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La Pipette aux quatre vins
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La Pipette aux quatre vins
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18 mars 2012

Escapade saponarienne

Savennières au sortir de l'hiver, une escapade intéressante à plus d'un titre pour les fidèles arpenteurs des vignobles de Vigne'Horizons. Une journée hivernale pour la forme, si l'on s'en tient au calendrier, car une brume vaporeuse postée sur les hauteurs du Layon et de l'Aubance, sur la rive gauche de la Loire, ne risque pas de ternir la lumière de la rive droite, ni l'impression d'ambiance printanière qui prévaut sur les hauteurs de Savennières, en cette belle journée de la mi-mars. L'aubépine, quelques arbres aussi, blanchissent doucement, timidement, dans les buissons des alentours. Mais, la végétation sans le moindre feuillage, permet en ce moment d'apprécier les perspectives dans leur profondeur, les enfilades des coulées dans la totalité de leur pente. Le moindre belvédère offre une vue quasi circulaire sur les crus de l'appellation. C'est cela, la profondeur de champ, de prés et de vignes!...

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D'ailleurs, je ne résiste pas à la tentation d'emmener le petit groupe découvrir la lumière ouatée offerte par la Loire, à l'extrémité d'une des parcelles du Château d'Epiré, celle-là même surplombant le fleuve et bordée par le fossé et le mûr la séparant du Grand Clos de la célèbre Coulée de Serrant, qui permet d'apprécier la magie du lieu et d'en expliquer quelques aspects historiques et viti-vinicoles.

Je vois certains visages s'étonner, lorsque je rappelle que face à eux, dans la pente, se déroula ici-même, en 1214, une bataille médiévale qui permit aux troupes royales de repousser les Anglais, ce qui conditionna ensuite l'issue favorable de la bataille de Bouvines. Haut-lieu à la fois viticole et historique, s'il en est!... Ces bâtiments dans la coulée, sont ceux d'un monastère cistercien datant du XIIè siècle (1130), dont les moines s'évertuaient alors, comme dans moult contrées du pays, à identifier les grands terroirs et à y planter de la vigne. Bien leur en prit ici, comme ailleurs, puisque celle-ci y est présente depuis près de neuf siècles.

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~ Domaine aux Moines, Tessa Laroche ~

Sur la hauteur qui domine ces "Grands Crus de Loire", nous distinguons également deux grandes demeures aux formes et à l'esthétique voisines. La première est celle dite du Domaine aux Moines, de la famille Laroche. Construite peu de temps avant la Révolution de 1789, par le Père prieur de l'Abbaye St Nicolas d'Angers, elle fut vendue comme bien national dès 1793. Plusieurs propriétaires se succédèrent, dont Monsieur Benz à la fin des années 20, puis la famille Faure (dont les initiales apparaissent sur la façade arrière et qui restructura le domaine) jusqu'en 1981, date à laquelle les Laroche en firent l'acquisition. Nous sommes nombreux à avoir croisé Monique Laroche, infatigable globe-trotteuse, qui pendant deux décennies ne ménagea pas sa peine pour promouvoir le domaine et le cru dans de nombreux salons, mais elle s'occupe principalement désormais de ses 1600 rosiers et a confié à sa fille Tessa, les clés de la Roche-aux-Moines du nouveau millénaire!... Tout permet de croire qu'elle en fait bon usage, au regard de l'évolution du domaine et de la passion qui l'anime, lorsqu'il s'agit d'évoquer ce qui a prévalu à la mise en place de la toute nouvelle AOC Roche-aux-moines (en même temps que l'AOC Coulée-de-Serrant). Elle ne pouvait qu'être sensible à cette démarche quasi-révolutionnaire, puisque le domaine compte actuellement la moitié des surfaces plantées de chenin de l'appellation, mais les huit vignerons du cru doivent ressentir une légitime fierté à avoir obtenu l'aval de l'INAO pour ce qui est la trame d'une véritable mise en lumière de ces deux douzaines d'hectares d'exception, surtout au regard de ce qui se passe actuellement sur l'autre rive de la Loire...

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Il suffit donc de déambuler un tant soit peu dans les parcelles proches, pour mesurer "l'impact terroir" du lieu. Dans le haut, face aux bâtiments, les nouvelles plantations sont situées sur des parcelles qui dominent d'une courte tête une bonne partie de Savennières. Face à nous, Papillon, Caillardières, Bizolière... Une zone nerveuse, aride. Nerveuse, de par son aérologie naturelle. Aride, pour ce qui est des schistes rouge-orangé très présents, impression quelque peu amplifiée par la sécheresse qui règne en ce moment. En15032012 010 franchissant la Loire, les bancs 15032012 015de sables largement visibles renforcent ce sentiment de décalage chronologique de la météo du début d'année, malgré les blocs de glace charriés par le fleuve, voici à peine plus d'un mois!...

Plus bas, les sols sont partagés. Un peu plus d'argile, quelques silex et même des vestiges de poteries et de vaisselle cassée, dont il est difficile de connaître l'origine. Au-delà du mûr, une large parcelle, propriété naguère de Pierre Soulez et qui fut cédée ces dernières années à quelques vignerons talentueux de la région, ceux-là même qui réussirent à s'entendre sur de nouvelles conditions de production des vins du cru. La seule vue de ces rangs exposés plein sud et plongeant vers la Loire, nous permet de croire à l'apparition, dès maintenant, de quelques grandes cuvées fidèles à cette terre d'exception.

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Lorsqu'on passe côté jardin, le contraste est saisissant. L'atmosphère semble plus paisible. Cela tient-il au décor joliment organisé, aux mûrs qui limitent ce large carré, le transformant en cocon végétal?... A moins que ce ne soit les arbres vénérables ou le berceau des fées qui veillent sur ce refuge de la faune locale, en se jouant des espiègles farfadets. Saluons Vénus au bain comme il se doit et dirigeons-nous vers le chai à barriques pour d'autres découvertes!...

Le millésime 2011, en cours d'élevage comme il se doit, permet de confirmer à la dégustation, les deux sensations perçues dans le paysage. Qu'ils soient en barriques de 400 ou de 220 litres, non neuves pour la plupart, les jus issus du secteur des Ruettes, côté façade, ou ceux provenant des parcelles côté jardin, gardent leurs trames aromatiques respectives. Touche minérale et vigueur pour les uns, caractère finement citronné, avec un plus de délicatesse à ce stade pour les autres. Dans les premiers, les amers en fin de bouche pourraient illustrer une tendance du millésime, sans que ce soit rédhibitoire. Ils n'ont aucune pointe asséchante et devraient se fondre pendant la durée de l'élevage, qui doit se prolonger encore pendant un an. Comme c'est le cas le plus souvent au domaine, la seconde fermentation ne s'enclenche pas, même si Tessa Laroche dit ne pas la contrarier, ni avant ni pendant l'élevage. Ces jus sont très clairs et limpides, contrairement au volume actuellement en cuve. Leur expression semble s'ouvrir de nouveau, après la période glaciale de février, au cours de laquelle une singulière réduction était apparue.

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Une première partie de Roche-aux-Moines 2010 a été mise en bouteilles depuis quelques jours et montre actuellement le volume et la matière plutôt onctueuse du vin. Une richesse et une densité qui devraient s'équilibrer avec le temps, grâce au support acide et à la minéralité de l'ensemble. Dans ce millésime, une sélection est toujours en cours d'élevage. Cette seconde cuvée (une grande nouveauté au domaine!) n'a pas encore de nom (Tessa écoute toutes les suggestions!), mais les fées du parc veillent certainement sur son berceau, si l'on en croit ce que le vin propose actuellement : délicatesse, spontanéité aromatique, volume impressionnant!... Un futur must sans doute, catégorie Grand Cru!...

Juste le temps d'apprécier quelques tronçons d'anguille fumée, pêchée en Loire par Jérôme Monfray, auquel nous rendrons visite dans quelques jours et nous prenons la direction de l'Auberge de la Roche, à St Jean de Linières, jolie étape gourmande de notre périple.

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Chair de tourteau sur gelée d'étrilles et lit de fenouil en guise d'entrée, accompagnée d'un Clos de Coulaine 2009 du Château Pierre Bise, puis la jolie tranche de lard caramélisée au soja, déjà largement médiatisée par d'autres escapades, dont celle de Petitrenaud, recette qui va permettre à Claire et Philippe Bodier de mettre le cap sur Tokyo le mois prochain, afin d'y représenter la cuisine régionale, accompagnée pour l'heure d'un très agréable Vacqueyras Le Clos 2006 du Domaine Montirius et un dessert pour le moins gourmand, une coque chocolatée, compotée de fruits rouges, vanille glacée et cheveux d'anges.

A peine dix kilomètres nous séparaient de notre seconde étape vineuse du jour... Pas étonnant que le perspicace Damien Laureau ait proposé à notre groupe quelque peu repu, de commencer la visite par un petit tour des quartiers nord du vignoble de Savennières, afin de profiter de la douceur ambiante et d'encourager une bonne digestion!...

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~ Damien Laureau ~

Voici à peine une décennie, ce vigneron classé "p'tit jeune qui monte" illustrait alors parfaitement le renouveau , que d'aucuns estimaient indispensable, d'un vignoble comme celui de Savennières, la belle endormie. Mais, pendant que d'autres franchissaient le Rubicon en même temps que la Loire, lui venait du nord avec armes et bagages. Le jeune homme n'était pas du genre à prendre le Moulin de Beaupréau les armes à la main, mais plutôt à se fondre dans le paysage, si bien que quelques rencontres, dont celle d'Eric Morgat et une forte détermination allaient lui permettre de percer rapidement, avec des cuvées très réussies.

Damien Laureau entame cette année sa treizième campagne à Savennières. Comme le temps passe!... Natif de la Région Parisienne et fils d'une famille de céréaliers du plateau de Saclay, il n'imagine pas passer sa vie loin de la terre, lorsqu'il doit quitter la ferme familiale reprise par son frère aîné, à la fin des années 90. Après une 15032012 040expérience dans le compostage végétal, il débarque en Anjou, dégotte 5,5 ha à Savennières et collabore avec son oncle au Clos Frémur, aux portes d'Angers, pour lequel le fermage est alors lié à 6 ha de poiriers et cinq autres hectares de vignes rouges en appellation Anjou.

En 2006, il décide d'arrêter les poiriers en même temps que la collaboration familiale, ce qui se concrétise au printemps 2007. Le Clos Frémur (vigne et poiriers) est repris depuis peu par un jeune couple, qui tente de valoriser l'ensemble et dont les premiers vins sont sortis cet hiver. Damien Laureau revient donc à Savennières et tente d'élargir le domaine. Aujourd'hui, celui-ci compte 7 ha 10 en production (dont 25 ares en Roche-aux-Moines et 40 ares dans cette même AOC, en association avec Clément Baraut) et 7 h 80 plantés uniquement de chenin au total, y compris une jolie parcelle au pied du Moulin de la Petite Roche, à proximité du Clos Ferrard, cher à Éric Morgat. Le tout est en conversion vers l'agriculture biologique et la labellisation sera effective pour le millésime 2012, après une première tentative en 2007, contrariée dès 2008. En fait, l'épisode aura permis au vigneron de faire une synthèse de ces deux années à risque, pour repartir du bon pied vers le bio en 2009. Rappelons au passage que Savennières compte environ 150 ha en production actuellement (sur 300 possibles) et que la moitié, soit à peu près 75 ha sont cultivés en agriculture biologique. Si ce n'est quelques rares exceptions, comme l'AOC Baux de Provence, la cité saponarienne doit figurer parmi les leaders en la matière!...

Damien Laureau dispose de deux parcelles importantes, dont une de 1,5 ha au pied du Moulin de Beaupréau, point haut de l'appellation et une autre de 3 ha à proximité immédiate. Les sous-sols se composent surtout de schistes gréseux, avec un sol plus ou moins épais de sables limoneux, ou sables éoliens, parsemés de phtanites et de quartz. Les vignes ont ici une vingtaine d'années. Avec une précision quasi chirurgicale, le vigneron d'Epiré observe sa vigne depuis son arrivée et en a dressé une cartographie précise à l'échelle du domaine, où apparaissent les variantes de sols. Il peut ainsi organiser les vendanges par tries selon les maturations, mais aussi opter avec précision, selon les secteurs, pour des tailles en cordon de Royat, Guyot simple ou double, déterminer plus aisément le choix du porte-greffe lors des nouvelles plantations, ou pour le travail des sols et la conduite de la vigne. Le tout permettant d'organiser les vinifications et, à terme, de composer les deux cuvées15032012 045 principales du domaine. Point essentiel : l'accent est mis sur un travail attentif à la vigne (évalué à 100 heures/ha tout au long de l'année), afin de pouvoir limiter les interventions au chai, y compris une approche par la biodynamie.

Non loin de là, à l'entrée du village d'Epiré en venant de Savennières, se situe la parcelle de 1,30 ha, Champ Boursier, dont les vignes, âgées d'une dizaine d'années, sont plantées sur un sol contenant une plus grande proportion de rhyolite, roche volcanique très présente dans les grands crus voisins. Bien ventilée, bénéficiant d'un bon drainage naturel, la vigne se distingue surtout là, par des rendements pouvant être très faibles (moins de 20 hl/ha depuis 2007, année de leur reprise, 14 hl/ha en 2011). Damien Laureau aime rappeler au passage, que les rendements autorisés dans l'appellation sont de 50 hl/ha et que les siens oscillent, bon an mal an entre 20 (2011) et 28 hl/ha (2010) avec un plancher à 8 hl/ha en 2008 sur 5,5 ha. Il considère que cette sorte de course aux rendements faibles, en vigueur chez certains, n'est pas une fin en soi et que la vigne doit pouvoir supporter une production se situant entre 35 et 40 hl/ha, sans que la qualité et les équilibres n'en soient affectés.

Trois cuvées sont proposées au domaine : Les Genêts, issus le plus souvent de parcelles type sables et schistes et Bel Ouvrage, issu de schistes et rhyolites, toutes deux en appellation Savennières et la dernière née, provenant des 25 ares en Roche-aux-Moines, à compter du millésime 2010, maintenant disponible... mais d'ores et déjà épuisée!...

Depuis le passage en bio, Damien Laureau reste d'autant plus attentif aux avis de ses clients. Cependant, il considère que ses vins ont évolué vers plus de finesse depuis 2007. Plus que se positionner sur une expression 15032012 050parcellaire de ses cuvées, il les compose en regard du millésime, dans la recherche d'un équilibre qui leur est propre. Ainsi, Les Genêts 2009 associaient 20% sables et 80% rhyolites, alors qu'en 2010, c'était l'inverse.

D'une façon générale, les vins sont élevés pendant un an en barriques, puis passent un deuxième hiver en cuves, avant la mise qui intervient en mars/avril, sauf exception, comme pour Les Genêts 2010, dont une partie est en bouteilles depuis novembre. C'est aussi le cas de la Roche-aux-Moines 2010, élevée dans une barrique neuve de 400 litres et une autre de 300 litres d'un vin, avec une mise sans filtration et sans soufre. Le vigneron évoque aussi l'empirisme en vigueur pour certains aspects du métier, mais il n'hésite pas à aborder certaines choses de façon plus pragmatique, en faisant appel à une approche plus technologique. Ainsi, pour le soufre justement, s'il protège les jus à la vendange, il s'en remet à l'utilisation d'un logiciel avant la mise, qui lui permet de calculer rapidement le SO2 actif, sur la base du pH du vin, de son taux d'alcool et de la quantité de soufre libre. La correction éventuelle est donc aisée à obtenir et la décision reste malgré tout au vigneron. A noter qu'au préalable, les soutirages sont effectués au gaz carbonique, ce qui évite l'emploi de soufre au cours de ces épisodes parfois délicats.

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Trois jolies cuvées donc, offrant une gamme cohérente et progressive, que le vigneron cerne désormais mieux, tout en sachant à quel point une part de remise en question est indispensable. Le progrès technique s'impose lui aussi et Damien Laureau va investir cette année dans une table de tri, qui lui permettra d'optimiser la vendange. Cependant, il faut composer avec les aléas de chaque millésime. Ainsi en 2011, alors qu'il s'attendait à une récolte généreuse, la grêle survint quinze jours avant les permières tries et, au final, il manque près de 40 hl par rapport à 2010!... Une piste à suivre malgré tout et quelques flacons à partager, option chenin grand cru!...

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Commentaires
E
... d'aller refaire un tour à Savennières après avoir lu tout ça. Fait soif, non?
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