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La Pipette aux quatre vins
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La Pipette aux quatre vins
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20 août 2015

La Petite Ramonière, des bières dans le marais

Ils sont un certain nombre, de nos jours, à brasser dans leur cuisine ou leur salle de bain, internet et les réseaux sociaux ayant mis en ligne depuis quelques temps déjà, la recette pratique pour produire sa bière. C'est aussi par cette méthode qu'a débuté François Gorvan-Cosson. Mais aujourd'hui, le concept a bien évolué et il a installé sa brasserie aux champs. Au coeur du Marais Breton plutôt, à Notre Dame de Monts. Oui, c'est bien cela, à quelques kilomètres, à vol d'échasse, d'avocette, de barge ou de macreuse de la côte montoise, de Saint Jean de Monts et de Noirmoutier, lieux de vos villégiatures estivales surpeuplées!... Mais, en chevauchant votre vélo, vous trouverez somme toute aisément La Petite Ramonière, quelque part entre le site de l'écomusée du Daviaud et le Kulmino, si haut qu'une salle panoramique peut aussi vous permettre de découvrir le superbe marais nord de Vendée. La Petite Ramonière, pour vivre heureux, brassons cachés!...

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Ici, les oiseaux reviennent, parce que la vie reprend le dessus, grâce à quelques agriculteurs, éleveurs ou céréaliers, qui tentent de produire en tenant compte du milieu naturel. Certes, la logique du cycle des saisons - laisser le marais sécher en été et se couvrir d'eau en hiver - a encore du mal à correspondre au rythme des agriculteurs, préférant souvent voir l'eau servir de clôture naturelle dans les étiers, lorsque les bêtes sont aux champs et opter pour l'évacuation de l'eau des pluies hivernales, mais, les choses avancent, permettant aux échasses et autres barges de s'installer régulièrement. François dispose ici de cinq hectares autour de la maison, un peu posée comme une île dans le marais, mais les terres, ici, sont plutôt destinées aux vaches et pas aux cultures. Il procède donc à des échanges de parcelles, afin de semer blé, orge et sarrasin sur des terres plus propices, non loin de là.

002En fait, l'histoire de cette brasserie aux marais voit le jour en Allemagne. Après des études à Bordeaux, où il rencontre celle qui deviendra son épouse, yonnaise d'origine, départ pour le pays où la weissbier trouve son origine au Moyen-Âge. Mais, c'est dans l'électronique automobile qu'il est sensé s'épanouir. Le couple passe donc six années au pays de Goethe, où naissent leurs deux garçons, un à Munich, où ils vivent trois ans et le second à Dortmund.

Pendant ces années, lors de la visite d'une brasserie, ils découvrent que tout ça, "c'est un peu de la cuisine, alors que justement, on aime bien cuisiner!" Ils procèdent donc à quelques essais avec leurs ustensiles de cuisine, mais cela ne se révèle pas très bon!... Ils achètent donc un peu de matériel plus adapté et, à force de bricolages, finissent par produire quelque chose de meilleur.

Tout cela s'additionnant à une envie de changer d'activité, le retour en France est décidé. François trouve du travail à Nantes et c'est là que mûrit l'idée de la ferme-brasserie, d'autant que la ferme de Notre Dame de Monts, qu'ils connaissent déjà, va devenir accessible. Et puis tout s'enchaîne assez vite : après une année de transition, un plan social dans son entreprise lui donne l'opportunité de franchir le pas. Les voilà au coeur du marais, dans cet environnement si particulier, mais plein de charme et peut-être de mystères certains matins de brouillard, quand les cris des oiseaux se mêlent au bruit des roseaux animés par le souffle du suroît déchirant le rideau de brume, même s'il faut passer quelques temps dans un mobile home et se lancer dans des travaux conséquents de rénovation de la maison.

004Après les deux premières années, le brasseur montois n'ignore rien de sa marge de progression au niveau des cultures notamment, par manque d'expérience, mais aussi du fait de terres ne permettant pas de gros rendements. De plus, il tend à devenir autonome pour tout, ou presque, le processus de brasserie, une production connue pour son côté énergivore et son gros besoin en eau. Et même s'il est dans le marais, ce n'est pas l'eau des étiers qui peut lui permettre de s'approvisionner. Quant aux eaux de pluie, elles ne peuvent servir, jusqu'à maintenant, que pour certaines phases bien précises de nettoyage, tant l'exigence de qualité des eaux utilisées est grande. A contrario de la production viticole, nous sommes là dans un milieu particulièrement aseptisé.

Une production de bière de qualité, à la fois originale et séduisante, passe par des céréales de qualité. En 2016, il estime qu'il sera en mesure de produire entre 60 et 80% de ses besoins en orge, le reste étant acheté à proximité, auprès de céréaliers bio du secteur. Cette orge est actuellement en silo, mais dès septembre, le tout prendra la route de la Bretagne et sera confié à une malterie artisanale - Malt Fabrique - la première malterie artisanale créée en France, à Ploeuc sur Lié, en Côtes d'Armor. Du coup, François y suivra une formation afin de malter lui-même à l'avenir, l'essentiel de ses malts. Actuellement, il fait appel à une malterie bio en Allemagne, qui lui livre son malt de base et quelques kilos de malt torréfié.

Avant de passer aux processus de maltage et de brassage, que François, volontiers didactique, décrit avec force détails, découverte d'une parcelle de deux hectares de blé, où sont présentes pas moins de six variétés anciennes de blé, les semences provenant d'un boulanger-paysan. Quelques arpents d'une variété moderne complètent l'espace, montrant au passage, à quel point cette dernière produit moins de paille. Il s'agit là d'un blé semé-récolté, sans aucune intervention sur le champ en cours d'année, même si une réflexion est en cours à propos de l'usage de l'herseterie, mais pas du binage. Pragmatique, le fermier-brasseur entend trouver un compromis entre la consommation de gasoil en vue d'une meilleure production et les économies. A noter que les parcelles sont en cours de certification bio. Pour l'orge (deux hectares), il s'agit de variétés modernes, très adaptées au brassage, même si une recherche de variétés anciennes se fait jour, par le biais d'un groupement d'agricuteurs mis sur pieds depuis peu, permettant une réflexion plus intense.

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Il faut savoir que l'orge est la céréale la plus utilisée en brassage. En Allemagne, la recette longtemps exclusive, ne prévoyait que du malt d'orge, de l'eau, de la levure et du houblon et ce, depuis le XVIè siècle, le blé étant alors réservé au pain. Celui-ci a été utilisé bien plus tard pour produire des bières dites blanches, par le biais d'autorisations délivrées par des familles royales, au XVIIè, puis pour la production des grandes brasseries allemandes à la fin du XIXè. La production de céréales est complétée sur la ferme par un hectare de sarrasin (qui n'a pas très bien marché cette année) et par une recherche avec d'autres grains, seigle et épeautre notamment. A noter aussi qu'il y avait cette année 20 à 30% de folle avoine dans l'orge, ce qui va permettre au brasseur de tenter une nouvelle expérience (aspect des choses que François multiplie volontiers), à savoir le maltage de l'avoine après un tri soigneux, rendu possible par la différence des grains, pour ensuite l'intégrer dans une recette et faire une bière stout (un peu Guinness), ce qui donne un côté moelleux à la bière finale.

010Trois bières principales sont proposées à la Petite Ramonière : deux composées à 100% d'orge et une à 65% d'orge et le reste en blé. Mais, du fait de la proportion voisine des deux céréales en culture, les recettes actuelles vont évoluer pour intégrer un peu plus de blé. De plus, François veut développer une autre gamme de blés différents et proposer des weissbier, avec des taux d'alcool plus ou moins élevés, donnant des bières plus ou moins sucrées, avec des malts différents, le tout donnant autant de caractères variés.

Et maintenant, tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le maltage, sans jamais oser le demander!... "Le grain, c'est de l'énergie sous forme d'amidon (un sucre) très complexe, que les levures ne peuvent pas utiliser. Or, on a besoin des levures pour faire de l'alcool. Il faut donc transformer cet amidon. Quand le grain germe, il y a, sur les couches externes du grain, des enzymes qui sont synthétisés, capables de dégrader cet amidon, pour fournir aux cellules du grain l'énergie nécessaire pour pousser. Le maltage doit générer ce stock d'enzymes." Vous me suivez?... "On met donc le grain à tremper pour lui redonner les conditions de germination avec un taux d'humidité supérieur à 40% (alors que pour le stockage, ce taux doit être inférieur à 12 ou 13%) et à une température de 20° environ. Ainsi, le grain va vouloir commencer à germer."

"Après cette phase de trempe, les grains sont étendus au sol et la germination se fait alors. Il faut remuer régulièrement le grain pour éviter qu'il ne monte en température. Quand le germe commence à sortir, c'est donc que les enzymes sont là et qu'ils transforment l'amidon. Il convient alors de stopper la germination, puisqu'on a les enzymes et qu'on veut garder l'amidon servant à faire le sucre, dont on a besoin pour faire la bière. Il faut donc sécher le grain en le passant au four pendant 72 heures."

015En fonction de la température et du taux d'humidité, on obtient des malts différents et on peut ainsi colorer le grain pour lui donner des saveurs et des couleurs différentes. La gamme de malts peut donc être assez variée. Le malt de base est séché à basse température (se sont des malts pale ou pils), on garde alors tout le stock d'enzymes. Plus on monte la température, plus le grain se colore (en fait, c'est la réaction de Maillard, comme lorsqu'on saisit un steak), mais le stock d'enzymes est attaqué. On peut éventuellement aller jusqu'à la torréfaction, voire torréfier le grain à sec, comme pour le café. Quand on fonce vraiment les grains (arômes de café ou chocolat), il n'y a plus d'enzymes. On les associe alors en petites quantités avec du malt de base, afin d'obtenir des goûts différents.

Après le maltage, passons au brassage. Par rapport aux vinifications, un brasseur a l'avantage de pouvoir brasser plusieurs fois dans l'année. Le cycle est court. En été, François brasse deux fois par semaine, afin de satisfaire la demande. Il n'y a donc pas de saisonnalité, sauf pour les premiers essais réalisés cette année, au printemps, de bière au sureau, mais les deux brassins n'ont pas été proposés au public. Il faut savoir qu'une fois maltées, les céréales se conservent un an.

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le brassage... "Il reste alors 88% d'amidon dans le grain. Cette phase, c'est la continuité du maltage. Il s'agit de transformer l'amidon pour conserver les sucres. Il faut donc écraser la graine pour que l'amidon devenu friable pendant le maltage, se mélange bien à l'eau. L'écorce du grain doit être la moins cassée possible, elle servira de filtre pour filtrer la farine obtenue au concassage. On utilise une cuve en inox, avec une tôle perforée non loin du fond, et de l'eau à 68° (selon les bières). Les grains sont versés dans l'eau chaude, ce qui réactive les enzymes, qui vont dégrader l'amidon pour donner les sucres exigés par les levures. Il peut y avoir plusieurs sucres et enzymes différents. Ceux-ci vont casser l'amidon à des endroits particuliers, faisant des sucres différents à chaque fois. Les amidons ont des plages de températures favorites. En sélectionnant la température, on peut donc sélectionner les sucres voulus." Simple, non?... Pour les détails sur la (ou les) méthodes, n'hésitez pas à vous rendre à la Petite Ramonière!...

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Notez qu'il existe plusieurs procédés de brassage (c'eut été trop simple!) : par infusion et par décoction. Pour la première, il existe en fait, deux tendances principales : ce que font les Belges et ce que font les Anglais. Ces derniers procèdent le plus simplement : ils font un monopalier à 68°, ils intègrent le grain dans l'eau et ils attendent 1h30. Ensuite, ils récupèrent le jus et c'est tout! Le palier à 68° favorise seulement deux types d'enzymes. Les Belges, quant à eux, font plusieurs paliers, mais cela exige un matériel plus complexe, puisqu'il faut des cuves chauffantes, pour passer d'un palier à l'autre.

022La méthode par décoction, utilisée par les Allemands réclame de prélever une partie de la maische (à ne pas confondre avec la drèche, résidu solide recyclé, qui sert d'aliment du bétail, comme pour les agneaux de la ferme voisine) et la transférer dans la cuve à ébullition, la faire bouillir et la remettre dans la cuve pour ré-élever le palier. La décoction est donc complétée par une sorte d'infusion. Pour sa part, François fait un monopalier à 62°, température où l'enzyme produit des sucres fermentescibles (alors que ce n'est plus le cas à 72°, où ils ne sont plus fermentescibles, ce qu'on appelle des dextrines). Il détermine ainsi s'il va obtenir une bière sèche en bouche (ce qu'il préfère) ou avec des sucres résiduels. Il faut ensuite faire un test à l'iode, pour vérifier si l'amidon s'est transformé, puis l'ébullition se prolonge 1h30, avant d'ajouter du houblon, l'épice de la bière, qui donne de l'amertume et des arômes. On peut utiliser plusieurs houblons différents, afin de jouer sur l'amertume et les arômes, à des moments variés de l'ébullition. Intégré au début de celle-ci, le houblon voit ses acides s'isomériser et apporter de l'amertume à la bière, alors qu'à la fin, ce sont les huiles du houblon qui apportent les arômes. Intégré trop tôt, le houblon verrait ses arômes se volatiliser. Au terme de l'ébullition, le jus passe à travers un refroidisseur à 20°, puis dans la cuve de fermentation, dans laquelle est intégré le fermenteur, en fait de la levure sèche. Cette fermentation dure une semaine, puis transfert en chambre froide, afin de précipiter la levure. Pour obtenir la pétillance, on ajoute un sirop avec du sucre dans la cuve destinée à l'embouteillage. A l'issue de la mise, les bouteilles sont dirigées vers une chambre chaude qui va permettre la deuxième fermentation en bouteilles. Au terme du process, il ne reste plus qu'à déguster. Pour un brassage, François entame le cycle entre six et sept heures du matin, terminant entre quinze et seize heures. Pour L'Echasse, il compte environ deux heures de plus. Bien sur, si vous souhaitez entrer un peu plus dans le détail de cette alchimie particulière, propre au brasseur et à sa sensibilité personnelle, il vous faudra envisager une petite visite dans le marais montois.

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Sans dévoiler de recettes particulières, trois bières sont proposées actuellement à la ferme : L'Avocette, L'Echasse et La Barge, respectivement blanche, blonde et ambrée. La quatrième (comme dans les Trois mousquetaires!), La Macreuse est une bière dite de Noël. La première a tout d'une bière de soif. Passée par un seul palier entre 64 et 65°, elle développe peu d'amertume. Dans les conditions actuelles de production, cette bière connaît, selon François, quelques variations de goûts entre les brassins de l'hiver et l'été, du fait d'une plus grande sensibilité à la température de l'eau utilisée. Le problème sera résolu à l'avenir, l'eau sera stockée en chambre froide et les cuves thermorégulées, ce qui ne pourra que servir une bière exigeant de la finesse, pour laisser s'exprimer le houblon.

L'Echasse, c'est la plus complexe à produire. Elle passe par trois paliers. A 35° tout d'abord, puis à 50°, par un rajout d'eau à 72°, stade au cours duquel la levure utilisée développe des composés intéressants, puis un troisième à 64°, par une décoction fluidifiant la maische et facilitant la filtration. La Barge, quant à elle, ne passe également que par un seul palier, mais à 67°. Ambrée, un malt caramel est utilisé, associé avec 1% de malt torréfié, qui participe à sa couleur et à la touche torréfaction de ses arômes.

Voilà donc les trois bières (toutes pour une, une pour toutes!) de la Petite Ramonière. Chacun l'aura compris, les choses ne sont pas figées, tant le brassage permet de multiples options et tant le brasseur veut laisser libre cours à son imagination. Par petites touches, les recettes vont évoluer et d'autres essais se profilent : élevage en barrique ayant contenu du Cognac, association bière-vin... Du côté technique, les installations vont être largement remaniées pour aller, à terme, jusqu'à la création d'un laboratoire, permettant la production de levures. En premier lieu, il s'agit surtout de gagner en confort, sans oublier les évolutions au niveau de la culture des céréales et leur maltage, prévu sur place avant longtemps.

Une production que vous pouvez aussi découvrir dans le cadre du Collectif Court-Circuit, un groupe du nord-ouest de la Vendée, présent sur nombre de marchés (notamment cet été sur l'Ile de Noirmoutier) et dans diverses occasions festives, dont chacun pourra apprécier le blog évocateur. Un groupe de paysans et de mangeurs, soucieux de leur territoire et de leur environnement, qui doit aussi apprécier, de temps en temps, les bières de François Gorvan-Cosson, n'en doutons pas!... Et nous avec eux!...

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Commentaires
M
Pour une bière dans un autre marais (un marais de chez moi), la Bière du Naufrageur, produite sur l'île d'Oléron vaut le détour...
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