant passe par cet arc. Un cliché que tous ceux séjournant dans la région ne manquent pas (voir Voyage initiatique, estival et gourmand 1). Incontournable!...
Nous trouvons aisément la petite route qui serpente et descend jusqu'à la mer. Nous sommes sur la commune de Magomadas, sur laquelle se situe l'essentiel du vignoble d'appellation Malvasia di Bosa. En fait, historiquement, la plupart des propriétaires de vignes habitait Bosa, la ville historique et principale du coin, c'est pour cela qu'on donna ce nom à la DOC. Une bonne partie du vignoble est divisée en parcelles d'un demi-hectare entourées de mûrs de pierres. Parfois, une maison comme celle de Piero Carta ajoute au charme de la région. A chaque instant, on découvre un panorama associant vigne, pinède, vergers et oliviers... Malheureusement, un paysage gravement touché par des incendies de végétation ces dernières semaines, à Porto Alabe notamment, mais toute la zone légèrement en retrait de la côte est largement touchée. Des fermes d'élevage, des maisons, des bâtiments divers, vingt mille hectares sont partis en fumée... Heureusement, alors même que je rédige cet article, je reçois des nouvelles de Piero qui a, par miracle, échappé au désastre. Le feu est passé à quelques centaines de mètres de chez lui, épargnant ainsi sa maison et ses deux ou trois parcelles de vigne. Ne reste plus qu'à vivre au quotidien, avec ces images d'un paysage calciné...
Piero Carta, fort de ses quelque deux hectares de malvoisie, a opté pour la tradition locale, s'appuyant sur ses souvenirs d'enfance. Depuis quelques années, nombre de producteurs locaux ont pris le parti de proposer des malvoisies douces, répondant à la demande de ce type de vins souvent destinés à l'apéritif. Mais, la malvasia di Bosa était historiquement oxydative et d'ailleurs, les hommes de la région se retrouvaient parfois, après la messe, pour évoquer, autour d'un verre, tout ce qui concernait la communauté. Il loue aussi une parcelle avec vue sur mer (voir en haut), qui surplombe celle appartenant au domaine de Giovanni Battista Colombu, décédé en 2012, mais dont on se souvient aisément, comme l'un des protagonistes de Mondovino, le film culte de Jonathan Nossiter. Dans la cave, sous la maison qui, si tout va bien, deviendra bientôt officiellement la cantina du domaine, on peut donc déguster quelques nectars et remonter les millésimes un à un. Autant de vins à découvrir à Perpignan, le 8 novembre prochain, à l'occasion du salon regroupant les producteurs de rancios secs et oxydatifs de toute l'Europe. A ne pas manquer!...
Après un petit détour par Bosa, port historique et pittoresque, dont les hautes maisons peintes aux couleurs pastel ont du inspirer nombre de peintres, puis une succulente pasta préparée par la compagne de Piero, Elisa, nous prenons la route afin de rejoindre le coeur de la Sardaigne, du côté de Nuoro, où nous avons pris rendez-vous avec Giovanni Montisci, vigneron à Mamoiada, ville traditionnelle de moyenne montagne, où le cannonau, cépage assimilé au grenache, est roi. Pour l'occasion, Piero et Giovanni m'ont réservé une surprise!... Le second fut longtemps mécanicien et garagiste dans son village, mais aussi pilote de rallye, dont les trophées glanés çà et là occupent les étagères du garage. Il est aussi propriétaire d'une Fiat 500 Abarth absolument vintage. Pour l'occasion, il est venu me chercher avec cette petite bombe, afin d'effectuer les derniers kilomètres et permettre à Piero et Elisa de regagner la côte. On connaît l'amour des Italiens pour la macchina, surtout quand elle est capable de performances!... Inévitablement, l'arrivée de Giovanni dans la rue principale de la petite ville déclanche une... certaine curiosité. On lève le capot, on discute et on apprécie comme il se doit le bruit inimitable de la bête!... Il reste une bonne quinzaine de kilomètres d'une jolie route sinueuse à parcourir, façon Monte Carlo!... Un régal!... Giovanni est aux anges et moi aussi du coup!... Vroom!...
Ce qu'on peut appeler le Centre-Est de la Sardaigne est surtout constitué de la Barbagia, un nom venant du latin Barbaria utilisé par les Romains qui, comme nombre d'envahisseurs ne se risquèrent jamais dans ces montagnes. Ici, c'est plus précisément la Barbagia Ollolai. L'habitat y est traditionnellement regroupé, car les habitants ont, de tout temps, préféré éviter d'être isolés. D'ailleurs, un quartier de Mamoiada, que l'on appelle Mamujone, où se situent nombre de fontaines naturelles, serait à l'origine de la création de la bourgade. Jadis, les bergers et leurs troupeaux se réunissaient là, pour éviter les fâcheuses rencontres et les mésaventures. Aujourd'hui, les vignes sont nombreuses dans le paysage vallonné, souvent vigoureuses, avec des gobelets comme des buissons et le plus souvent franches de pied, du fait de la proportion importante de granite décomposé pour le sol. Mais, depuis quelques temps, les plantations gagnent en altitude, notamment en direction d'Orgosolo, sur les flancs du Supramonte.
Là, Giovanni, qui n'est pas homme à faire étalage de ses certitudes, malgré les années d'expérience accumulée, depuis qu'il a décidé de mettre en bouteilles ses nectars, vous conduit volontiers auprès de quelques-uns de ses amis. Au détour d'une épingle, on prend alors un chemin de terre pentu et on arrive vite près d'une cabane de berger très bien aménagée et entourée de vigne, du cannonau à coup sur!... Il n'est pas loin de midi et une odeur émoustille les papilles dès qu'on en franchit la porte... A l'extrémité de la cuisine, une cuisinière et un faitout d'où émanent des arômes de cuisine mijotée : un ragoût de sanglier sera prêt sous peu!... Une assiette, trois fourchettes, un peu de vin rouge nature de chez nature dans des verres à moutarde, la vie quoi!... En même temps, on peut admirer le paysage par la baie façon cinémascope donnant sur la vallée...
En redescendant au village, Giovanni roule doucement, puis s'arrête à hauteur d'un homme marchant sur le bord de la route, portant une caisse à outils dans ses mains. Il l'invite à monter dans le véhicule. Se tournant vers moi, il m'interroge : "Tu veux goûter des vins naturels?..." Deux minutes plus tard, nous pénétrons dans une grande bâtisse très traditionnelle, qui a la particularité de cacher une fontaine, d'où une eau fraîche coule généreusement. Nous sommes chez Giampaolo Paddeu, mâçon de formation, mais vigneron depuis quelques années. Héritant de quelques vignes avec ses frères, il décide alors de planter deux hectares en franc de pied, puis, dès que possible, de mettre en bouteilles les jus qu'il en tire, sans le moindre ajout d'aucune sorte, sans sulfite ajouté et sans filtration. Un vin de lieu, fort d'un goût que le vigneron conservait dans sa mémoire et qu'il retrouve enfin. C'est étonnant et rassurant quelque part!... Il est encore possible de faire de telles découvertes, même s'il faut parcourir la Sardaigne, jusque dans certaines contrées reculées!...
Si l'on se réjouit de partager de tels moments, avec force dégustation de vins et de produits locaux, on apprécie aussi l'accueil de Giovanni et de son épouse Franzisca, d'autant que la soirée fut agrémentée d'un superbe dîner proposé par l'Abbamele Osteria, au coeur de Mamoiaida, dont la cuisine inventive ne peut laisser indifférent. Le lendemain midi, après une sympathique collation à base de pancetta, salami, fromages sardes divers et salade de légumes de saison, un autre trajet vers le nord m'attendait. Cette fois, cap sur la région de Sassari, pour rencontrer Alessandro Dettori, le grand ordonnateur de ce périple passionnant. Fabio, son collaborateur était à l'heure. En route pour de nouvelles aventures!... A suivre!...