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La Pipette aux quatre vins
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La Pipette aux quatre vins
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29 novembre 2014

Château Massereau, à Barsac (33)

L'article du printemps dernier, paru dans une célèbre revue viticole, cherchant à nous démontrer que quelques irréductibles girondins pourraient bien se transformer en révolutionnaires de la dive bouteille, a sans doute fait long feu dans le landerneau local. Cependant, l'initiative révèle qu'un tant soit peu de curiosité peut nous mettre sur la piste de véritables révélations. Loin de l'intelligentsia bordelaise, qui a tendance à nous laisser entendre que, sans elle point de salut, forts de leur libre arbitre intact et de leurs convictions, certains domaines et châteaux proposent de remarquables vins, comme ceux de la famille Chaigneau, à Barsac.

013De prime abord, on peut penser que cette famille, originaire d'un petit village du nord de la Vendée, est somme toute installée là depuis plusieurs générations, se passant le relais pour entretenir le domaine et la flamme. En fait, il n'en est rien, puisque sous l'impulsion de l'un des fils, Jean-François, désirant devenir vigneron au moment où l'avenir doit se dessiner, toute la famille s'est mise en quête d'une propriété, pour ne franchir le portail de Massereau qu'en 2000. Une façon pour le moins singulière de prendre pied dans le troisième millénaire!... Très vite, le second fils, Philippe, a pris le parti et la charge de s'occuper des aspects commerciaux et promotionnels du cru.

Un joli château dans la campagne sauternaise, construit sur des bases très anciennes et souterraines, avec des apports successifs de tours et autres constructions, s'étant étalés du XVIè au XVIIIè siècle. Contemporain des règnes d'Henri III, Henri IV et Louis XIII, Jean Louis de Nogaret de La Valette, alias le Duc d'Epernon, en fait un élégant relai de chasse, lui qui est résident du proche château de Cadillac.

Beaucoup plus près de nous, Massereau a connu plusieurs propriétaires depuis 1986, dont la famille Castéjà (les vignes de Doisy-Védrines sont contiguës à celles du domaine), un couple de Suisses également présents du côté de St Emilion et Jean-Paul Lafragette, ex-propriétaire de Château Loudenne, dans le Médoc, désormais bien connu dans la région pour ses déboires judiciaires.

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Le domaine, c'est aujourd'hui une petit dizaine d'hectares, dont 1 ha 10 environ qui coulent de la terrasse du château jusqu'au Ciron, avec même les traces d'un ancien port, dit de Barsac, utilisé à une époque déjà ancienne, pour la très recherchée pierre, visible sur nombre de façades de la région. La proximité de la rivière est un gage de production de raisins botrytisés, dans le sens confit-rôti, comme c'est le cas pour le M de Massereau, obtenu après une cueillette grain par grain (avec une pince à cornichons si nécessaire!) et huit à douze tries successives. Utilisation d'un petit pressoir à cliquet pour une presse très longue, puis fermentation et élevage en barriques neuves. La production moyenne, sur les dix dernières années, se situe aux environs de 10 hl (quatre barriques et demie), avec des années nettement plus basses, favorables à la production d'une seconde cuvée, La Pachère, comme ce fut le cas notamment les années paires, entre 2002 et 2008. Pas de trace de sauvignon ici et les Barsac-Sauternes sont composés de 85% de sémillon, avec un complément de muscadelle. Notons que certains millésimes sont venus, dit-on, bousculer la hiérarchie locale, lors de dégustations récentes.

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Pas de Graves blancs, mais 1 ha 88 destinés à la production de Graves rouges, parfois hors du commun. Encépagement classique pour les cuvées d'assemblage : cabernet sauvignon, cabernet franc, merlot, petit verdot et le très rare merlot à queue rouge, en lieu et place du malbec. Peut-être encore plus que les Sauternes, les rouges du domaine évoquent l'attachement de la famille à la production (et à la dégustation) de vins dits de garde. Les deux fils ont été élevés dans cette tradition des Bordeaux qu'il fallait savoir attendre, même si Philippe semble dire que, parfois, il pourrait en être autrement... Le Graves rouge est construit dans cet esprit et 2009 illustre cela parfaitement, mais d'autres millésimes sont disponibles. Une dominante cabernet qui oscille entre 50 et 55% (CS 40% et CF 10%), associé à 30 à 35% de merlot et 10 à 15% de petit verdot. Une expression qui se veut typique des vins issus des sols d'argile rouge, reposant sur la roche mère calcaire, avec finesse, élégance et densité.

018Mais, le véritable révélateur de la passion du vigneron pour un travail attentif et tourné vers la qualité (et la rareté!), ce sont les cuvées Socrate (prénom de l'ancêtre) et Eliott (le dernier représentant de la nouvelle génération), toutes deux issues de ce même terroir des Graves. Un process que l'on ne s'attend pas à trouver dans le Bordelais, ou si peu!... Socrate est un assemblage des cinq cépages cités plus haut. Vendanges très sélectives, égrappage et foulage manuels, puis passage en barriques neuves ouvertes et debout. Brassage et pigeage manuels pendant la fermentation alcoolique, puis fermentation malolactique dans ces mêmes fûts. Écoulages par gravité vers le petit chai d'élevage, où sont réunies des barriques neuves (entre un tiers et 40%), mais aussi d'un et deux vins, pour une durée totale de 20 à 24 mois (moins pour le 2013!). Travail d'orfèvre!... Au final, les vins sont ni filtrés, ni collés (aucune utilisation de techniques oenologiques modernes!), pas de levurage et très peu de soufre (le vigneron précise que ses vins ne dépassent pas 60 de soufre total pour les rouges, toutes cuvées comprises).

Régime identique (vinification intégrale) pour la cuvée Eliott (600 bouteilles), dont la dégustation est une véritable révélation. Il s'agit là, en effet, d'un vin 100% petit verdot. Le millésime 2009 a passé 22 mois en barriques, mais il est pourtant très modérément boisé, au nez comme en bouche. Robe noire intense, des fruits noirs au nez, du zan, une touche de menthol, immense!... Incrachable!... Environ 15,5° naturels, ce qui laisse une idée du niveau de maturité recherché. Les jus flirtent, certaines années, avec les 16°, mais seulement 13,8° en 2014!... Quand même!... Quelque chose qui nous inspire cette réflexion : et si nos GCC voulaient se donner la peine... Pour Jean-François Chaigneau, l'étonnement aussi de voir tous ces vignerons de la région poussant les merlots au maximum, alors que, de toute évidence, ils ne sont pas faits pour ça!...

Mais, ce n'est pas tout! Le domaine compte aussi un peu moins de six hectares en Bordeaux Supérieur, sur un îlot comptant une douzaine d'hectares à l'origine, dont 1 ha 50 arrachés depuis peu. Là encore, une démarche précise, cohérente et... attentive au marché. Une première cuvée sur une base de merlot (60%) associée aux deux cabernets et à un soupçon de petit verdot qui, après une cuvaison de quatre à six semaines en cuves ciment, est élevé de douze à quatorze mois en cuve inox. Une autre, la Cuvée K, à dominante cabernet cette fois, est entonnée début décembre pour douze à dix-huit mois, selon le millésime. On est là dans tout ce que Bordeaux peut offrir de traditionnel, mais avec une expression sincère et bien construire. Enfin, à peine 5000 bouteilles de Cuvée X (40% CS, 10% CF et 50% merlot), élaborée sans sulfites ajoutés, un vin naturel qui s'offre sur le fruit et la dynamique propre à nombre de ces vins. A découvrir absolument!...

019Enfin et même si la dégustation en était impossible lors de notre passage, une autre cuvée vedette (mais n'apparaissant même pas au tarif, tant elle est rare!) s'est faite une certaine réputation auprès des fidèles clients du domaine, n'imaginant pas un seul instant céder une partie, même réduite, de leur dotation!... Le rosé - que dis-je? - le Clairet, dont le dernier millésime est en cours d'élevage (mais, ne le répétez pas!). D'assez vieilles vignes de cabernet sauvignon et de merlot, dont la vendange subit une macération pelliculaire, puis une fermentation en barriques âgées de trois ans, avec bâtonnage. Élevage sur lies pendant six mois environ (avec bâtonnage dégressif), si bien qu'un très léger sulfitage n'intervient que deux mois avant la mise. Tous ceux qui ont dégusté cette petite merveille de "claret" sont presque prêts, dit-on, à faire allégeance à la couronne d'Angleterre, comme on peut le voir ici!... C'est dire!...

Un domaine à découvrir donc, aussi parce que Jean-François Chaigneau n'est pas homme à pratiquer la langue de bois et encore moins l'esbroufe. Il observe ce qui se passe autour de lui, dans sa région d'adoption, fait des choix, tout en appréhendant bien ce qui est important pour le bon équilibre de son domaine. Certes, il ne revendique pas de label bio, parce qu'au seul cuivre, qui selon lui n'est pas forcément la panacée vis-à-vis des sols, il préfère l'emploi de produits de contact à base de cuivre, mais aussi de zinc qui lui, n'est pas reconnu par l'agriculture biologique. Depuis trois ans, il a fait le choix de la confusion sexuelle, avec de bons résultats même si, selon lui, il faudrait qu'elle soit pratiquée plus largement à proximité. Enfin, il a opté pour le travail des sols, afin de s'interdire tout mode de désherbage chimique, bien entendu. Tous les travaux sur les pieds de vigne eux-même, au fil des saisons, sont manuels, jusqu'à la récolte réclamant toujours un tri attentif, quel que soit le raisin et sa destinée. Au chai, aucun intrant ne franchit le portail et le domaine revendique plutôt fortement la production de "vins naturels". Tout n'est cependant pas figé et parmi les objectifs actuels, figure l'achat de petites cuves en bois de trente ou cinquante hectolitres, en vue d'élevages encore plus attentifs, au moyen de contenants préservant l'authenticité du raison et l'expression du terroir dont il est issu.

020Le Château Massereau avance et notamment à l'export, plus particulièrement vers les pays anglo-saxons. Rappelons que certaines cuvées sont produites en faible quantité et que, même si elles sont proposées aux particuliers à un tarif plutôt élevé (de 95 à 115 euros pour Socrate, Eliott et le Sauternes, les premières cuvées se situant aux environs de 10 à 15 euros, y compris le Clairet), elles ne manqueront pas de prendre avant longtemps une quasi dimension patrimoniale : des Bordeaux authentiques, mais rares. La famille Chaigneau va-t-elle révolutionner Bordeaux pour autant?... Peut-être pas, mais ses vins ne manqueront pas d'interpeller les amateurs, qui seront avisés de ne pas forcément se tourner, en toutes circonstances, vers d'autres étiquettes pompeuses et immuables, dont la calligraphie dorée, souvent dotée d'une part de vétusté soigneusement entretenue, nous berce parfois (souvent?) d'illusions.

Au moment où, pour bon nombre d'amateurs, l'achat en primeur de grands crus bordelais devient impossible (surtout quand il s'agit de se fier à des notes de pseudo experts et que parfois, les propriétaires préfèrent se concentrer sur des marchés lointains!), il est donc envisageable de choisir une autre voie. Non loin de là, un autre domaine des Landes girondines et sauternaises a franchi un palier encore plus extrême, du point de vue des tarifs s'entend, ne se destinant qu'à l'Asie et la Russie et ne cherchant même pas, semble-t-il, la moindre forme de confrontation avec ses pairs. Après un premier rendez-vous remis, nous espérons pouvoir l'évoquer ici dans quelques semaines.

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