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La Pipette aux quatre vins
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La Pipette aux quatre vins
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29 novembre 2013

Il était une fois, une petite vigne abandonnée...

Ses raisins prenaient, depuis le début de la semaine, une jolie teinte dorée. En ce mois de septembre, les vieux ceps de fié gris allaient voir surgir une troupe de joyeux vendangeurs, venus parfois de contrées lointaines, pour la cueillette annuelle. Il y a là quelques dizaines de pieds, toujours vaillants malgré l'âge et fiers, heureux à la fois, de l'attention que chacun porte au choix des grappes, sous les conseils de Paul, le vigneron, qui ne cache pas son amour pour cette parcelle. Bien sur, elle est un peu à l'écart du reste du vignoble avec, à une extrémité, un bois de châtaigners qui lui ferait de l'ombre, si les rangs n'étaient exposés plein sud et de l'autre, un fossé, une jalle, la séparant assez de quelque grande culture céréalière.

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En ce matin frisquet, les insectes se font rares. Une jolie biche est sortie du bois voisin et se glisse dans les rangs, un peu par curiosité. La couleur de son pelage se fond dans les nuances que le feuillage prend désormais, où le jaune le dispute au brun et au vert bordé de rouge. Ses pas légers tracent doucement l'herbe jaunie qui grimpe jusqu'aux raisins. Les plus vieux pieds de la vigne se disaient justement que Paul avait été un brin négligeant depuis quelques temps. Il n'était pas dans ses habitudes de laisser les graminées de toutes sortes prendre ainsi leur aise. Deux ou trois passereaux, sorte de sentinelles des champs, se mêlent à la scène, comme pour veiller à la tranquillité de l'animal. L'espace d'un instant, la vigne, dès le premier envol et le cri bruyant du merle, a pu croire à l'arrivée des vendangeurs...

Plusieurs journées s'écoulent ainsi. Les raisins sont désormais gorgés de sucre et les quelques arpents de vieux sauvignon servent de cour de récréation gourmande aux oiseaux du secteur. Si le soleil et la douceur des jours avaient illuminé ce lieu charmant et calme depuis quelques temps, la pluie, parfois forte, a désormais pris le relais et semble ternir la lumière ambiante de plus en plus tôt, chaque soir. Des rafales de vent d'ouest secouaient de temps en temps le paysage et le sol se couvrait de feuilles jaunes et brunes. La vigne se déshabillait chaque jour un peu plus, pour ne montrer que les sarments ligneux sombres et durs. Quelques vrilles tournoyaient sur les fils de fer à cause du vent fort. Cette fois, les grappes, c'était sur, ne seraient pas ramassées. Le cep centenaire, masquant mal son émotion incrédule, renifla lorsque les gouttes tombèrent au sol, nombreuses et froides. Ses voisins immédiats semblaient l'interroger du coin de l'oeil, sur les raisons qui leur valaient un tel abandon. Le vigneron n'avait-il plus que du mépris pour cette parcelle qui se montrait de moins en moins généreuse? Avait-il cédé aux avis de ceux qui lui conseillaient d'arracher cette vigne malade? Malade?... Rien du tout!... Paul avait d'ailleurs vite argumenté sur la qualité des jus qui provenaient de cet endroit. Alors pourquoi?...

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L'hiver survint bientôt. Plus froid, plus vigoureux que les précédents. En bordure est du champ, exposés à la bise glaciale, sans abri, quelques pieds rendirent l'âme sans la moindre plainte. A peine le dernier souffle d'un craquement au petit matin, lorsque le gel est plus fort... Au coeur de la vigne, les ceps les plus vaillants eurent la ressource de se serrer les uns contre les autres, presque épaule contre épaule, grâce aux sarments les plus résistants. Il n'y avait plus que les troupes de sangliers de passage, pour venir gratter la terre gelée et dispenser une haleine tiède et sauvage. Parfois, une odeur de champignon se mêlait à celle de l'humus et de la terre humide. Des vols de corneilles, venant du bois proche, sillonnaient nerveusement le ciel gris, quelque peu laiteux, comme un jour de neige.

Dès le mois de février suivant, le cep majeur voulu croire quelques jours au retour des tailleurs de vigne, en prévision d'un nouveau printemps. Las! Les semaines succédaient aux semaines et les beaux jours survinrent, sans que personne ne passa dans les rangs. Les ronces et le lierre s'invitaient désormais dans cette terre où ils n'étaient pas les bienvenus en temps normal, s'accrochant à chaque pied, menaçant leur survie. L'été, il régna pendant quelques temps une sorte d'euphorie, parce que la nature reprenait ses aises, que les fleurs et même les liserons tressaient des sortes de couronnes multicolores. Mais, chacun savait bien que les grappillons chétifs ne pouvaient satisfaire désormais que les insectes et quelques oiseaux venus de la haie voisine.

Plusieurs années passèrent ainsi. la vigne s'était installée dans une résistance tenace, parce qu'elle ne pouvait croire que l'homme qui avait pris tant de soins, au fil des années heureuses, l'avait délaissée tout ce temps sans bonne raison, sans motif grave... Peut-être était-il...?... En ce mois de janvier, une larme coula de l'extrémité d'un rameau cassé par le vent, que le vieux cep ne chercha même pas à retenir.

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A la mi-mars, le merle, locataire habituel et fidèle du lieu, s'envola encore plus bruyamment, du moins, son cri avait-il une intonation inhabituelle. Chacun imagina qu'il s'agissait là d'une véritable alerte. Justement, le bruit d'un véhicule se fit entendre, tout près. Un lièvre, dans le bas des rangs, se dressa soudainement, puis pris la direction du taillis. "Regarde! Crois-tu qu'ils sont heureux ici les lapins?..." Des voix! Personne n'était passé là depuis si longtemps, à l'exception de quelques chasseurs, l'an dernier, qui remarquèrent d'ailleurs au passage que "la vigne de ce pauvre Paul était en bien mauvais état..." Chacun avait entendu, mais personne ne releva la phrase, comme s'il s'agissait de conjurer un mauvais sort.

"Pffuuii!..." lâcha un des deux visiteurs. Il remonta son bonnet sur sa tête et finit par l'enlever, comme pour saluer cette vénérable centenaire. Il ôta aussi ses gants et les glissa dans les poches de sa polaire, ainsi que son sécateur. C'était d'abord comme s'il n'osait y prendre tout à fait pieds, réservant quelques minutes à une première observation, un premier regard. "Mon grand-père avait les yeux de Chimène pour cette vigne!..." dit-il au second visiteur qui restait silencieux. On devinait une émotion de plus en plus intense, flottant dans l'atmosphère de cette fin d'hiver. Les deux jeunes hommes laissèrent glisser l'extrémité de leurs doigts sur les bois humides de la plante, qui se mit à tressaillir. "On va avoir du travail, mais il est hors de question de l'arracher!... On va monter une petite équipe pour la remettre d'équerre. Il faudra sans doute replanter à la place des quelques manquants, mais je suis certain que la fameuse cuvée du papy peut renaître!..."

Chacun comprit sans mot dire que Paul ne reviendrait plus faire la sieste, au coeur de l'été, entre deux rangs. Mais, les jours qui suivirent étaient teintés d'espoir. Il allait falloir se montrer à la hauteur!... Certes, d'autres vins riches et dorés faisaient la réputation du domaine, depuis bien longtemps, mais il n'y avait qu'à voir l'oeil un rien goguenard du vigneron, naguère, pour savoir que le fruit de cette vigne étonnait toujours les amateurs et les francs buveurs. Pendant cette première année de reprise, Esteban, le petit-fils de Paul, s'attacha à redynamiser la vigne, avec des méthodes assez novatrices. Ainsi, diverses décoctions furent pulvérisées sur le feuillage et l'ensemble connut une sorte de seconde jeunesse. Le sol même semblait avoir changé de texture et ses occupants divers étaient de plus en plus nombreux, tout comme la faune locale, encore plus présente. Un jour, le jeune vigneron s'adressa au vieux cep : "Maintenant, c'est à toi de jouer! Il faut que tu retrouves ton équilibre et que tu te régules toi-même. Tu as à peine besoin de moi désormais..."

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Cette relation de confiance, à peine remise en cause par les effets ponctuels du climat propre à chaque millésime, s'installa pendant de longues années encore. Au fil des ans, Esteban prenait un malin plaisir à proposer cette cuvée hors normes à ses pairs. Une vinification très naturelle, respectueuse de la composition des jus, permettait de laisser libre cours à une expression aromatique que d'aucuns qualifiaient de... dévergondée!... Chaque année, elle offrait des arômes de fruits frais ou de fleur exubérante, tout en préservant une texture, une persistance, qui laissaient les quelques privilégiés absolument pantois. Rares étaient ceux qui pouvaient en proposer à leurs clients et amis. Certains cavistes venaient parfois de loin, comme pour se recueillir devant cette dizaine de rangs hors du commun, sauf qu'il ne s'agissait pas là d'un mausolée, mais bien d'une vigne vivante, un rien espiègle!... Un Japonais demanda même s'il était possible d'en extraire quelques bois, afin qu'ils soient plantés au pied du Mont Fuji!... Mais, heureusement, le petit-fils de Paul avait hérité au passage de son sens de la mesure, lui permettant de connaître la valeur du raisin, face à la déraison. Seul écart qu'il s'octroyait à propos de cette cuvée : elle changeait chaque année de nom et c'était devenu un jeu rituel pour les passionnés de toutes les origines, que de le découvrir. Pour lui et pour cette vigne, c'était le prix de l'éternité...

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C'est un peu Noël avant l'heure, ce chapitre 61 des Vendredis du Vin, sous l'impulsion de l'illustrissime Président de novembre, David Farge Abistonedas!... Me suis-je bien conformer aux formules de politesse d'usage à l'égard du vénéré Président du mois, là, David?... Certains pourront peut-être trouver mon "conte de Noël" un rien... bisounours, mais n'est-ce pas, finalement, le propre du genre?... En tout cas, il est tout à fait respectueux de la fameuse loi Evin, puisque, s'il ne s'adresse pas exclusivement aux plus jeunes, il propose la première dégustation subliminale d'une cuvée qui reste à créer!... En tout cas, je ne saurais que vous conseiller la lecture du blog de David dans les prochains jours (et les autres aussi d'ailleurs!), afin d'y découvrir un conte... rendu qui ne manquera certainement pas d'intêret. Ceci dit, notez bien que toute ressemblance avec une vigne, une cuvée et un vigneron existant(e) ou ayant existé, quelque part sur la Terre, serait absolument fortuite et le fruit du plus grand des hasards. Quoique, en cherchant bien... 60, 61, des nombres qui évoquent pour nous, parfois, la fin d'activité professionnelle, celle qui nous permettra d'espérer être des "citoyens du monde" à part entière, sillonner la planète et continuer ainsi, à raconter de belles histoires.

Point très important, les photos qui illustrent ce post sont toutes du talentueux Jean-Yves Bardin, photographe-auteur, dont vous ne pouvez ignorer le travail. Notamment ses fameuses tronches Gueules de vignerons.

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Commentaires
P
Ce soir, j'attendais Madeleine... ;-)
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V
Nous tenons notre Proust du cep ! Vous aimez le vin et le faites aimer...
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