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La Pipette aux quatre vins
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La Pipette aux quatre vins
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18 septembre 2013

Vacqueyras, deux domaines sous les Dentelles!

Les amateurs savent bien que l'appellation voisine du célèbre Gigondas recèlent quelques jolis crus et jolies cuvées. C'est sans doute l'antériorité du décret d'appellation - 1971 pour Gigondas et 1990 pour Vacqueyras - qui a contribué à cette notoriété supposée supérieure. Pourtant, depuis nombre de millésimes, certains domaines ont hissé le jeune cru au niveau des meilleurs du Rhône Sud. Et, désormais, d'autres arrivent, sans tambour ni trompette, avec tout leur potentiel dans les trois couleurs, alors que le célèbre voisin ne produit que des rouges (et quelques rosés). Au total, 1300 hectares au pied des Dentelles de Montmirail et, de plus, quelques superbes paysages.

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~ Eric Bouletin - Roucas Toumba ~

"Ce n'est pas le plus connu, mais ce qu'il fait, c'est très bon!" C'est en ces termes que Béatrice, du Domaine du Pourra, nous a suggéré de rendre visite à ce vigneron de Vaqueiras, en provençal. Difficile de rester indifférent à une telle invite. Le provençal, une langue que maîtrise d'ailleurs parfaitement le vigneron, tant il l'utilise dans la conversation, histoire de rajouter en quelques mots, si c'est encore nécessaire, la lumière qui reflète sur le calcaire des Dentelles ou le souffle du mistral chaud de l'été. Issu d'une famille présente ici depuis 1580 (quatre cent trente ans, c'est du moins l'âge supposé de la maison familiale, qui apparaissait sur un cadastre ancien), on peut se demander s'il n'est pas en plus un descendant de Raimbaut de Vacqueiras, troubadour, jongleur, puis chevalier triomphant dans les tournois de la Cour du Prince d'Orange, à la fin du XIIè siècle. Il participa même à la IVè croisade, mais périt lors d'une bataille, près de Thessalonique.

La famille d'Eric Bouletin a, de tous temps, été composée de petits paysans essayant de vivre le mieux possible en quasi autarcie. La polyculture et ce que donnait la nature assez généreuse de la région était la règle. Ce fut longtemps le temps des agriculteurs-chasseurs-cueilleurs. Le changement survint après la seconde guerre mondiale et surtout le grand gel de 1956, qui a précipité la mort des oliviers. On imagine ce que pourrait être ce paysage, s'il était encore composé le plus souvent de ces arbres pouvant être multi-centenaires. Le vigneron de Roucas Toumba ne cache pas une certaine nostalgie, en évoquant ce temps passé où il y avait tant à transmettre à ses descendants. "La vérité de la vigne, c'était plutôt avant, lorsque les anciens la plantaient dans les endroits adaptés à elle seule, comme c'était le cas aussi pour les oliviers."

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Aujourd'hui, le patrimoine d'Éric, ce n'est pas moins de 16 ha éparpillés sur toute la commune en trente parcelles, ce qui constitue une sorte de conservatoire des terroirs locaux. Un casse-tête peut-être parfois, surtout quand l'herbe envahit la vigne, comme cette année au printemps (un syndrome vécu par tous, dans le sud, en 2013), mais un gage de liberté sans doute, au moment de composer les cuvées issues de sélections parcellaires.

Lors de notre passage, toutes les parcelles sont superbes, si ce n'était celles largement touchées par la coulure cette année. Comme ses collègues, le vigneron a du user de la débroussailleuse et parfois, a du arracher l'herbe à la main dans les plus jeunes vignes. Ainsi, ce mourvèdre planté en 2000, destiné à la grande cuvée, Les Restanques de Cabassole, le porte étendard du chevalier Bouletin. 5000 pieds/ha, deux porteurs par souche, quatre à cinq grappes par pied depuis que celles-ci sont moins grosses. Les premières années, il n'hésitait pas à brosser les grappes au moment de la fleur, "histoire de voir la tête de mon voisin, qui me prenait pour un fou!..." Sans doute son côté troubadour farceur!... Par ci par là, on trouve des pieds de picardon (il en a par ailleurs planté une parcelle cette année) ou parfois du vaccarèse. "Si on veut explorer des voies nouvelles, il faut être un peu dans la marge. C'est la marge qui fait avancer la norme. J'en connais un rayon là-dessus!..." ajoute-t-il rieur.

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Le plus souvent, les vignes ne sont pas rognées, afin d'éviter les grappillons, qui ne seront donc pas ramassés par les vendangeurs. Les vieux grenache en gobelet, comme cette parcelle plantée en 1923, sont malgré tout épointés. Certains de ces grenache ont souffert du gel de début d'année. Une ou deux parcelles, dans un vallon proche, en Vin de France et en Côtes-du-Rhône, sont d'ailleurs à arracher. A noter que les mourvèdre seront sans doute vendangés en octobre cette année, même si une faible charge peut accélérer la maturité de ceux-ci. Ce sera la première fois depuis très longtemps.

Ce tour des parcelles permet d'apprécier vraiment le paysage de Vacqueyras. Certes, les coteaux ne sont guère marqués, comme sur les hauteurs proches, mais pourtant, les parcelles bénéficient d'expositions différentes, du fait des terrasses successives de l'Ouvèze, aux pentes variables. Tout l'intérêt donc de ce parcellaire dispersé. Tout en procédant, d'une manière singulière, à l'inventaire des grappes restant sur les grenache, suite à la coulure, Éric Bouletin fait part de sa perception de méthode telle que la biodynamie, pour laquelle il confirme son intérêt. "Il y a une corrélation certaine entre le fonctionnement d'un sol et la qualité des raisins."

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On a parfois l'impression que, tout en évitant de se disperser, le vigneron de Vacqueyras laisse libre cours à sa curiosité et à tout ce qu'offre la région de diversité, notamment pour les cépages et leur dimension patrimoniale. Il n'est pas interdit de penser que s'il existait trace de quelque variété rare, elle serait présente sur le domaine, ne serait-ce que pour prendre juste quelques libertés avec... la norme. Pour les blancs, il dispose de deux parcelles plantées chacune de trois cépages. Si ce n'est quelques plans isolés de picardon, carignan blanc et piquepoul, la base se compose de marsanne, roussanne, viognier, clairette, vermentino et grenache gris. "Il faut bien s'amuser un peu!" Cette année, il a planté un tiers d'hectare en Vin de Pays, avec de la roussanne, du vermentino et trois cents pieds de chenin!... C'est un grand fan des blancs de Loire, Eric Bouletin! D'ailleurs, si vous lui rendez visite et que vous avez la possibilité de lui apporter une cuvée de romorantin, qu'il n'a jamais eu l'occasion de goûter, vous ferez un heureux.

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Lorsqu'on l'interroge à propos de la date de son installation, Eric répond avec humour, 19 juillet 1969, jour de sa naissance!... Ce qui laisse supposer à quel point il est imprégné de sa terre et de son environnement. D'ailleurs, lors du tour des vignes, il ne manquera pas de vous montrer ce couple de guêpiers d'Europe multicolores, dont il connait la méthode de chasse, pour l'avoir souvent observée.

En fait, ses débuts datent de 1998. Cette année-là, Christian Vache, du Domaine de la Monardière, dont il apprécie beaucoup les vins et avec lequel il partage quelques canons de temps en temps, lui propose son aide pour vinifier une première barrique. C'était le rêve d'Éric, qui jusque là livrait tous ses raisins à la cave coopérative, mais, il ne disposait alors ni de matériel, ni de clientèle. En 2000, il va ainsi vinifier deux barriques, quatre en 2002... Aujourd'hui, c'est plus d'une quarantaine, pour le plus grand plaisir des amateurs.

Notre tournée continue vers La Grande Terre, nom donné à une des cuvées de Roucas Toumba. En fait, c'est aussi le nom que le vigneron donne à la plus grande parcelle du domaine, 1 ha 40 sur le Plateau des Garrigues, la plus grande partie de l'appellation qui s'étend jusqu'aux limites de Sarrians. Un sol très caillouteux, avec des profondeurs de sol très variables, dont des affleurements d'argiles jaunes. On y trouve des grenache, à propos desquels, Éric dit, un rien amer que "finalement, ça me coûterait moins cher de payer une bière à mes vendangeurs, plutôt que de les employer à la cueillette, puisque cette année, il n'y a rien!"

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On en termine avec les syrah des Garrigues de l'Etang (1 ha 05). Un endroit que le vigneron apprécie particulièrement pour l'espace et la lumière qu'il offre. Il faut noter cette vue à 360° : la côte gardoise, les Alpilles, le Luberon, les monts du Vaucluse, le Ventoux, les Dentelles de Montmirail et les Baronnies derrière. Magistral!...

Pour finir, dégustation de quelques flacons sous le patio, mais accompagnés de l'incontournable mistral, qui semble rendre l'atmosphère plus légère, plus aérienne. Au moins, il n'est pas trop fort, ce jour-là, au point de rendre fou, comme le dit parfois l'adage. Le blanc, Les Prémices, a d'ores et déjà une vraie personnalité, malgré la relative jeunesse des vignes de sept ans. Pour cette cuvée, "c'est dans l'idée de ce que font mes maîtres, Monardière, Sang des Cailloux... Après, on s'en inspire, on ne copie pas." C'était l'avantage, voire le luxe de la page blanche. Éric voulait "avoir à la fois la richesse aromatique des cépages du nord, qui n'ont peut-être pas l'équilibre, parce que trop au sud et en même temps la fraîcheur et la minéralité de ceux du sud, qui sont eux bien à leur place." D'où cet assemblage de marsanne, roussanne, viognier, sur un terrain calcaire, avec pas mal d'argile, assez profond et de clairette sur les galets roulés du Plateau des Garrigues, voire un soupçon de vermentino et de grenache gris, mais ne le répétez pas!...

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Tout est vendangé le matin en caisses, après un gros travail en vert, afin d'obtenir des maturités homogènes par parcelle et par pressoir. Débourbage au froid pendant 24 heures et mise en fûts pour une fermentation sans levurage. Elevage en barriques de 500 litres de deux à cinq vins pendant un an. Au total, 3000 bouteilles, qui contribuent à alimenter la production quasi confidentielle de Vacqueyras blanc (3 à 4% de l'appellation). Selon le vigneron, il y a des tas de façons d'interprêter le blanc ici, ce qui contribue à son succès.

Deux très beaux rouges également, avec tout d'abord, la cuvée La Grande Terre, assemblage de mourvèdre venant du dit secteur, de syrah d'une trentaine d'années sur un coteau au couchant également, composé de sables et d'argiles et de grenache venant de deux parcelles différentes, dont une dans le bas de Cabassole.

La star du domaine, c'est la cuvée Les Restanques de Cabassole. De vieux grenache octogénaires, associés à de la syrah et un peu de mourvèdre, mais aussi un soupçon de blancs (viognier, clairette, grenache blanc...). Pour tous ceux qui l'ont goûté, un phénomène!... Où le vin, sans doute, prend une dimension artistique. Éric Bouletin ne cache pas son amour pour la littérature. En appréciant ses vins, on peut se demander si la lecture de quelques grands romans d'aventure ne le guide pas, au moment de composer ses cuvées. Jules Verne? Hemingway? Certains disent de lui que c'est un romantique qui s'ignore, peut-être parce que c'est sans doute un écorché vif, touché au coeur par les évènements de la vie, ceux dont la blessure a du mal à cicatriser, mais qui vous montrent indiscutablement le chemin à suivre, en restant fidèle à soi-même. Un troubadour du XXIè siècle!...

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~ Domaine Le Clos de Caveau ~

Cru officiel du prestigieux Festival d'Avignon depuis 1998, à peine huit ans après avoir obtenu la reconnaissance officielle de l'AOC, Vacqueyras compte quelques domaines porte-étendard, mais aussi d'autres qui diffusent une production issue des appellations voisines, Gigondas et Beaume-de-Venise, par exemple. Un aspect des choses qui contribue peut-être à une sorte de dilution de la réputation du cru, au profit des voisins plus connus, ou bénéficiant d'une notoriété plus ancienne. Mais, en plus de la Monardière ou du Sang des Cailloux, souvent cités, quelques domaines méritent l'attention des amateurs, parce que, somme toute, bien ancrés dans le superbe paysage des Dentelles de Montmirail.

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Parmi ceux-ci, le Clos de Caveau (à ne pas confondre avec le Clos des Cazaux, bien connu également), souvent cité par les vignerons du cru, comme étant un des plus beau site de l'appellation. Une douzaine d'hectares autour d'un mas typique, dans un écrin de pinède, juste au pied des Dentelles. A 200 m d'altitude, la vue s'ouvre sur la plaine du Comtat Venaissin, dans une succession de sites que les visiteurs peuvent tenter d'identifier. C'est un Suisse, Henri Bungener (prononcez Binjenère!), que d'aucuns pensent citoyen britannique, qui en est propriétaire. Son père Gérard avait acheté cette propriété en 1976, à Steven Spurrier, bien connu dans le monde du vin, pour ses contributions à la revue Decanter, mais aussi pour l'organisation, cette même chaude année, du fameux Paris Tasting of 1976, appelé aussi le Jugement de Paris, au cours duquel, pour la première fois, des vins californiens issus de cabernet sauvignon et de chardonnay, obtinrent de meilleures notes et ravirent la vedette aux plus célèbres crus de Bordeaux et de Bourgogne. Shoking!... 

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Dix années plus tard, le domaine opte pour l'agriculture biologique et obtient le label Ecocert (AB en France, NOP aux USA, ainsi que le Bourgeon suisse) en 1989. Depuis 1993, Henri Bungener a succédé à son père et manage désormais l'ensemble en s'appuyant sur l'éthique de la culture bio, mais dans le respect de l'authenticité du cru et la sincérité des tenants et aboutissants des millésimes. On compte là exactement 11 ha 87 en AOC Vacqueyras, avec une majorité de grenache et de syrah, sur un total d'une vingtaine d'hectares. A Viollès, dans la plaine, on trouve également 2 ha en Côtes-du-Rhône (50% syrah et 50% grenache) destinés à produire un rosé, ainsi que la cuvée rouge Les Bateliers.

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Avec nombre de vignerons, leur rendre visite, c'est arpenter les vignes, goûter le paysage, découvrir un univers et mesurer parfois la force d'un terroir. Ce ne fut pas le cas avec Henri Bungener et il nous convia rapidement à une dégustation des cuvées disponibles. Il faut dire que nous connaissions déjà le domaine de longue date, lorsque son propriétaire actuel y séjournait aux beaux jours, pour ses vacances estivales. C'était voilà près de vingt ans, lorsque notre fils Frédéric, aujourd'hui Bordelais, vint y assurer un intérim de quelques mois, au terme de son service militaire. Nous avions alors découvert le coteau bordé par la forêt, que l'on travaille au chenillard et cette parcelle, non loin des bâtiments, dont la vigne venait juste d'être arrachée. Le labour profond qui y avait été pratiqué révélait toutes les teintes d'argiles, en bandes successives dans la pente. Ce fut peut-être une de nos premières perceptions de la notion de terroir vinicole. Il m'en reste d'ailleurs une bouteille... de ces argiles et peut-être même une photo.

Le vigneron du Clos de Caveau évoque toutes les options prises au cours de ces années. Toutes tendues vers une amélioration de la qualité, en évitant le plus possible de céder à la fuite en avant de l'oenologie moderne, certains jours. Sans doute aussi du fait d'une évolution de ses propres goûts, avec une orientation certaine vers la diminution des doses de SO2. Mais, on n'évoque pas forcément les phases de fermentation puis d'élevage de la même façon que chez un vigneron du cru. Il semble qu'il y ait parfois moins de tabous dans l'esprit de quelqu'un venu de l'étranger, que chez les défenseurs d'un vignoble dont ils sont natifs. Prenons par exemple le problème de l'augmentation des degrés naturels, qui devient, en quelques sortes, le talon d'Achille des crus rhodaniens. Il n'est pas interdit de penser que l'acidification est, pour certains, devenue la règle, avec ces grenache notamment qui atteignent et dépassent même aisément les 15°, même si cela ne sera pas le cas cette année, du fait d'une coulure record en Vallée du Rhône sud et des conditions climatiques de septembre. Certains, comme Marcel Richaud, tentent de lutter contre le phénomène en recherchant des levures indigènes favorables (avec BIOcépage), d'autres, comme Henri Bungener, essaient de trouver quelques pistes déterminantes au moment des vendanges et des macérations. Toujours est-il que lorsque le vigneron annonça à son oenologue-conseil qu'il ne voulait plus user de sa méthode prônant l'adjonction d'acide tartrique dans ses vins, il n'eut plus de ses nouvelles pendant six mois!... Étonnant, non?... Il est donc parfois très intéressant de rencontrer un acteur aussi attaché à l'authenticité et à la sincérité des vins d'une région, n'éludant pas certains sujets... brûlants.

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Lors de la dégustation des cuvées disponibles, l'impression ressentie lors de Vinexpo 2011 se confirma sans difficulté. Les progrès sont certains et on peut apprécier des vins suaves, abordables gustativement, mais néanmoins solides et fidèles à leur "rhodaniénité"!... Du fruit mûr, des épices, un bel équilbre dynamique, la gamme est bien composée, avec notamment Fruit Sauvage, Carmin Brillant et la plus rare Lao Muse, qui n'apparaît que dans les meilleurs millésimes.

Avec ces deux domaines, aux physiques et aux charmes différents, Vacqueyras ne manquent pas d'atouts. Décidément, le Rhône austral est en marche!...

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