"Nous ne manquons pas de temps, mais nous en avons beaucoup dont nous ne savons pas tirer profit." Sénèque

Confinement, jour 30 et quelque!... Après un mois de restriction de libertés, toute relative, il faut bien le dire, j'ai une pensée pour mon père, parti à vingt-et-un ans en Allemagne, le 24 juin 1943 au titre du STO, Service du Travail Obligatoire, instauré par les Nazis pendant la Seconde Guerre Mondiale, en pleine période des foins - le printemps est chaud et sec, cette année-là - et alors même que la moisson approchait... Trois jours plus tôt, Jean Moulin est arrêté à Calluire...

Il parlait assez peu de ces deux années de sa jeunesse, grillées à 1500 kms de sa famille et de sa Vendée. A cette époque de l'année 1945, à moins d'un mois de la Libération, avec les quelques copains vendéens partis dans le même train, il multipliait les tentatives d'évasion, en grimpant dans des wagons mal gardés par des vieux soldats de la Wehrmacht, finalement peu enclins aux représailles et désireux de rejoindre leurs foyers, eux aussi. Ces convois, sensés partir vers l'Ouest (chacun craignait, somme toute, l'arrivée des Russes, déferlant depuis la Poméranie!), devaient les mettre rapidement en contact avec les Alliés occidentaux, Anglais notamment, présents dans le nord de l'Allemagne. Repris plusieurs fois, ramenés manu militari au "lager", craignant sans doute d'éventuelles représailles, mais chaque soir ou presque, profitant d'une alerte précédant un bombardement de gare ou de noeud ferroviaire, installations très prisées de la RAF ou de l'US Air Force, pour grimper de nouveau dans un de ces trains "vers la liberté", un peu sans doute, comme Fernandel, dans La vache et le prisonnier!...

Pour notre part, c'est le 11 mai qui sera un peu notre "8 mai" à nous!... Enfin, on se prend à l'espérer et à rêver, comme si nous étions un peu tous prisonniers de ce maudit virus, qui ne nous dit rien de bon quant à notre avenir. Serons-nous à même de profiter de notre (relative ou pas) bonne santé pour les uns et de notre liberté d'action, celle qui nous permet de mettre sur pieds des projets de voyages, de découvertes?... Un billet d'avion, réservé depuis plusieurs semaines, me donne rendez-vous en Sicile, du côté de Catane et de l'Etna, dès le mardi 12 de ce même mois de mai et pour une semaine de rencontres et de prospectives, après déjà deux annulations pour Venise et la Corse. Sauter dans une voiture à l'aéroport, découvrir de nouveaux paysages, goûter quelques merveilles, croiser des regards, sourire et rire. Prendre un bateau pour les Îles Éoliennes, surveiller d'un oeil les fumerolles de volcans posés sur l'horizon... Redécouvrir la puissance de la vie, dans les pas d'Homère ou d'Ulysse, en se targuant presque d'imiter, pour quelques heures, un Sylvain Tesson voguant dans des mondes parallèles, passant de l'un à l'autre et révélant ce que l'Iliade et l'Odyssée ont de commun avec notre monde actuel. Les marins d'Ulysse avaient dévoré les boeufs d'Hélios... et la tempête surgit!...

 

"Comme la terre obscure subit le poids de l'orage,
à l'arrière-saison, quand il verse les pluies les plus rudes,
Zeus! quand courroucé il s'emporte contre les hommes,
qui, sur la place, insolents, prononcent de torves sentences,
et, méprisant les dieux, expulsent toute justice ;
tous leurs torrents s'emplissent, charrient des fleuves énormes,
et des ravins se forment, désagrégeant les collines,
qui, s'effondrant vers la mer pourprée, lourdement retentissent,
depuis le haut des monts, détruisant les cultures des hommes ;
courant ainsi, les chevaux troyens lourdement retentirent."

(Iliade, XVI, 384-393)
Un été avec Homère - Sylvain Tesson - Éditions Équateurs - France Inter

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