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La Pipette aux quatre vins
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La Pipette aux quatre vins
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16 juillet 2014

Ludovic Engelvin, l'espontaneo gardois

C'est l'histoire d'un jeune vigneron, berger à ses heures. Nîmois d'origine et donc aussi amateur de tauromachie. Un caractère sanguin, appréciant parfois le frisson que la vie peut procurer et sans lequel toute production, à ses yeux semble-t-il, ne peut être vraiment achevée. S'il peint, c'est avec ses tripes. S'il jouait de la musique, il en serait de même. Pour ses vins, il revendique une sorte de filiation avec Dagueneau et Jayer, c'est dire!... Pas question de copier qui que ce soit, mais le temps passé auprès du premier et les souvenirs de dégustations de vins du second ont tissé une sorte de trame qui le guide. Vins de soif, arrache-coeur, au sens vianesque du terme, où la fantaisie et l'émotion se coltinent et parfois vin d'exception destiné aux plus grandes tables, que voilà une production singulière!...

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Ludovic Engelvin ne saurait dissocier ses vignes de ses brebis et inversement. En arrivant dans le petit village de Vic le Fesq, nous comprenons vite, ce matin-là, que le vigneron-berger a d'autres préoccupations que d'éventuelles conséquences d'un orage sur sa vigne. La veille, pendant la nuit, des "loups à deux pattes" ont pénétré dans l'enclos réservé au troupeau et ont tenté de voler une brebis. Ils n'y sont pas parvenus, mais les bêtes sont choquées et l'une d'elles est blessée. A l'heure qu'il est, en ce samedi matin, il ne sait pas s'il pourra la sauver... Il a du rapatrier provisoirement le troupeau dans le village, mais est en passe de trouver une solution, grâce à un éleveur de chèvres voisin. Bientôt, il disposera d'un patou, chien de montagne des Pyrénées, qui pourra s'occuper des prédateurs de toutes sortes.

Cette passion débute un peu par hasard, un soir qu'il découvre une brebis au bord de la route. Il la soigne et la sauve. Quelques temps plus tard, il trouve des rayolles, race endémique de la région nîmoise et jusqu'au Mont Aigoual. Il fait désormais partie d'une association d'une vingtaine d'éleveurs, qui en possèdent au total environ 2000. Dès l'an prochain, il rejoindra par les drailles, ce grand troupeau en estive, au coeur du Parc National des Cévennes. La rayolle, une race à viande, très rustique et vivant au grand air toute l'année. L'objectif est de créer sa propre lignée pour contribuer à développer la race et commercialiser de la viande, dont la qualité est déjà vivement recherchée.

026Pour le moment, elles sont destinées à entretenir les vignes et à les fumer naturellement. Notez qu'elles sont déplacées selon une méthode donnée : elles mangent à certains endroits et en fonction de ce qu'elles ingèrent, digèrent et rejettent, elles favorisent certaines plantes plutôt que d'autres, contribuant à préserver un bon équilibre dans l'écosystème local.

Le berger de Vic le Fesq y voit certainement des compagnes, tant ses débuts de vigneron furent ardus. Une activité de sommelier (à l'Oustau de Baumanière notamment) après une formation classique (BEP, Bac Pro et BTS), un projet "quelque peu utopique" pour tenter de changer les cartes de la restauration rapide, puis pendant quatre ans, caviste à proximité de sa ville natale. En parallèle, il prend trente ares en fermage en 2010 et vinifie la première année de façon très... artisanale. En 2013, il finit par vendre sa boutique et s'installe dans le village. "Mes débuts ici furent quelque peu rock'n'roll!..." Il prend possession de locaux très rustiques qu'il loue (néanmoins superbes et ouvrant la perspective d'une belle restauration) et vit pour le moins à la dure. Il passe trois mois d'hiver dans la cave, un an et demi dans ce qui fait office de bureau, sans eau, sans commodités et... sans avoir de quoi manger!... Il n'a alors pas de vin à vendre et se nourrit des oeufs de ses poules, qui font désormais partie du projet global, avec d'autres volailles sélectionnées. Grâce à un jeune berger, il apprend même à tuer les moutons, afin de disposer d'un peu de viande, sans barbarie et pour tout récupérer : épaules et gigots pour lui, le sang pour les poules, les abats pour son border collie d'à peine plus d'un an, Blast et même les os concassés pour les vignes.

034Aujourd'hui, le vigneron dispose de six hectares sur trois communes gardoises, dont Souvignargues et Aujargues, dans le secteur de Sommières. Là, deux hectares de vieilles vignes de grenache de 50 à 60 ans, travaillés au cheval uniquement et quatre hectares achetés à Vic, des jeunes vignes de grenache, mais aussi un hectare de mourvèdre au milieu de la parcelle, dite Clos de l'Hallucination, que l'on pourrait considéré là presque accidentellement, si ce n'était que les rangs de ce cépage sont plantés sur une superbe veine d'argile bleue.

Objectif du moment : tout passer au cheval (après une formation programmée). Quant au Clos, déjà entouré de grillage surtout destiné à empêcher les intrusions d'animaux sauvages, une partie de friches est dédiée aux ovins et un espace va accueillir diverses volailles rustiques. Densité typique de la région : 5555 pieds/hectare. La biodynamie est une base du mode de culture choisi, mais sans carcan, incluant de nombreux essais de diverses tisanes. Pour ce qui est du travail du sol, il laisse désormais le "ticket de métro", selon l'expression parfois utilisée chez les vignerons qui entretiennent un ruban d'herbe dans le rang. Parmi les essais en cours, sur l'une des parcelles : dernier traitement le 14 juillet 2013, travail au cheval, passage des brebis, taille très tardive, au point que la fleur est en cours lors de notre passage (28 juin dernier). Vendanges probables fin octobre. Le but avoué est de "tenter d'influencer sur le végétal, volontairement, lui rendre la vie un poil plus difficile et augmenter le caractère sauvage du vin!"

Toutes les vignes du domaine sont en AOC Coteaux-du-Languedoc, mais comme il n'y a pas de syrah, les cuvées étaient présentées jusqu'à maintenant en Vin de Pays du Gard. Désormais, elles sont toutes en Vin de France et la labellisation bio est en cours.

035Si, parmi les stages qu'il a pu effectuer lors de sa formation, celui qui l'a conduit en Rioja a failli le convaincre de chercher une autre voie que celle du vin, une rencontre et une émotion gustative ont largement contribué à développer sa passion. Tout d'abord, lors d'un repas, un Vosne-Romanée Cros Parantoux 1988 de Henri Jayer le fait quasiment pénétrer dans un monde inconnu!... Comme une sorte de vin référent, dont l'équilibre se grave dans la mémoire, mais son voeu de rencontrer le vigneron bourguignon ne sera pas exaucé, celui-ci décédant brutalement lors des vendanges 2006. Autrement, c'est un maître de stage qui a sans doute contribué à renforcer sa confiance et à asseoir ses convictions. Plus encore qu'un stage, ce sont plusieurs séjours chez Didier Dagueneau, dont il estime qu'il est un pur produit, qui l'ont forgé. "J'ai pas fait l'armée, mais j'ai fait Dagueneau!... Il m'a tout montré, le bon et le mauvais. Il ne m'a pas épargné, mais je pense que cela m'a servi..." Il évoque à demi-mots certaines soirées festives, mais plutôt les difficultés du millésime 2006, pour lequel, le grand maître ès-sauvignon poussa son stagiaire dans ses derniers retranchements.

Les locaux, aussi rustiques soient-ils, permettent à Ludovic Engelvin d'organiser au mieux les vinifications et élevages. Depuis 2012, l'ensemble des interventions, y compris les mises en bouteilles, se font en utilisant la gravité. C'était une des priorités du vigneron d'abolir l'emploi de toute pompe. Dans le cuvier des vinifications, se prolonge l'élevage des jus issus de jeunes vignes, soit notamment ceux destinés aux cuvées Même Si (qui a failli s'appeler Best of the coulure en 2013!) et Cru~Elles en rouge, The Radiant en rosé et Espontaneo en blanc. De l'autre côté de la coursive, où se déroulent les mises, les vieux grenaches sont élevés en barriques non neuves. Ils vont composer deux cuvées, dont nous dégustons quelques lots. Pour certains, il semble que la fermentation malolactique sont encore en cours. Lors des phases successives, le vigneron pratique sans la moindre analyse, que ce soit pour les maturités, au cours des vinifications ou pendant l'élevage. Pour éviter, à ses yeux, toute forme d'influence sur ses propres choix, les seules analyses sont pratiquées lorsque les malos sont terminées. Une grosse sélection s'impose donc au final, avant la mise et ce qui est écarté part à la vinaigrerie.

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Ludovic Engelvin n'est guère partisan des macérations carboniques. De plus, il ne procède à aucun sulfitage avant la mise. D'une façon générale, il n'aime guère les vins trop massifs. Pour les rouges du Languedoc, il préfère la fraîcheur. Les lots dégustés sont dotés pour la plupart d'une belle acidité, une tension, répondant parfaitement à la prise de bois, somme toute assez relative. Les deux cuvées issues de vieilles vignes sont produites, bon an mal an, à +/-1000 bouteilles. La première alimente la thématique actuelle, Vilaine, alors que la seconde est destinée à un vin d'exception, Les Vieux Ronsard, que les Britanniques ont adopté dès son apparition en 2011, millésime pour lequel la France n'a disposé que de 36 bouteilles!... Il faut dire que les trois quarts de la production du domaine sont destinés aux marchés étrangers : États-Unis, Belgique, Autriche, Norvège, Japon, Angleterre bien sur et peut-être bientôt Danemark. Heureusement, quelques cavistes et grandes tables de notre beau pays font preuve d'une certaine perspicacité!...

042Pour ce qui est des Vieux Ronsard, il s'agit donc d'une sélection dont le millésime 2013 sera mis en bouteilles au printemps 2015, malgré 80% de raisins en moins, du fait d'une coulure record. Issue de vieilles vignes plantées après le gel de 1956 sur des argiles sableuses et exposées plein nord, la cuvée se compose de raisins éraflés ou pas, selon le millésime. Cette année, quatre barriques et une amphore historique prêtée par un collectionneur de la région, lui sont en principe destinées. Si tout va bien, jusqu'au bout!... Cette année, à noter aussi cette fameuse cuvée Même Si, assemblage à 50/50 de jus élevés en cuve et en barrique, en provenance de jeunes vignes du Clos de l'Hallucination, qui devrait sortir à l'automne prochain. Des grenaches bien sur, mais qui atteignent (et dépassent?) les 16°!... Et à la dégustation, un équilibre irréprochable, une sorte de densité, qui semble concentrer l'acidité et le fruit gourmand du vin. Superbe!...

Découverte ensuite des vins disponibles en bouteilles : The Radiant, un rosé composé de 80% de mourvèdre et de 20% de grenache, élevé en cuve, avec une belle dynamique et une jolie structure. Puis ensuite, Cru~Elles, 60% grenache et 40% mourvèdre, des jeunes vignes du Clos pour l'essentiel et des jus élevés en cuves, pour trouver une expression sur le fruit. Enfin, une des cuvées vedettes du domaine, Espontaneo, dont la version 2010 a permis au vigneron de se faire connaître, puisque ce fut la seule cuvée proposée dans ce millésime. Un peu arrivée par accident, avec l'absolue nécessité d'avoir quelque chose à vendre au plus vite et du fait des caractéristiques de la vendange. Ludovic eut l'idée de faire ce grenache noir de pressurage, qui fut ensuite élevé quelques mois en cuve. Le succès fut au rendez-vous et les cavistes et bars à vins (comme le Saint Bonheur, à St Bauzille de Putois, qui nous mit sur la piste du vigneron) réclament ce blanc hors normes, issu d'un sol argilo-calcaire contribuant sans doute à la tonicité et à l'originalité de la cuvée.

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Le choix du nom de cette dernière cuvée, Espontaneo, n'est bien sur pas un hasard. C'est le nom que donnent les aficionados, amateurs de corridas, à un apprenti torero qui surgit dans l'arène, face à un taureau destiné à un torero vedette et ainsi, combattre à sa place. On dit que le grand El Cordobés lui-même, se fit connaître ainsi à Madrid, en 1957, même s'il ne put revêtir son habit de lumières que deux ans plus tard. Ludovic Engelvin est lui aussi entré dans l'arène!... Mais lui a sauté dans le ruedo réunissant les vignerons passionnés de ces vins naturels, qui tendent à sublimer les goûts et à stimuler les papilles des amateurs. Sa muleta est quelque peu rapiécée et son épée de bois, lui préférant sans doute le tire-bouchon et ainsi, croiser le verre avec quelques amis comme Matthieu Barret, J-C Abbatucci, Athénaïs de Béru, Fanny Sabre ou Luc-Marie Michel, autant de vigneron(ne)s qu'il croise lors de quelques rares salons. Il est seul au domaine, même si un agent s'occupe de la commercialisation, une secrétaire le seconde pour tous les papiers, un prestataire intervient, jusqu'à maintenant, pour la traction animale et qu'un ami plasticien travaille avec lui sur un aspect qui le touche beaucoup : l'Art et le Vin. Et qu'il exprime notamment par le biais des étiquettes. Pas de doute, voilà un débutant spontané qui va en étonner plus d'un!...

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Commentaires
P
Bonjour "Pat"! Votre commentaire ne manque pas de me surprendre et pour ce qui est de Ludovic Engelvin, je parlerai plus de blessure, à la découverte de votre message. Je ne sais sur quoi vous vous appuyez pour sous-entendre que le vigneron désherbe (c'est bien de cela qu'il s'agit?...), mais si c'est à la seul vue des photos prises fin juin, il semble que vous les interprétiez un peu vite, non?... Les vignes venaient d'être chaussées et l'herbe fauchée. De plus, vu la sécheresse sur un haut de coteau argileux, comme c'est ici le cas, le paysage n'a rien de choquant. Sans parler des brebis qui parcourent ces vignes régulièrement et sachant à quel point Ludovic aime ses bêtes, il y a peu de chance qu'il les expose à toutes sortes de produits toxiques!... Mais, il faudrait peut-être que vous alliez sur place en ce moment, pour constater à quel point l'herbe y est verte, après toutes les récentes pluies... D'ailleurs, le vigneron vous convie à lui rendre visite, afin que vous puissiez faire le constat, par vous-même, des choix faits au domaine.
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P
une vigne en biodynamie sans un seul brin d'herbes vertes ?
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