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La Pipette aux quatre vins
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3 décembre 2013

BIOcépage : les levures dédiabolisées?...

Lors d'un des derniers passages chez Jérémie Mourat, à Mareuil sur Lay, nous avions évoqué la démarche enclenchée entre le domaine et cette encore jeune société, oeuvrant dans le secteur des levures. Plus précisément en vue de la sélection des levures indigènes : BIOcépage. Levures (nécessairement au pluriel), un terme que l'on retrouve souvent au coeur de nos dégustations, lorsqu'on croise le verre avec les vignerons, comme d'autres encore : soufre, cuivre, terroir, SO2 ou encore biodiversité.

Si l'on refuse de porter des oeillères lorsqu'on aborde le sujet, ou du moins qu'on laisse ses boules Quiès de côté, il faut souvent avoir été sensibilisé aux problèmes rencontrés lors des fermentations et vinifications, pour être motivé par la recherche de solutions innovantes, mais au final, rassurantes. C'est tout à fait le cas d'Antoine Pouponneau, originaire du Saumurois (avec quelques racines vraisemblables en Vendée), maître de chai de profession et "winemaker" bien connu dans le grand Sud-Est, du Rhône à la Provence et surtout en Corse, sa seconde patrie, depuis qu'il vinifie les cuvées du Clos Canarelli, du côté de Figari. Des degrés "nature" élevés, des fermentations qui patinent, une aromatique parfois défaillante, autant d'axes qui motivent l'oenologue-conseil qu'il est aussi, surtout quand le vigneron est atteint d'une certaine dose de perplexité, face aux difficultés.

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Pour faire avancer sa réflexion sur le sujet, il devait trouver un partenaire qui soit son pendant rigoureusement scientifique. Ce fut le cas lorsqu'il rencontra Patrice Daniel, en 2007, sans doute un des plus éminents spécialistes en la matière. Celui-ci, après ses études nantaises en microbiologie et la création, voilà douze ans, avec son associée Sylvie Lorre, du Laboratoire Biocéane, situé dans la banlieue nantaise, ne fut guère difficile à convaincre du bien fondé de cette réflexion en cours et de la nécessité de progresser dans une direction résolument abandonnée par les plus grands producteurs de levures de la planète.

Il faut dire que Patrice Daniel maîtrisait le sujet, puisque ses premières recherches se firent au profit de la société canadienne Lallemand, leader mondial en la matière, avec son chiffre d'affaire annuel supposé et probable dépassant le milliard de dollars. Il faut dire que cette entreprise consacre une part non négligeable de ses bénéfices à l'investigation scientifique, puisque son département Recherche et Développement ne cesse de travailler pour sécher les levures, faire en sorte qu'elles soient actives et performantes, les additionner de conservateurs, d'aromatiseurs, au point de posséder un codex oenologique avec une liste impressionnante de produits intégrés. Et tout cela, pour le plus grand bien des vignerons de toute la planète, bien sur!...

Lorsqu'on creuse le sujet et que les premières tentatives d'identification des levures interviennent, il est aisé de constater à quel point, dans les appellations où la chimie domine largement depuis trente ans et où les vignerons utilisent les mêmes levures, la diversité levurienne est des plus réduites. On peut réellement parler de contamination du vignoble par les LSA (levures sèches actives) produites de façon industrielle. Parfois, nos deux chercheurs ne trouvent dans un secteur qu'une seule levure, qui ne voisine qu'avec des LSA!... Une sorte de désert!... A rapprocher, en quelques sortes, de la phrase de Claude Bourguignon à propos de la vie microbiologique des sols, lorsqu'il affirme que certains grands terroirs sont plus pauvres qu'un désert aride comme le Sahara. Heureusement, bon nombre de vignerons qui font appel aux services de BIOcépage s'inscrivent souvent dans une recherche de l'identité propre à un lieu, un climat, en essayant de préserver son côté insolite et particulier. Mais, il n'est pas impossible que leur démarche puisse déboucher, seulement après une évolution sensible de la méthode de culture.

Pour illustrer quelque peu le travail en profondeur inquiétant des grands fabricants de LSA, une nouvelle tendance, fruit de leurs recherches, a vu le jour depuis quelques temps. Après avoir travaillé pendant plus d'une génération à la production des seules levures Saccharomyces cerevisiae (celles qui se contentent de transformer le sucre en alcool pendant la fermentation, pour simplifier), dites parfois levures conventionnelles, de nouvelles levures non-Saccharomyces sont désormais proposées (et imposées?) aux vignerons. Elles ne sont utilisées que pendant la toute première phase des fermentations, sur le moût, avant 1070 de densité pendant deux jours. Elles sont vendues comme permettant de mieux gérer l'expression aromatique des vins (blancs notamment) et en contribuant à une plus grande complexité organoleptique des vins. Comment résister?... Ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est que l'emploi des levures conventionnelles reste d'actualité dans la phase active de la fermentation. Résultat : deux fois plus de levures vendues!... Bingo!... Et à la Bourse, ça marche bien?...

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BIOcépage est donc, à ce jour, le seul laboratoire capable de proposer une alternative et prendre une sorte de contre-pied, sans pour cela rechercher la confrontation avec ces grandes sociétés. Il n'est pas dans leur propos de nier certaines évidences, comme le fait qu'il y a de nos jours moins de mauvais vins, sans doute en partie du fait du levurage, même si celui-ci tend à globaliser les goûts. Mais, pour eux, il ne s'agit que de proposer au propriétaire et au maître de chai d'un domaine, de n'utiliser que les souches provenant du lieu choisi, tout en sécurisant les vinifications, notamment de façon à ce qu'il n'y ait pas de déviation aromatique, Antoine Pouponneau rappelle son idéal, ce qui fait son univers de maître de chai : "J'ai toujours défendu le plaisir de ce travail et en même temps, l'idée de proposer quelque chose d'unique et de non reproductible ailleurs, de favoriser la vie dans les vignes et de faire du vin sans intrant exogène!..."

Pour sa part, Patrice Daniel, lors de ses années passées à l'ITV (devenu IFV) et chez Lallemand, a développé les techniques d'analyse génétique qui permettent d'identifier les levures, de les retrouver. Ses travaux permettent également à BIOcépage d'être le seul laboratoire à développer la production de levures artisanales (pour les brasseurs également). Grâce aux premières recherches avec le Clos Canarelli, il a été possible de les conserver, de les produire, puis d'ensemencer les vins de façon simple. Bien sur, les sensibilités des vignerons sont multiples. Certains, conscients d'une uniformisation des vins de leur appellation, savourent l'idée d'être les premiers à utiliser la méthode et n'hésitent pas à communiquer très tôt. D'autres sont plus réservés, parfois influencés par les débats qui se font jour (joutes?) dans les groupes de vignerons, notamment en bio et biodynamie, dont ils font partie. Vous pourrez découvrir sur le site de la société, la liste des vignerons qui ont décidé de travailler avec eux. Mais, sachez néanmoins qu'elle est loin d'être exhaustive, puisque les deux compères laissent entendre que quelques grandes propriétés (certains Bordelais se montrent très intéressés, semble-t-il) ont entamé un processus avec BIOcépage et que, pour quelques-uns, une clause de confidentialité de plusieurs années fait partie du contrat les liant.

On imagine assez aisément quelles sortes de réticences peuvent freiner les vignerons. Il y a d'abord ceux qui nient le besoin de tout apport d'une certaine science dans la production des vins mais, pour la plupart, c'est plutôt la peur de se limiter qui domine. Perdre de la diversité est leur plus grande crainte, au moment où la préservation de leur biodiversité devient un argument essentiel de leur communication, voire de leur démarche commerciale. L'expérience a déjà montré cependant, qu'un vigneron en agriculture biologique depuis longtemps, persuadé d'avoir une grande diversité levurienne naturelle, du fait notamment qu'il n'a jamais utilisé de levures industrielles, peut être surpris par le résultat d'une étude démontrant qu'une seule levure fait le travail de bout en bout. Il n'y a, en la matière, rien de systématique, ni aucun dogme. Mais, cette crainte de marquer le vin en utilisant une levure unique est une quasi constante chez les producteurs. D'où la nécessité, pour répondre à ce problème et à ces réticences, de produire un levain, sorte de cocktail des souches issues d'un même endroit, composé de celles qui ne posent aucun problème (pas de production de volatile, pas de retard, etc...). C'est le moût, fatalement différent selon l'année, qui va favoriser telle ou telle souche en fonction des équilibres naturels liés au millésime.

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A noter que les recherches de BIOcépage sont avant tout de l'observation. Certains constats ne sont pas forcément expliqués, comme celui fait dans un domaine très prestigieux (dont nous tairons le nom!), possédant une parcelle de blanc sur le versant nord d'une colline et une parcelle de rouge sur le versant sud. Côté blanc, trois souches se succèdent lors de la vinification et côté rouge, c'est la même qui commence et qui finit, tout en étant différente de celle côté blanc. Allez savoir pourquoi, au stade des connaissances actuelles!... Dans un même ordre d'idée, on constate aussi que, dans un espace réduit, deux parcelles sur une même courbe de niveau, seulement séparées par une combe envahie par la végétation, les souches de levures peuvent être absolument différentes, ce qui va un peu à l'encontre de ce qui est communément admis ou imaginé. Bien sur, il est pour le moment assez difficile de renouveler les observations sur plusieurs années successives, même si un programme dans ce sens a débuté depuis peu (progrès incontournable et même indispensable pour l'avenir et la crédibilité objective de la société), du fait, en premier lieu, de son coût. La recherche est financée par le domaine (3500 € par parcelle, avec nécessité de travailler sur trois parcelles minimum, dans un souci de cohérence de l'investigation), mais celui-ci reste l'unique propriétaire des levures identifiées, de façon exclusive. Cela reste une véritable démarche volontariste du vigneron, car certains pourront rétorquer que si l'impact des levures sur les vins est important, seuls quelques rares initiés peuvent reconnaître, à la dégustation, l'emploi de certaines levures industrielles. C'est donc à chacun de situer la dimension éthique de son métier de vigneron.

Le process de recherche des levures indigènes et leur identification sont désormais bien maîtrisés. Ils obéissent à une chronologie somme toute assez simple. Tout d'abord, la sélection s'opère sur les raisins issus de la vendange, fournis par le vigneron. C'est parfois directement possible sur le moût, lorsqu'on est certain d'une non-utilisation de levures pendant de nombreuses années. Ensuite, au laboratoire, de petites fermentations en milieu stérile sont réalisées. Il s'agit de fermentations spontanées pouvant durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines. Les levures sont récupérées à trois stades : au début, à 1050 de densité, puis au milieu, à 1020 et en fin de fermentation, à 1000. Il est procédé ensuite à une analyse génétique des levures. Celles qui sont identiques sont écartées, on ne garde donc que les différentes, montrant le panel présent.

Gel PCR 2

Elles sont ensuite toutes testées séparément (avec les moûts congelés fournis par le vigneron) au cours de micro-vinifications, afin de déterminer les mauvaises. De plus, une analyse précise les résultats. Celles qui déclenchent de la volatile ou qui gardent des sucres résiduels, par exemple, sont éliminées. Dans un cas que l'on peut qualifier d'extrême, si pas moins de dix souches sont considérées bonnes, elles sont toutes conservées. Celles-ci sont donc fournies au vigneron pour les vendanges suivantes. C'est un des principaux engagements de la société : pas plus d'un an pour obtenir des résultats. Le plus souvent, ces souches sont au nombre de une à cinq. Le vigneron va donc alors se les approprier pour des essais en caves venant confirmer les résultats en laboratoire et surtout, évaluer leur apport et leur influence, en même temps que leur intérêt organoleptique à la dégustation. En liaison avec BIOcépage, il va arrêter son choix définitif, en fonction des priorités qu'il aura définies. Dès l'année N+2, il pourra disposer d'une "crème" produite au laboratoire, lui servant, en quelques sortes, de pied de cuve. Un seul litre de cette crème peut servir aux fermentations de 200 hl. Toutes ces crèmes sont fabriquées en milieu bio et bénéficient d'une DLC (date limite de conservation) de quatre à cinq mois. C'est là une véritable exclusivité de la société.

Au-delà de ce travail, cette collaboration entre le vigneron et BIOcépage, il va de soi que le choix d'utiliser ces crèmes relève des décisions prises au niveau même du domaine. La multiplication des rencontres qu'ont pu faire Antoine Pouponneau et Patrice Daniel avec les vignerons intéressés par cette démarche, a démontré que les attentes sont multiples et nuancées. Certains espèrent pouvoir utiliser des levains appropriés aux conditions du millésime, selon que les teneurs en alcool sont élevées ou pas, au moment de la vendange. D'autres y voient la possibilité d'identifier une ou deux souches propres à certaines parcelles et définir ainsi une trame identitaire spécifique à un cru, un climat, dans le but notamment de proposer une véritable gamme plus définissable, plus lisible pour le commun des amateurs. Renforcer l'idée, par exemple dans le Muscadet, qu'un Château-Thébaud peut être foncièrement différent d'un Clisson, avec les risques que cela comporte, malgré tout. Enfin, certains producteurs peuvent espérer conserver durablement un style, pour des vins destinés à la bulle ou dans le cas de certains rosés. Ceci dit, la supposée "typicité" serait néanmoins bien liée à une "identité terroir" et plus du tout à une uniformisation gustative, venant de l'utilisation des mêmes levures, dans un secteur ou une appellation.

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Pour ces deux novateurs, la difficulté majeure reste encore aujourd'hui de convaincre les vignerons que cet apport nouveau ne relève pas de la roue de secours ou du couteau suisse. La démarche n'est en aucun cas la réponse à une difficulté rencontrée en cours ou en fin de vinification. Elle implique une identification rigoureuse des souches présentes à un endroit et rassure quelque peu quant à l'inconnue liée à la cohabitation et à la contamination éventuelle non maîtrisée de levures industrielles. Elle écarte aussi certaines difficultés rencontrées lors des vinifications par des vignerons, qui se lassent d'une certaine forme de fatalisme, que certains qualifient de normal, par simple idéologie plus que par un souci de pragmatisme qui se voudrait terrien et débonnaire. Il est certainement tentant de se fier à son instinct, en se basant sur les acquis d'une expérience et certains obtiennent des résultats remarquables sur cette base, mais combien n'ont plus, au pire, qu'à tenter de nous faire prendre des vessies pour des lanternes?... Le naturel ne peut-il pas revenir au galop par cette aide plus scientifique à la compréhension de nos terroirs et de leurs identités propres?... Gageons qu'il faudra encore de nombreuses années pour en convenir largement, mais une nouvelle voie est peut-être ouverte désormais!...

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