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La Pipette aux quatre vins
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La Pipette aux quatre vins
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30 août 2021

Voyage initiatique, estival et gourmand en Sardaigne (3)

Sassari, la deuxième ville de Sardaigne gouverne le nord de l'île. Elle est d'une grande richesse à plus d'un titre : historique, culturelle et gastronomique. On la dit volontiers rebelle aussi, ayant toujours lutté contre les envahisseurs de tous poils. La contestation est dans ses gênes. Elle a donné naissance à deux présidents de la République Italienne, mais aussi à Enrico Berlinguer, célèbre homme politique, élu secrétaire général du Parti communiste italien, acteur essentiel de la vie politique du pays dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Fabio, qui est venu me chercher à Mamoiada, parle de sa ville avec une certaine émotion, lui qui passa toute sa jeunesse dans ses quartiers populaires parfois difficiles. Il faut parcourir encore quelques kilomètres pour atteindre Sennori, puis le secteur, le cru, de Badde Nigolosu, fief de la famille Dettori et d'Alessandro, à qui je dois ce voyage incroyable à travers la Sardaigne. Pour l'occasion et mon séjour sur place, il m'a réservé une chambre dans une des petites maisons de pierres, vestiges magnifiquement restaurés de constructions et d'un enclos datant de six cents ans, lorsque ses ancêtres, des bergers pratiquant une transhumance annuelle venaient ici faire paître leurs troupeaux.

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Dire que Alessandro Dettori est attaché à sa terre, au paysage qui l'entoure, peut être considéré comme un doux euphémisme. On pourrait aussi le dire de la production de ses vins, surtout depuis qu'il a pris le relai de son père Paolo, déjà connu pour être un référent de la Sardaigne viticole. Le degré d'exigence est maximum : "De la vigne à la bouteille, il n'y a de place pour aucun compromis!..." Au-delà de ça, le vigneron de Sennori a également un sens aigu de l'hospitalité. Dans le cadre du restaurant Kent'Annos, un outil remarquable au service de l'oenotourisme, autre axe important du domaine, Alessandro est attentif aux visiteurs de passage, aux clients qui investissent la pergola avec vue imprenable sur une partie du vignoble et la côte du Golfo dell'Asinara. Les jeunes couples viennent y dîner avec tout le romantisme voulu d'une chaude soirée estivale, dans un paysage de rêve. Les moins jeunes y apprécient une cuisine au feu de bois, avec la mère du vigneron aux manettes et aux fourneaux!... Des mêts de saison, rien de clinquant, que des choses de qualité.

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Il faut le dire, tout le temps que l'on passe en compagnie d'Alessandro Dettori est riche et d'une belle intensité. Il connaît mon projet et pense - il me l'a répété à plusieurs reprises - qu'il sera d'une aide certaine pour la viticulture sarde de qualité. Je l'espère vraiment, tant son engagement personnel au profit de celle-ci est fort et sincère. Comme c'est le cas également pour ceux que j'ai rencontrés pendant mon séjour. D'ailleurs, il met tout en oeuvre pour instaurer un dialogue constructif. Ainsi, comme il maîtrise insuffisemment la langue française et que, pour ma part, la pratique de l'italien est imparfaite, nous échangeons par le biais d'un dictaphone à traduction instantanée (merci Google!). Un outil permettant d'éviter les approximations et autres malentendus, par des corrections successives si nécessaire. Cela donne le ton de notre rencontre, d'autant que les vins dégustés au passage, agrémentent joliment la soirée!...

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Comment ne pas illustrer le sens du perfectionnisme d'Alessandro Dettori, avec ce qui se produit le lendemain matin?... Nous nous retrouvons en milieu de matinée. La journée s'annonce chargée, avec un tour complet du remarquable vignoble, la découverte de la cave construite voilà quelques années et une dégustation d'anthologie!... Après avoir avalé un expresso sur la terrasse, Alessandro revient avec toutes les bouteilles de la gamme entamées la veille, lors du dîner... "Il faut qu'on regoûte tout ça!... Hier soir, certaines cuvées m'ont laissé perplexe..." Une impression qu'en fait, nous avons bien partagé sur le moment. L'expression de certains vins était nettement en retrait, comme cela arrive parfois, en cas de fatigue des dégustateurs ou, pour une raison que l'on n'explique qu'imparfaitement, à cause de la pression atmosphérique ou lors d'un jour défavorable, comme le signalent les praticiens de la biodynamie. "Ne négligez pas de déguster en jour "fruit", plutôt qu'en jour "racine" ou "feuille", voire, pire encore, lors d'un "noeud lunaire"!..." Nous n'avons pas vérifier sur l'instant, mais le matin, tout s'exprime de bien jolie façon!... A moins que, une nuit d'ouverture et de repos?...

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L'ensemble couvre vingt neuf hectares en vignes. Les friches occupent des surfaces importantes, aux variétés multiples (carroube, laurier, myrte, anis, filaire, arbousier, fragon et figuier d’Inde) protégeant une faune diverse et variée (faucons, buses, renards, hérissons, lièvres, lapins de garenne et... sangliers). Ces dernières années, Alessandro a acheté d'autres terres à ses cousins et totalise quarante-cinq hectares sur le cru de Badde Nigolosu. On y trouve de la forêt, des oliviers et du maquis méditerranéen, sans oublier des secteurs permettant de récolter du blé. Les sols sont composés d'une prédominance de calcaire. Rappelons que les parcelles plantées en gobelet (albarello ici) sont chacune dédiées à un cépage distinct : vermentino, cannonau, monica, pascale et moscato. Les cuvées Renosu en blanc et en rouge peuvent être composées d'un assemblage, mais toutes les autres (Dettori bianco, Tuderi, Tenores, Chimbanta, Ottomarzo et Moscadeddu) sont monocépages, comme autant d'expressions d'un lieu.

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Alessandro Dettori possède un charisme certain, comme son père avant lui. La plupart des vignerons sardes, mais aussi bon nombre d'autres en Italie, le considèrent comme un référent de la viticulture transalpine. Ce n'est pas user d'un excès de flatterie et encorne moins de flagornerie que de rappeler les engagements du vigneron de Romangie. Notamment ceux tel que le parrainage qu'il exerce avec Ilaria, la fille de Stefano Bellotti, célèbre vigneron producteur de vins naturels de Ligurie, brutalement décédé il y a désormais trois ans et un de ses meilleurs amis. Depuis quelques années, il applique les préceptes de la biodynamie. Mais, c'est plutôt à la "branche Podolinsky", le célèbre biodynamiste australien disparu en 2019, qu'il est sensible. "Pour pratiquer la biodynamie, il faut avant tout être de bons agriculteurs. Mais, il y a aussi ceux qui ne s'en tiennent qu'à la seule anthroposophie, ceux qui bavardent. Mais, ça ne fonctionne pas!..." C'est dit!... Depuis la disparition de son maître, il s'est rapproché de Francesco Saverio Petrilli, directeur d'un grand domaine toscan, devenu un des grands maîtres de la biodynamie mondiale.

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Mais, au-delà de la visite de la cave construite depuis quelques années avec une exigence hors du commun, Alessandro me convie à une dégustation façon voyage sur Mars!... Il s'en frotte les mains et se réjouit à l'avance de me proposer ce moment-là. Et moi donc!.... Dans le caveau, on trouve toute l'histoire du domaine. Dans la fraîcheur de ce lieu parfaitement tempéré, les échantillons défilent. Une bonne part compte vingt ans ou plus!... La révélation de tout le potentiel de ce terroir et de ce travail d'orfèvre, artisanal, quasi artistique. On pourrait prendre des notes, collationner le tout avec d'autres comptes-rendus établis çà et là, mais le moment n'est que partage de plaisir, d'étonnement, de curiosité... Certains flacons révèlent un problème, on en ouvre un autre... Au domaine, point de bois, ni de barriques d'aucune sorte, que du béton. Des cuves de volumes différents, adaptés à la vendange. Le vigneron considère, après observation au fil des années, qu'un volume de cinquante hectolitres est idéal. Lors des vendanges, la table de tri n'est approchée que par Alessandro et son père. "Pas de compromis!"

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Nous sommes là dans la catégorie des vins naturels, réalisés avec exigence. Un des leitmotivs les plus importants pour Alessandro tient en une phrase : «Je ne recherche pas [à satisfaire] les demandes du marché, je produis des vins qui me plaisent à moi, des vins de ma terre, les vins de Sennori. Ils sont ce que je suis et ne sont pas ce que tu voudrais qu’ils soient.» En dépit des qualités intrinsèques de son terroir, la Romangie a connu une crise identaire à la fin du XXè siècle. Nombre de petits producteurs locaux vendent leurs raisins à l'industrie sarde du vin ou, pour certains, en vrac, six mois après la vendange. Heureusement, une nouvelle génération de vignerons a mis le cap sur une autre logique. Parmi eux, le vigneron de Sennori m'a conseillé deux rencontres supplémentaires, au-delà de celles prévues. Pour mon plus grand plaisir, bien sûr!...

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Il suffit de se rendre à Sorso, dans un premier temps. Là, rendez-vous avec Gianpaolo Ledda et Alessia Manca. Cette dernière, en compagnie de sa soeur Noemi, a créé Li Sureddi en 2017, s'appuyant sur le domaine familial remontant à son arrière-grand-père. 6,5 hectares, pour l'essentiel, sur le cru de Badde Pira (la vallée des pierres), dont les raisins étaient auparavant vendus à d'autres producteurs. Désormais, les mises en bouteilles au domaine permettent de mettre en valeur les vins et de les distribuer en particulier vers une bonne restauration. En fait, Sennori et Sorso ne sont séparés que par deux kilomètres, mais aussi par une sorte de ligne de démarcation séparant deux territoires ne parlant pas le même dialecte. Au sud de cette ligne fictive, le patois est dit logudorese, alors qu'au nord, il est dit sassarese. Ceux du nord de l'île sont d'origine corse, ce qui explique sans doute la présence dans les vignes de vermentino, niellucio, muristellu, moscato entre autres. La proximité de Porto Torres et d'Alghero, ports longtemps sous influence catalane, explique aussi que soient présents giro bianco et giro rosso notamment. Le cagnulari lui, est dit sarde en Catalogne, ce qui laisse supposer les échanges existant depuis le XVIIè siècle. On trouve également pascale et retagliadu nieddu, ce dernier étant connu comme le clone antique du cannonau, ou grenache. Autant de raisons de donner au domaine le nom de Antichi Vigneti Manca, dans le but de mettre en valeur cette production et de produire des vins identitaires.

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Après une soirée gourmande et des plus amicales, je retrouve Alessandro Dettori, qui doit me conduire à Perfugas, petite cité à peu près située aux limites de deux régions historiques sardes, l'Anglona et la Gallura, occupant le nord-est de la Sardaigne. Carlo Deperu et Tatiana Holler y possèdent trois parcelles plantées en 2007, notamment sur le site de Lu Scupaggiu, sur la commune voisine de Bortigiadas. Un très beau coteau, avec vue imprenable sur le lac du Casteldoria, où l'on trouve une dominante de calcaire et de marnes. Un petit chai permettant vinifications et élevages, une gamme construite depuis quelques millésimes, avec une cohérence certaine. Les cépages présents sont cannonau, muristellu, moscato, vermentino et caricagiola (ou carcajolo noir en Corse, ce qui confirme l'influence historique sur la région). On trouve même un peu de carbernet, figurez-vous!... Les vents soufflent régulièrement en été, du fait de la proximité de la mer, mais aussi par des brises thermiques générées par le lac.

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Ca tombe bien, Carlo et Tatiana se définissent comme les enfants du vent!... Il est sarde, elle brésilienne. Ils se sont rencontrés du côté de Milan, où études et activités professionnelles les avaient attirés. Il exprima son souhait de créer un vignoble dans son pays, elle s'embarqua pour l'aventure... Ils font partie de ces vignerons revendiquant en Sardaigne une approche "nature". Ils sont à peu près une vingtaine seulement, mais ces rencontres traduisent un dynamisme et un attachement à une identité sarde forte et motivante. Cela a quelque chose de rassurant, dans notre monde globalisé... Après un délicieux repas à Parfugas, à base de grillades et d'une succulente ratatouille froide proposée par Tatiana, il ne me reste qu'à rejoindre Sorso, d'où Alessandro m'amènera à l'aéroport d'Alghero, afin d'y récupérer une voiture de location, avec laquelle je vais me lancer dans une quasi traversée en diagonale de l'île et rejoindre le petit village de Nurri, dans le Centre-Est.

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J'arrive en toute fin de journée à Escolca, petit village construit tout au long de la SP 9, à une dizaine de kilomètres de chez Gianfranco Manca, qu'il me tarde de rencontrer. Le temps de prendre possession de mes quartiers dans un ravissant B&B qu'on appelle Il Giardino di Valentina et mon hôte revient vers moi pour me rappeler que le vigneron m'attend pour dîner!... Ah bon?... Super!... Craignant que je m'égare dans la campagne dépourvue de signalisations et sachant que la maison se trouve un peu au bout du monde, elle décide de m'accompagner. L'hospitalité est vraiment une des grandes qualités des sardes!... La campagne est celle du coeur de l'été, quelque peu grillée par le soleil de ces dernières semaines. Sur le chemin, nous passons par un col qui est annoncé ouvert!... On a peine à le croire à cette époque de l'année, mais la neige n'est pas rare en hiver et peut même être abondante.

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Le repas est succulent, avec notamment un lapin de garenne farci, du genre qui laisse inévitablement un grand souvenir. Il nous permet de dialoguer longuement. Au premier abord, le contact n'est pas très facile, car (Alessandro m'avait prévenu...) Gianfranco cherche d'abord à savoir pourquoi je suis là et pourquoi j'ai fait ce voyage pour le rencontrer. Je lui explique notamment que Elena Pantaleoni me l'avait vivement conseillé, lorsque je projetais ce périple. Le vigneron de Nurri n'est pas très attaché à la notion de groupe, il évite même d'en faire partie. En ce moment, il est surtout préoccupé par un sujet d'actualité, pour lequel il a reçu quelques amis ces jours-ci, afin d'échanger sur le projet de création d'un site d'enfouissement de déchets nucléaires et de marquer sa désapprobation. Ce site n'est pas encore connu, mais une réflexion est en cours pour le Centre Sardaigne. Les craintes d'un Bure sarde sont légitimes!... Au passage, je l'informe de la sortie prochaine d'une bande dessinée d'Etienne Davodeau, déjà auteur de l'universelle Les Ignorants (Gli ignoranti en italien), qui devrait s'appeler Le Droit du Sol, récit d'un long périple pédestre de l'auteur se terminant à... Bure.

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Pour évoquer son parcours, Gianfranco met d'abord en garde contre tout ce qu'on peut lire à son propos sur Internet. Je lui demande s'il existe une "légende Manca"?... Il ne le pense pas, mais je m'interroge pour savoir s'il n'y a pas matière à la créer, lorsqu'on se met volontiers en dehors des cadres connus et admis de la plupart. Panevino (et non pas Pane e Vino!...) est imprimé dans son quotidien, mais faut-il en tirer mystère?... "Le nom renvoie au rituel du pain et du vin, du simple geste quotidien de la fête, il s'élève au pur symbole spirituel". Ce qu'on admet avant tout, c'est que le vigneron fait corps avec son vignoble. Mais, il le laisse libre de se développer comme il l'entend. Il totalise actuellement neuf hectares de vignes en plus de quinze parcelles, dont deux louées et deux plantées cette année. Sur l'une d'elle, la vigne a plus de quatre-vingt ans et on y a identifié une quarantaine de cépages!... Les sols sont largement composés de schiste (à faire palir un Angevin ou un Catalan de passage!), de calcaire et d'argile. On remarque très vite la présence d'antiques arbres fruitiers (sauvages, le plus souvent) et d'oliviers dans les parcelles, pour un magnifique exemple d'agroforesterie, comme on en rêve en France!... Mais attention, pas de concurrence pour les plus récentes plantations.

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Il aime à se définir comme un "vignaiolo sulla terra", plutôt qu'agriculteur (celui qui applique une méthode). Il accompagne la vigne pour qu'elle se sente bien et donne le meilleur d'elle-même. Rares sont les cuvées produites tous les millésimes. Parmi elles, Alvas, un blanc de macération issu de sept cépages (nuragus, malvasia, semidano, vermentino, retallada, vernaccia et nasco) vinifiés ensemble, malgré des maturations différentes. C'est comme cela qu'il définie la notion d'intégration. Malgré les différences, chacun apporte sa pierre à l'édifice. Quand le vin revêt un caractère symbolique. Le plus souvent, cette grande variété de cépages disponibles lui permet de composer des vins, un peu comme des tableaux. Certains seront uniques et le fruit d'une année, les étiquettes avec eux. Rigoureux, talentueux, cultivé, il goûte sans doute peu le qualificatif de "figure emblématique et charismatique du monde du vin naturel" qu'on lui décerne parfois. Mais, on pénètre ce monde de plein pied, lorsqu'on lui rend visite. Peut-être, n'en devient-on que plus exigeant et c'est une bonne chose... Décidément, la Sardaigne et son monde du vin, voilà une contrée que l'on pourrait bien envier à l'Italie!...

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Commentaires
P
Je dirai mai ou juin. Dès le début juillet, il peut faire 30° et plus...
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D
quel est le meilleur mois pour visiter?
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