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La Pipette aux quatre vins
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25 février 2024

Guide des vins des îles 2 : Pantelleria (Sicile), Abbazia San Giorgio

En consultant une carte de la Méditerranée, on imagine aisément à quel point l'Île de Pantelleria fut, de tout temps, un carrefour stratégique, malgré ses origines volcaniques, la fréquence, la force des vents et un paysage rugueux, sous le soleil exactement!... Dans l'Antiquité, les Grecs la connaissaient pourvue d'eau et donc comme une escale incontournable. En grec ancien, elle se nommait  Παν'τελ'αιρείας, Pan’tel’erías, que l'on peut traduire pas "toute fin des errances". Tout ce que Mare Nostrum connût de populations de navigateurs tenta, à un moment ou à un autre, d'en prendre possession. Vers l'an 800, les Arabes en firent la conquête à leur tour et la nommèrent Bent El Riah, la fille des vents.

Située à 70 kilomètres de la Tunisie et à une centaine de la côte sicilienne, le paysage de roches volcaniques ne rebuta pas les premiers occupants, apparus ici aux environs de 5000 avant notre ère. De nos jours, l'île est connue pour sa production de vin (moscato, passito...) notamment depuis qu'une célèbre actrice s'y est installée, mais aussi pour les câpres et les olives. Le tourisme s'y développe, vu que l'on y redécouvre les effets bénéfiques des "saunas naturels", l'activité volcanique émettant des vapeurs reproduisant, dans quelque grotte, celles d'un sauna ou d'un hammam.

Pour ma part, je dois confesser que les passito et moscato de Pantelleria furent pour moi une découverte totale, au début des années 90, lors d'une visite de Vinexpo, à Bordeaux, où je passais presque une journée entière à découvrir ces nectars sur le pavillon de la Sicile, notamment ceux proposés par Donnafugata, célèbre domaine sicilien, installé ici depuis des lustres. Depuis, d'autres, comme ceux de De Bartoli, sont venus compléter mes connaissances en matière de zibbibo, nom donné au muscat d'Alexandrie sur l'île. Mais, à consulter la carte diffusée au moment des week-ends portes ouvertes, certaines années au printemps, on devine aisément que nombre de nectars restent à découvrir, en se glissant prudemment entre les mûrs de pierres séchées noires du paysage.

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 ~ Abbazia San Giorgio ~

On ne peut rêver meilleure destination qu'une abbaye sicilienne pour entamer ce voyage viticole dans les îles!... Qui plus est lorsque le temps des vendanges est arrivé. En remontant du port, par la Strada Perimetrale, on a parfois le sentiment que la largeur de la route côtière diminue au fil des kilomètres. C'est peut-être dû à l'augmentation de la hauteur et de l'épaisseur des murets de pierres noires bordant la surface asphaltée, ne laissant aucune place à l'erreur pour le conducteur. Dans le ciel, à large dominante bleue, les nuages, des cirrus sans doute, s'effilent dans le mistral de cette chaude journée d'août. Demain, c'est le scirocco qui soufflera ses étonnantes bouffées de chaleur. En passant à la croisée de petits chemins de terre débouchant sur la route, on devine parfois de petites tornades de poussière, comme des sentinelles éphémères montant la garde. En continuant de s'élever par les chemins pierreux contournant la Montagna Grande (836 m) et le Monte Gibele (796 m), on constate à quel point la vigne envahit le paysage jusque sur les terrasses, même si d'autres cultures, oliviers, capriers, ont investi certaines parcelles. Prenant pied sur la terrasse de la maison, je devine par la porte ouverte de la cuisine qu'une cérémonie est en cours : c'est le vigneron, Battista Belvisi qui procède au baptême des nouveaux participants à la récolte, en versant sur leur tête une rasade issue d'une bouteille de l'année précédente, ainsi que sur les premiers raisins fraîchement récoltés. Nul doute que je vais devoir sacrifier à ce rituel liturgique. Par Saint Georges!...

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Le domaine, l'Abbaye Saint Georges, est apparu en 2015. Battista Belvisi est à la fois vigneron, caviste, oenologue. Avec son compère Beppe Fontana, ils réunissent alors environ trois hectares et demi de petites parcelles, comme autant de minuscules clos. L'âge moyen des vignes et de soixante ans, situées vers 300 mètres d'altitude. Les deux tiers sont plantés de zibibbo, le reste, pour l'essentiel de pignatello (appelé aussi nostrale), carignano, grillo, nerello mascalese, alicante cultivés parfois en guyot (vignes de trente ans environ) afin de sauver les raisins de la gourmandise des lapins de garenne, mais surtout en alberello selon le système typique pantesco (terme issu du dialecte local), sorte de gobelet dans une petite cuvette, parfois, où l'eau de pluie (rare!) peut rester et qui protège aussi parfois des vents les plus violents. Cette pratique viticole - vite ad alberello - a été inscrite, en 2014, au patrimoine culturel immatériel de l'humanité par l'UNESCO.

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L'Abbaye Saint Georges a résolument intégré la sphère des vins naturels : conduite en bio avec utilisation de pratiques biodynamiques. Aucun pesticide et produits cryptogamiques ne sont utilisés, ni la moindre fertilisation. En 2023, les conditions climatiques plus avantageuses ont permi d'éviter largement les ravages du mildiou, très envahisseur sur le continent. A la fin de l'hiver, l'herbe est enterrée. A la cave, on ne compte que sur les levures indigènes. Au cours de la fermentation et de la vinifcation, aucun additif n'est utilisé, pas même l'anhydride sulfureux. Ici, pas de sulfites ajoutés, y compris pour le passito de Pantelleria. La superficie actuelle atteint 7,5 hectares, avec une production d'environ 25000 bouteilles. Le vignoble se concentre pour l'essentiel dans le sud-est de l'île, du côté de Khamma, Serraglia, Mueggen et de la Contrada Barone.

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Malgré sa relative petite taille (84 km²), Pantelleria est connue pour ses multiples vents. Ceci, combiné à l'altitude parfois et aux expositions variées, permet de constater des différences intéresssantes, influant sur la teneur en sucre des raisins notamment et sur la date des vendanges. Ces dernières commencent en août (zibbibo, parfois exposé au soleil) et se poursuivent tout au long du mois de septembre, pour ce qu'on qualifie ici de "première récolte". Les vendanges dites tardives, de "second fruit" appelées en dialecte pantesco "sganguna", pour les cuvées Papotta et Zibimbo. La première est une méthode ancestrale et toutes deux sont issues de macérations très courtes (3 jours), avec l'idée qu'un tel zibbibo peut exprimer des notes fraîches et aromatiques, rappelant, en quelque sorte, un jus de fruit.

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Bon an mal an, pas moins d'une douzaine de cuvées illustrent la production de Abbazia San Giorgio. Du côté des blancs, si le zibbibo est le vecteur principal dans ses différentes expressions, on trouve également la cuvée Canto del Grillo, 100% grillo âgé d'une douzaine d'années sur un hectare d'une colline argileuse, issue d'une macération d'une vingtaine de jours, dont l'élevage se déroule en cuve inox durant quatre mois. Il y a aussi Lustro, 100% catarratto planté voilà une quinzaine d'années, dans un paysage de terrasses et un sol volcanique pauvre en matière organique mais riche en micronutriments, avec un élevage identique au précédent.

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Le zibbibo se décline donc en plusieurs styles et qualités, en s'appuyant sur sa présence ancestrale et une part de tradition propre à Pantelleria. Des blancs de macération tout d'abord avec Orange, issu de vignes de soixante ans environ. Des jus qui, après une macération de trente jours passent en partie sous inox et dans des fûts de châtaigniers. Pour Joe Pesk, il s'agit de vignes centenaires. Macération de quatre-vingt-dix jours, puis élevage en amphores ou en fûts pendant un an. "Le nom de la cuvée se veut une référence ludique à un personnage de la mafia italo-américaine et à la saveur intense de pêche abricot propre à ce vin!..."

Passons ensuite aux vins issus de vendange tardive et notamment le Ddefiu (en dialecte, "ni froid ni chaud" ou "vent tiède". C'est le résultat d'un projet qui vise à obtenir un vin sec à partir des raisins utilisés habituellement pour le passito. Longue macération de soixante jours, puis passage sous inox et élevage en amphores pendant environ six mois. Le domaine produit donc également de petites quantités de passito tel que Magico, récolté pendant la seconde quinzaine d'août. Les raisins sont exposés au soleil pendant une dizaine de jours selon la météo. Puis pressurage et élevage de douze mois environ en cuves inox, puis six mois en barriques. Au final, le vin compte douze grammes de sucres résiduels. A proprement parlé, un vin de méditation que l'on apprécie à l'ombre, dans un courant d'air au coeur de l'été, lorsqu'il faut évoquer des choses sérieuses...

Voilà quelques années, deux rosés ont fait leur apparition, du fait notamment que les vignes de nerello mascalese étaient fort jeunes pour produire un rouge à la hauteur des attentes. Le premier fut Cloé. Les raisins sont récoltés lors de la deuxième moitié de septembre. Une macération de quatre jours, puis un élevage pour partie sous inox et en châtaignier permettent d'obtenir une belle pureté d'expression. Bat, le second rosé, produit à partir de nerello mascalese et d'un peu d'alicante est issu d'une courte macération de vingt-quatre heures, mais d'un élevage plus long, soit environ huit mois sous inox, poursuivi par un passage en barriques usagées.

Trois rouges sont actuellement produits au domaine : Cumparone, dont le premier millésime remonte seulement à 2021. Macération de dix jours, l'élevage se prolongeant jusqu'à douze mois, auxquels on ajoute six mois passés en bouteille, avant d'être mis sur le marché, ce qui est le cas pour tous les rouges. Le second, Garofalo, est issu de nero d'avola et d'alicante. Fermentation de quinze jours environ, selon la couleur obtenue. Elevage sous inox de douze mois, puis en barriques pendant dix-huit mois. Le dernier est Rosso dei Sesi, un pur perricone, aussi appelé pignatello. Vignes d'une trentaine d'années, vendange lors de la deuxième partie de la récolte. Macération de quinze jours, puis élevage sous inox. Le terme Sesi fait référence aux constructions funéraires mégalithiques en pierre, présentes sur certaines zones de l'île et donc aussi au nom du peuple qui les a construites au IIè millénaire avant J.-C. 

Les vendanges peuvent être longues, les dégustations aussi!... En fermant les yeux, on imagine aisément que tout contribue à donner aux vins leurs caractères typiques : de la mer et des côtes spectaculaires de l'île, aux parfums et aux saveurs intenses et singulières que l'on retrouve dans les verres. Le soleil peut parfois être brûlant, mais on en apprécie que plus la qualité des pauses déjeuner. La femme de Battista, Pina, n'a pas son pareil pour cuisiner quelques plats typiques. Ses aubergines frites sont insurpassables!... Tout comme ses tourtes, les crêpes typiques à la farine de pois chiche!...

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Mais laissons Mariapiera Simeone évoquer ses dernières vendanges : "Pantelleria est une île magique, dans le vrai sens du terme! Elle a une histoire très ancienne et mystérieuse. Elle est le lieu de nombreux récits épiques d'anciens peuples qui habitaient la Méditerranée et je dois dire qu'elle conserve parfaitement cette atmosphère. C'est presque comme si l'île était une entité vivante qui doit en quelque sorte accepter votre présence, comme une ancienne divinité!... Et le fait qu'il y ait encore des manifestations volcaniques secondaires ou que les vents soient si influents sur la vie de l'île et sur celle des insulaires, contribue certainement à renforcer cette image. Les paysages sont caractéristiques et merveilleux, avec les plantes typiques du maquis méditerranéen qui poussent de manière sauvage et luxuriante, les murs en pierres sèches protégeant les terrasses, les dammusi (nom des habitations typiques) se cachant çà et là, les jardins panteschi avec leurs murs élevés pour protéger des arbres et les nombreuses traces laissées par les civilisations qui, au cours des millénaires, ont habité Pantelleria."

Et d'ajouter : "J'ai eu l'occasion de rencontrer des gens vraiment fantastiques et uniques. Je pense à Riccardo, le garçon fier et gentil qui collabore avec Battista depuis quelques années, à tous les amis qui se joignent souvent aux vendanges : Wolf, qui, voilà de nombreuses années, a été enlevé une nuit par les extraterrestres!... Giampiero, le gentil géant, ému que nous célébrions son anniversaire, Elia et Adriana, avec leurs mille histoires et projets, Mario, un vieil ami qui préparait pour nous tous des repas exquis, tout en nous réjouissant avec ses récits sur le vieux Palerme ; Guiseppe, le fils aîné de Battista qui depuis quelques années aide ses parents, avec tous ses amis, Giulia, la plus jeune fille, toujours engagée dans le sport et bien sûr Pina et Battista, qui m'ont accueillie en famille, avec une hospitalité et une gentillesse incomparables!..."

Il ne nous reste plus qu'à franchir le canal de Sicile et à découvrir cette terre hors normes!... Les photos sont celles du domaine.

Prochaine destination : Île de Capraia, Azienda agricola La Mursa.

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