Château Vieux Taillefer, la passion selon St Emilion!...
En cette semaine pascale, quel meilleur propos que celui qui évoque la passion?... Toute la passion, rien que la passion, qui anime, au quotidien, Catherine et Philippe Cohen. Il s'agit là d'un couple de vignerons, approchant de la quarantaine, ayant travaillé moult années pour divers domaines et entreprises et qui s'est dit un jour : "OK! Maintenant, on tourne la page et on franchit le pas!..."
On a beau être animé par un fort enthousiasme et rassuré par quelques avis, tout n'est pas si simple!... Philippe, parisien d'origine était, d'assez longue date déjà, commercial dans le grand négoce local. Il a habité dix ans au coeur de St Émilion, en ignorant la Dordogne, si proche et si lointaine... Il avoue qu'il se souciait alors peu de la météo, si ce n'est pour savoir s'il fallait prévoir d'emporter un parapluie ou revêtir un imperméable. Les choses ont bien changé, pour lui qui est désormais sensible au moindre changement de la direction ou de la force du vent!...
Catherine, quant à elle, avait effectué son stage de 2è année de DNO (Diplôme National d'Oenologie) au Château La Fleur Pétrus, non loin de là. Repartie chez Drouhin, en Bourgogne, elle était restée en contact avec Jean-Claude Bérouet, qui finit par lui trouver le moyen de se faire une place dans différentes structures de la région bordelaise.
La Dordogne coule alors des jours tranquilles, mais l'idée de rechercher un domaine, un château à St Émilion mûrit lentement. Un jour, ils apprennent que le Château Vieux Taillefer est à vendre, là-bas, à Vignonet, au bord de la rivière, à quelques hectomètres de l'endroit où le mascaret finit sa course.
C'est une toute petite propriété de 3,6 ha. Seul et partant à la retraite, le vigneron veut vendre, après avoir oeuvrer longtemps avec une logique très traditionnelle : forts rendements, enrichissements, traitements classiques, pas d'éraflage et vente en vrac au négoce. Et qui plus est, en ayant perdu le statut de Grand Cru. En terme de perspectives, le challenge est dur à relever!...
Cela dit, l'ancien propriétaire était en fait un bon vigneron, qui leur laissait là un foncier irréprochable, avec 70% de vieilles vignes plantées en 1956, les manquants remplacés régulièrement (moins de 3% à la date de la vente) et après avoir fait les quatre façons pendant toutes ces années : un labour au début du printemps, pour déchausser les souches. Quand l'herbe se met à pousser, on remet un peu de terre sur les pieds. En été, on repasse pour aplanir le tout, dès qu'il fait chaud et que l'herbe devient plus rare et après les vendanges, on rechausse les ceps en vue de l'hiver.
La propriété est plantée à 90% de merlot et 10% de cabernet franc. Ce dernier se trouve au bord de la rivière, sur la parcelle dite du Pavillon, composée, pour l'essentiel, d'un sol limoneux, avec quelques petits galets éparpillés, sur un sous-sol révélant des argiles bleues. Il y règne une ambiance paisible, qui doit beaucoup, sans doute, à la proximité de la Dordogne, malgré la présence d'une route passagère, non loin de là.
Du merlot, du cabernet, quelques jeunes vignes enherbées, dans un même lot de deux hectares, qui retrouve de la vie. Bordée de cerisiers en fleurs, la terrasse herbeuse au bord de la rivière invite à la rêverie et l'ancienne maison, fin XVIIIè, du Chevalier Lacombe, ami de Parmentier et notable de Vignonet, y contribue aussi largement.
Philippe Cohen nous rappelle au passage, que ces sols réclament beaucoup d'entretien et de vigilance. Davantage sans doute, que ceux de la Côte, là-haut, dont la qualité de terroir se montre souvent naturellement correctrice. La densité de plantation atteint le strict minimum : 5000 pieds/ha, alors que l'on trouve le plus souvent 6500 pieds/ha dans le secteur.
Le temps d'un court trajet et nous nous retrouvons aux abords de la seconde parcelle du domaine. Celle-ci est tout à fait particulière. Elle forme une bande graveleuse, sorte de langue qui descend du village, avec une légère déclivité vers les deux bords. Des sols limoneux certes, mais avec une forte proportion de galets, qui plus est, sur une profondeur de cinq mètres, comme l'a révélé un carottage.
On y note un plus de précocité et on peut penser que les cabernets s'y trouveraient bien, mais elle est plantée uniquement de vieux merlots. De toute évidence, un endroit assez atypique porteur de beaucoup d'espoirs.
Installés juste avant les vendanges 2006, les Cohen savent bien qu'ils n'en sont qu'aux balbutiements. C'est la renaissance d'un "petit cru", qui pourrait aller titiller nombre de grands!... Malgré la formation de Catherine, ils se défendent de faire des St Émilion "à la bourguignonne". Mais, cela dit, en proposant deux vins, sans hiérarchie l'un par rapport à l'autre, issus de deux parcelles distinctes, le postulat de départ n'est pas très bordelais!... Mais, bigrement intéressant!...
A la vigne, ils ont opté pour un travail s'appuyant sur le calendrier lunaire. Philippe estime qu'une culture en biodynamie viendra d'elle-même, avec le temps. Dans le cuvier, après une certaine hésitation, ils ont choisi des cuves béton de chez Nomblot, notamment pour leur inertie thermique. Elles sont d'un volume adapté à chaque parcelle, selon leur superficie. Dans la mesure du possible, ils ne procèdent à aucune filtration, ni collage.
Les vendanges sont faites avec le plus grand soin et avec force tri. Les raisins non foulés sont ensuite mis directement dans les cuves. Le pigeage est limité à une division du chapeau, dont les différentes parties sont immergées successivement, comme pour profiter d'une sorte de "tectonique des plaques". Parfois, de courtes saignées sont pratiquées, si nécessaire.
Après que les deux fermentations se soient effectuées en cuves, passage en barriques, pendant un an, pour le Pavillon de Taillefer et éventuellement prolongé pour le Château Vieux Taillefer. L'utilisation du soufre se limite à une protection médicinale par correctifs lors de l'élevage en barriques, mais rien à la mise.
- Pavillon de Taillefer 2007 :
Malgré la mise récente, une vraie cuvée de plaisir, avec l'éclat du fruit et de l'élégance.
- Château Vieux Taillefer 2007 :
Plus de structure, de densité. Avec une minéralité sous-jacente de bon aloi.
- Merlot 2008, prélevé sur fût, destiné à la cuvée du Pavillon :
Un fruit frais et beaucoup de fraîcheur tonique.
- Cabernet 2008 :
Vendangé au cours de la 3ème semaine d'octobre. Du fruit mûr et pas le moindre côté végétal.
Les jus destinés au Château Vieux Taillefer 2008 sont, pour certains, en fûts neufs. La prise de bois perturbe quelque peu la dégustation à ce stade, mais le vin semble exprimer un plus certain de minéralité et une belle intensité.
Les vins de la propriété connaissent déjà un franc succès, notamment à l'export, de par leur potentiel et les perspectives qu'ils proposent. États-Unis, Suisse, Italie, Danemark, Belgique, Espagne mais aussi Maroc et Israël ont déjà découvert ces cuvées. Gageons que les amateurs français, pour peu qu'ils restent ouverts, ne vont pas tarder à en faire autant!...
Peut-être à l'occasion de la future édition d'Anthocyanes, dont la première avait lieu récemment au château, du 29 mars au 1er avril, réunissant quelques grands noms du monde du vin : Clos Mogador, Fosse Sèche, Graillot, Deiss, Chapoutier, Egon Müller, Beaucastel, Rijckaert, Trapet, Villard, Gauby, Jayer, Olivier Pithon... etc... Ça bouillonne à Vignonet!... Qu'on se le dise!...