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La Pipette aux quatre vins
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1 juillet 2012

Sauternes d'en haut, Sauternes d'en bas

Décidément, ce début d'été 2012 nous offre la possibilité d'apprécier de belles images du vignoble, pour peu qu'il soit quelque peu préservé par l'action volontariste de quelques vignerons. La nature, de par les conditions météorologiques de ce printemps, a explosé spontanément, sous l'effet de l'alternance pluie-chaleur et il se murmure que nous avons là, les conditions de rêve pour tout botaniste ou herboriste qui apprécie de parcourir la campagne. Ce n'est pas l'habit revêtu par nous-même pour cette circonstance, mais il nous tardait de redécouvrir Sauternes, ses crus, grands et petits, ceux qui figurent au sommet d'une supposée hiérarchie en même temps que sur les points hauts du vignoble et d'autres, moins auréolés par les podiums et récompenses de toutes sortes, mais disposant de parcelles convoitées, regardant amusés, ces forteresses aux pierres blanches sablées. Sans doute plus que dans bien des appellations du Bordelais, Sauternes s'ouvre à une viticulture respectueuse de l'environnement de par, notamment, les surfaces concernées. Il serait dommage de ne pas y être sensible!... Climens, fort sollicité par les visiteurs, sera revu lors d'une autre occasion. Sauve-conduit en poche, nous avons pu franchir le pont-levis et le portail de Guiraud, puis ensuite, rencontrer Alain Déjean, au Domaine Rousset-Peyraguey, pour une approche sensiblement différente du vignoble sauternais.

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~ Château Guiraud ~

Ce 1er Grand Cru de Sauternes de 1855, a, de tout temps, joué le rôle d'une sorte de franc-tireur et ceci à bien des égards. Connue dès le XVIIIè siécle sous le nom de Maison noble du Bayle et appartenant à la famille Mons de Saint-Poly, la propriété est achetée par un dénommé Pierre Guiraud en février 1766, négociant sur la place de Bordeaux et de confession protestante. Son fils Louis en fait ensuite un "grand" de la région. Même si la lignée s'éteint en 1846, avec la cession à François-Henri Neauté, le cru intègre sans coup férir la fameuse hiérarchie de 1855, sans que personne ne trouve à redire. Pourtant, on peut imaginer que quelques dents grincèrent çà et là. A cette époque, que l'on peut qualifier de post-Restauration, Pierre-Armand Guiraud provoque la société locale (qui entretient le culte de Louis XVI et Marie-Antoinette) en associant le noir et l'or sur les étiquettes du château, mais pour qu'elles portent la mémoire de l'empereur Napoléon 1er. Volonté d'indépendance, esprit libre?... Deux caractères que les propriétaires actuels revendiquent fièrement.

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En 1933, Paul Rival reçoit le domaine comme cadeau d'anniversaire le jour de son vingtième anniversaire!... Il ne le cédera qu'en 1981 à la société bermudo-canadienne Dolphin International Vineyard Limited, qui fait appel à Xavier Planty dès 1982, pour en assurer la gestion. En 2006, l'investisseur souhaitant se retirer, demande à son directeur général d'en organiser la vente. Lors d'un dîner parisien, ce dernier est à la même table qu'Olivier Bernard, du Domaine de Chevalier, Stephan Von Neipperg, du Château Canon-La Gaffelière, ainsi que de La Mondotte et Robert Peugeot, membre du directoire du célèbre constructeur automobile. Une association qui, sur le papier, ne manque pas de coffre!... A la fin de la soirée, ça roule!... Une autre aventure commence!...

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Les quatre nouveaux propriétaires, sous l'impulsion de Xavier Planty, également président de l'ODG Sauternes et Barsac (Organisme de Défense et de Gestion, l'ex-syndicat local), vont très vite opter pour une orientation vers l'agriculture biologique de la vigne. Les premiers essais datant de 1995, la généralisation à l'ensemble des 100 hectares (dont 15 en appellation Bordeaux blanc sec pour le G de Château Guiraud) se déroule sans trop de mauvaises surprises. Malgré les rendements revus à la baisse dans les premières années, les choix pour parvenir à trouver un nouvel équilibre pour toutes les parcelles s'avèrent payants.

Les objectifs sont de favoriser la diversité végétale et florale dans les vignes, en identifiant les variétés et en recensant les endroits où elles sont présentes. Rappelons que les sols, dans ce secteur, sont assez homogènes : des graves sableuses sur 80% de la surface et des graves argileuses pour le reste. Les sous-sols sont également souvent composés de sables profonds, mais aussi de graves pures traversées par des argiles rouges ou blanches, mais également par des marnes calcaires et des bandes de calcaire à huîtres.

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La biodiversité a aussi été encouragée par l'installation d'une dizaine d'hôtels à insectes, la plantation de dix kilomètres de haies dans les vignes et l'installation de perchoirs à oiseaux. Une première estimation faisait état de la présence de 100 à 200 variétés d'insectes au début du processus. En 2010, un comptage attentif les évalue désormais à 675.

A la vigne, les décoctions d'orties, diverses tisanes et la bouillie bordelaises sont les seules utilisées. A noter que le Château Guiraud se targue d'être le premier Grand Cru a obtenir la certification AB et ce, pour le millésime 2011. La recherche d'une certaine identité minérale est un objectif majeur. Enfin, le domaine déclare s'inspirer de certaines pratiques de la biodynamie, sans qu'il soit question de la revendiquer un jour.

Autre particularité du cru, la proportion importante de sauvignon, puisque ce cépage est présent à hauteur de 35%, ce qui est largement plus que pour ses congénères (rarement plus de 15%).

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Après un passage sans surprise dans les bâtiments et autres lieux d'élevage et de stockage, retour dans la salle de dégustation, où des bouteilles des trois vins du crus semblent disponibles pour une petite découverte. Nous faisons partie d'un petit groupe de huit personnes, également composé d'un couple de Japonnais et de quatre Belges (ceux-ci démontrant au passage l'intérêt des habitants de ce pays pour les liquoreux!), mais nous représentons, somme toute, un potentiel moindre de vente directe que le groupe de vingt-cinq personnes qui nous a précédé. C'est la conclusion que nous tirons de la dégustation proposée, puisqu'en effet, notre guide, au demeurant fort sympathique, disparaît quelques instants et revient avec dans ses mains, une bouteille entamée du millésime 1998 "juste ouverte depuis ce matin"!... De toute évidence, à Guiraud comme ailleurs, il faut montrer gosier blanc, pour goûter aux millésimes qui illustrent les nouvelles orientations prises. Mais pourquoi justement, ne pas proposer deux millésimes simultanément (1998 et 2008 par exemple, même en demi-bouteilles) et tenter d'expliquer, les nuances qui font que ces vins s'expriment différemment?... Bien sûr, dix années, c'est beaucoup dans la vie d'un vin et les liquoreux sont, pour beaucoup de visiteurs, des "sucreries" rares, mais il semble pourtant que ce type de vin et ces Grands Crus ne peuvent guère négliger de séduire les visiteurs et, au-delà, les amateurs de passage. Qui pour se plaindre des évolutions majeures dans le vignoble?... Personne. Mais que diable, propriétaires de l'élite viticole, restez vignerons!...

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~ Domaine Rousset-Peyraguey ~

A Sauternes, on oublie parfois qu'il n'y a pas que des Grands Crus Classés et des propriétés "réinvesties". Certes, en moins d'un demi-siècle, le nombre de domaines familiaux et de petits propriétaires a été divisé par quatre, au bas mot. Néanmoins, il convient également de rappeler que le choix de l'agriculture biologique n'est en rien l'apanage de ceux qui disposent de budgets marketing conséquents. La preuve en est avec ce domaine situé dans le hameau d'Arrançon, sur la commune de Preignac. Là, vous trouverez Alain Déjean, qui n'en finit pas d'étonner les amateurs et souvent, d'irriter les voisins du secteur!...

Le Domaine Rousset-Peyraguey est un vieux domaine familial du Sauternais. Alain Déjean, âgé de 61 ans, est le représentant de la sixième génération de vignerons. L'adoption de l'agriculture biologique ne date pas d'hier, puisque la génération précédente l'avait adoptée dès 1971. A cette époque, le vigneron d'Arrançon ne pense pas à la vigne. Il fait des études plutôt brillantes et finit par sortir d'une école de commerce et de management avec brio et diplôme en poche. Pendant vingt ans, il sera créateur de supermarchés et d'hypermarchés pour le Groupe Leclerc. Puissance, gloire et argent, un cocktail qui conduit parfois les hommes au... pétage de plombs!...

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Mais au-delà de ce que certains qualifieront de crise de la quarantaine, Alain Déjean se doit de regagner la maison familiale, avec vue sur Yquem. En effet, sa mère est en mauvaise santé et ne tarde pas à disparaître. Son père est alors résolu à vendre terres et bâti. Le fils ne peut accepter l'idée de la cession d'une propriété qui lui vient de la famille de sa mère. Il décide de reprendre le flambeau d'un domaine qui compte alors 6,5 ha de parcelles au coeur des domaines les plus prestigieux. Bonjour le défi!...

Il débute donc sur place en 1995. Son père lui fait part de ses choix, ses orientations : "Je travaille avec la Lune." Une fois passée la stupeur, lui le cartésien, le manager, se dit qu'il est hors de question d'en rester là et que, s'il suit le même chemin, il lui faudra comprendre. Il rencontre Maryse Barre et le groupe de Paul Barre, puis Michel Favard, tous adeptes de la biodynamie. Lui qui s'appuie sur ses propres connaissances en matière d'ésotérisme et d'alchimie, se met à étudier en profondeur l'anthroposophie au cours de l'année 1998, au point de créer un groupe de lecture et d'étude avec également des médecins et des pharmaciens. A cette époque, il suit les cahiers des charges Ecocert et Demeter. Dès 1997, il n'utilise plus de sulfites, sans savoir où il va vraiment. La méthode est confirmée en 1999. En 2000, il supprime le cuivre dans les vignes. Gardant sa volonté pour une meilleure compréhension des processus Terre/Vigne, il sait qu'il doit continuer à étudier et progresser. Quelques rencontres vont s'avérer essentielles, dont celle avec Wilhelm Kanne, puis de l'ex-PDG de Weleda.

En 2009, il abandonne Demeter, pour créer l'association Terra Dynamis (ou Dynamis), un groupe de viticulteurs sensibles à l'idée que le vin peut être proposé dans une version absolument naturelle. Au programme : relecture de la biodynamie, cristallisations sensibles et vinification avec du soufre naturel épuré. Au-delà de ces points essentiels, chacun s'engage dans une réflexion sur la méthode et participe à la recherche vers d'autres préparations biodynamiques.

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"Il ne s'agit pas d'être que viticulteur. Ce qui me porte, c'est définir ce qu'est l'écologie et démontrer que dans ce monde de chimie, on peut faire des choses naturelles et produire autant que le voisin".

Le Domaine Rousset-Peyraguey, c'est actuellement 14 hectares de vignes distribuées en 58 parcelles. 4 ha 30 sur Fargues, de la commune de Langon, destinés à produire des vins plus légers (sol composé d'une épaisseur de huit mètres de sable), 3 ha 30 de la commune de Barsac, d'un sol argilo-limoneux sur calcaire et 6 ha 30 sur 33 parcelles de 5 à 32 rangs de sémillon pour l'essentiel, réparties au milieu des vignes des plus grands noms de Sauternes, Preignac et Bommes (sol limoneux). Leur sous-sol est celui du fameux plateau de Sauternes : de l'argile bleue de cobalt et du calcaire non-actif, sur une plaque de calcaire actif à vingt mètres de profondeur. Inutile de dire à quel point ces parcelles sont convoitées par les voisins immédiats : Lafaurie-Peyraguey, Rieussec et autres. La moyenne d'âge des vignes atteint cinquante ans, l'encépagement se composant de 80% de sémillon, de 15% de sauvignon et de 5% de muscadelle.

Bien sûr, on peut être préoccupés par la cohabitation de méthodes foncièrement différentes à la vigne, alors que les rangs ne laissent apparaître aucune séparation visuelle. Et c'est là que la méthode Déjean entre en vigueur. Le vigneron précise que pendant deux mois d'été, il s'astreint à un poudrage ou à la dispersion d'une tisane chaque soir ou presque. Ces dernières sont ensemencées de bactéries et de vitamines E et D, celles-ci détruisant tout élément extérieur de synthèse. Pas moins du volume de cinq dynamiseurs sont nécessaires pour les 14 hectares. Il faut donc profiter des jours consécutifs d'une même constellation pour une même préparation. C'est pour le moins sportif!... Et Alain Déjean ne cache pas d'ailleurs sa fatigue physique. C'est le dur lot des vignerons en biodynamie et l'on peut s'étonner au passage que certains pratiquent la méthode sur des surfaces importantes, alors qu'ils ne disposent pas nécessairement d'un matériel conséquent.

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Passage au chai pour découvrir quelques flacons et le vénérable pressoir vertical acheté en 1952. Régulièrement, certaines pièces sont fabriquées et changées à la demande. Notez que les vendanges sont les plus tardives possibles, avec une sélection des raisins en quatre ou cinq passages. Les vinifications sont résolument non-interventionnistes et les élevages se déroulent en barriques anciennes (de quatre à six ans) de chêne ou d'acacia. Alain Déjean propose une série de Sauternes et Barsac dans des conditions "normales" de dégustation, à savoir à température ambiante, ce qui risque plutôt de pénaliser les vins, en cas de forte chaleur.

La série commence par un 2004, année qualifiée de difficile, avec une fleur bien arrosée et seulement trois jours de beau temps au cours des vendanges. Le second vin est également un 2004, mais en fait, un vin de voile élevé 63 mois en barriques enterrées dans le sable sec!... Étonnant, mas pas vraiment rare au domaine!... Suivent, le 2005, qui vient d'être mis en bouteilles, millésime très riche, à l'instar de 2003 et 2011, où certains tris atteignaient 28 à 30°, puis une Crème de tête 2002 issue du vignoble de Barsac.

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La très belle Crème de tête 2005 est issue du très beau terroir sur argile bleue de cobalt (la plus grosse plaque européenne de 2,5 km de rayon!), où se situent 80% d'Yquem, 60% de Rieussec et 10% de Suduiraut. Quelques mots pour finir de cette étonnante cuvée 2003 ayant passé 78 mois en barriques!... Celles-ci furent entreposées sur cinq hauteurs, dont une enterrée et la dernière touchant le toit. Les jus, directement transférés en fûts, passèrent ainsi six ans et demi sur les bourbes. Cette "expérience", menée en 1995 et 2000, a également été renouvelée en 2011, autant de grands millésimes.

Le Domaine Rousset-Peyraguey est donc un cru à découvrir absolument. La volonté du vigneron, qu'il soit présent en France, est une chance pour les amateurs qui fréquentent certains salons. Guère plus de 70% des volumes produits sont destinés à l'export. Bon an mal an, entre 15000 et 27000 bouteilles sont disponibles, malgré des rendements moyens se situant entre 9 et 11 hl/ha. Notez qu'à partir de 2010, Rousset-Peyraguey sera le vin de table le plus luxueux de France (avec cependant, un tarif, départ domaine, qui se situe entre 15 et 30 euros)!... En effet, les relations à couteaux tirés avec l'ODG Sauternes et Barsac incite Alain Déjean à oblitérer désormais le nom de ces appellations prestigieuses sur ses étiquettes. Pas certain qu'il n'en soit pas froissé, au nom du souvenir de ses ancêtres, mais la fierté d'une fidélité à ses idées a-t-elle vraiment un prix?...

Commentaires
A
J'ai récemment découvert le miracle de la production du Sauternes et j'ai été soufflée. Votre article m'a beaucoup intéressé, tout particulièrement le retour du Château Guiraud aux techniques naturelles de culture, basées sur la valorisation du patrimoine naturel. Ce bien les grands cadres qui font les grands vins.<br /> <br /> Si jamais vous étiez intéressé par un article de ma composition: http://adeleauxbonsplans.blogspot.fr/2013/01/doux-sauternes-noble-pourriture.html
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S
Génial,une verticale est attendue ?
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