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La Pipette aux quatre vins
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10 avril 2019

Baléares : Majorque, biodynamie à Porreres

Avant de partir pour Majorque et y découvrir ses vins, il est indispensable de faire quelques recherches afin de savoir, un tant soit peu, où on va poser ses pataugas, ou ses baskets. Il faut dire que le paysage viti-vinicole de l'île a bien évolué au cours des dernières décennies, puisque, si on y recensait entre quinze et vingt domaines familiaux et traditionnels au début des années quatre-vingt, on approche désormais de la centaine!... D'aucuns ont gardé un certain sens de la tradition, mais d'autres sont apparus en défrichant le terrain avec des moyens considérables, du fait de la présence notamment d'investisseurs allemands, suisses ou suédois par exemple, certains subodorant le fort potentiel économique et spéculatif des Baléares viticoles. Mais, quelques grandes familles locales se sont également inscrites sur ce chemin. Il faut dire qu'il y a encore peu de temps, le tourisme n'avait de sens, pour les visiteurs, que par sa façade maritime, béton compris. On venait ici prendre le soleil, nager dans des eaux claires et relativement poissonneuses et donc pratiquer le snorkeling (ou PMT dans notre langage commun, soit palmes-masque-tuba). Mais, parfois, les quelques occupants privilégiés de yachts à voile ou à moteur fréquentant ces eaux en juillet-août ont, depuis quelques temps, laissé entendre que, pour eux, ces îles n'étaient pas de simples cailloux incultes et qu'ils apprécieraient de découvrir les autres activités locales. Parmi celles-ci, bien sûr, la vigne et le vin. Sans être encore devenue une destination strictement oenotouristique (comme Barolo ou St Émilion par exemple), elle a un potentiel alliant découverte de jolis vins et de beaux domaines (dont certains s'inscrivent ostensiblement dans une démarche de "viticulture écologique", revendiquée par les instances locales), d'une cuisine savoureuse, mais aussi de valeurs que les Majorquins ne sont pas prêts à mettre au rancart, ou à oublier au fond d'un vieux foudre délabré dans un vieux cellier, au coeur du village, fut-il pittoresque. Et figurez-vous, oh surprise! que les deux domaines officiellement en biodynamie Demeter, à Majorque, sont situés dans le même village, Porreres, à un kilomètre l'un de l'autre!...

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 ~ Mesquida Mora ~

Porreres est une petite ville au coeur de la plaine de Majorque et de l'appellation Pla i Llevant. De très bonnes terres que les Romains furent les premiers à exploiter, plantant vigne et oliviers dès le Premier siècle de notre ère. Ici, on comprend aisément que nous sommes là dans un système qui se veut équilibré. L'agriculture locale est rarement une monoculture, même si désormais, certains cherchent à produire du vin, rien que du vin. Mais, Barbara Mesquida Mora accueille ses visiteurs en précisant, de prime abord, que nous sommes là dans une ferme d'une vingtaine d'hectares. On y trouve des animaux, des artichauts, des abricots, ces derniers étant les plus réputés de l'île, surtout consommés secs. Si, au cours de tels périples, il arrive que l'on passe à côté de certains domaines méritant le détour, je ne risquais pas d'oublier Mesquida-Mora, présenté par tous mes contacts comme un des fers de lance de Majorque.

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Cette réputation, le domaine le doit sans doute en grande partie à Barbara. Elle évoque très vite son enfance, au milieu des barriques, des bouteilles, des tracteurs... "Je suis née dans un petit coin de paradis, je suis une chanceuse!" Elle est un peu la fille de la mer et du soleil, de la vigne et du raisin. Le destin sur lequel on s'appuie, trouve parfois ses origines dans une sorte de mythologie... Mais, elle exprime vite son karma : "Le vin, c'est ma vie, je sais le sens que je veux lui donner!" C'est un peu ce qu'elle affirmait sans doute, dès 2012, lorsque, au terme de ses études de littérature, elle bascule dans le vin. Elle devine alors que cette production vinicole doit se situer dans un équilibre global. Il est hors de question de faire la guerre à la nature. Cette finca, cette ferme qu'elle prend alors en main, doit symboliser cet équilibre. Quelque part, un mur écroulé ouvre le regard vers l'avenir...

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Depuis le milieu des années 2000, on évoque aux Baléares les préceptes de la biodynamie. Mais, entre 2007 et 2012, il n'est pas simple de prendre résolument une telle option. Pas de conseiller sur place, quelques rares conversations pour alimenter les doutes et un peu de littérature. Pourtant, Barbara va adopter la méthode dès son retour, sans étape intermédiaire par une agriculture biologique. Elle le reconnaît désormais, ce n'est pas forcément la bonne méthode, du moins, elle n'est pas certaine de le recommander aujourd'hui à quiconque. Mais, elle devine que le jeu en vaut la chandelle, si elle veut proposer des vins dans un style méditerranéen, mais non dénué de fraîcheur.

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Pour aller plus loin dans l'évocation de la démarche adoptée au domaine, la vigneronne de Porreres propose à ses visiteurs, une petite découverte de quelques unes des huit parcelles composant l'ensemble, dont certaines sur le village voisin de Felanitx. Plus que d'entrer dans le détail de la composition des sols par forcément très différents (nous sommes là, pour résumer, sur des argilo-calcaire plus ou moins rougeâtres), Barbara présente ces vignes comme étant celles du passé (Pou de sa Carrera), du présent (Son Porquer) et du futur (Cami de Felanitx). La première est composée de vieilles vignes de callet (67 ans) cultivées en gobelet. Selon la vigneronne, le gobelet (qui permet de protéger les raisins en cas de forte chaleur estivale) fait partie du paysage de Porreres, tout comme la présence des abricotiers dans les parcelles anciennes. L'agroforesterie est une réalité conservée ici, puisque dans d'autres secteurs, ce sont les amandiers qui sont présents.

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Dans un large espace, le futur est représenté par ces parcelles plantées en partie de porte-greffes, ces derniers devant recevoir différents cépages d'origine locale et même certains dits "interdits", au bout de deux ou trois années. On peut y voir une sorte de symbolique, puisque Barbara précise au passage que, parfois, certaines de ces nouvelles plantations se situent sur les parcelles même du domaine, où furent plantées par ses parents, il y a quarante ans, les variétés françaises : cabernet sauvignon, merlot, syrah, pinot noir, chardonnay... Or, désormais, on y privilégie prensal blanc (ou moll dans certains villages, ou pensal blanco selon le Galet!), parellada, giro pour les blancs, ou callet et mantonegro notamment pour les rouges. Pour le moment, il n'est pas question d'arracher les vieilles vignes bien implantées de merlot et autres, la dimension patrimoniale étant malgré tout bien présente dans l'esprit de la génération qui a repris les rênes, même si on atteint maintenant 60% de cépages locaux au domaine. Mais, l'idée est bien de ne planter à l'avenir que des cépages majorquins, voire quelques variétés très rares, faisant partie du patrimoine.

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On peut penser que désormais, le domaine a pris son rythme de croisière, avec les créations de gammes différentes et cohérentes. Bien sûr, tout n'est pas figé et nombre de cuvées pourraient apparaître à l'avenir. On peut présupposer sans crainte que l'imaginaire fertile de Barbara et l'évolution des choses vont nous valoir quelques belles surprises à l'avenir. Actuellement, ce qu'on peut qualifier d'entrée de gamme, c'est Sincronia, dans les trois couleurs, issus des jeunes vignes. "Sincronia, c'est la magie de la vie. Ces choses que nous vivons comme quelque chose de négatif, alors qu'elles sont une chance. Ces choses qui ont lieu en même temps que d'autres choses. C'est en synchronie que naissent les vins les plus jeunes de Mesquida Mora, en même temps que leurs frères Acrollam, Trispol et Sotil."

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L'étiquette de Sincronia blanc (chardonnay, premsal, parellada et giro) est illustrée par un bateau, symbole de l'envie de sillonner de nouvelles mers. Le rouge (merlot, cabernet, callet et syrah), c'est un phare, pour ne pas oublier le port d'attache et le rosé (assemblage identique au rouge), une étoile de mer, fascinante par ses couleurs et sa capacité à se régénérer. Ensuite, Acrollam (anagramme de Mallorca) en blanc (cépages locaux) et rosé (vieilles vignes de cabernet sauvignon et merlot) seulement. Là encore, une étonnante symbolique explique le choix des étiquettes et du nom lui-même. Enfin, pour les rouges, Trispol (cabernet, syrah, callet et mantonegro), c'est le ciment indispensable à tout projet de vie, la référence à la Terre. L'étiquette est la représentation exacte du carrelage ancien de la maison de ses grands-parents maternels, sur lequel elle marchait pieds nus dans sa prime jeunesse!... Pour finir, Sotil (la surface qui sépare deux étages d'une maison ou l'espace sur lequel sont posées les tuiles). Le ciel en quelques sortes. Sur l'étiquette, on trouve le bleu du ciel de la Méditerranée et parfois quelques petits nuages, afin de combattre l'idée même de l'uniformité. Il s'agit là d'une sélection des meilleurs raisins de callet vielles vignes le plus souvent.

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Si vous disposez d'un peu de temps, vous découvrirez quelques spécialités locales, voire d'autres cuvées quasi expérimentales, comme ce Premsals 2018 mis en bouteilles avec les lies, absolument superbe, illustrant la dynamique remarquable que les vins de Mesquida Mora atteignent désormais, ainsi qu'une excellente maîtrise technique. Ils sont indéniablement au niveau des tous meilleurs. Comme j'ai pu le dire précédemment, il est regrettable que de tels nectars ne soient pas disponibles en France. Et c'est le cas pour nombre de ceux que j'ai pu découvrir pendant ce séjour. Bien sûr, les producteurs locaux ne courent pas après le marché français, du fait notamment que 70% de la production est consommée sur place. Avec ce niveau de qualité, ce n'est pas étonnant, après tant d'années où les touristes de passage n'avaient aucune considération pour les vins de Majorque, à l'image des rosés quasiment absents de l'offre pendant très longtemps. La proportion des vins du domaine qui sont exportés le sont, le plus souvent, vers la Catalogne continentale, parfois vers deux ou trois autres destinations. Même si ce n'est pas encore la priorité absolue, comme indiqué plus haut, une certaine forme d'oenotourisme permettra de découvrir de tels domaines, capables de s'organiser pour recevoir des clients de passage. De toute façon, à Porreres, vous pourrez faire coup double, puisqu'en passant derrière les installations de Mesquida-Mora, vous n'aurez qu'à prendre une route étroite qui vous mènera, en droite ligne, jusqu'à un autre domaine, en biodynamie lui aussi, avec peut-être une approche un peu différente, mais qui ne mérite pas d'être négligé.

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~ Can Feliu ~

L'expérience montre que, parfois, on peut prendre le risque de sonner aux portes de certains domaines, même quand on n'a pas pris le soin de prendre rendez-vous et même s'il figurait dans ma short list. Il faut dire que la chance était de mon côté en cette après-midi, en la personne notamment de Kate, la jeune stagiaire américaine de la Bodega Can Feliu, pas mécontente de me faire découvrir l'ensemble, plutôt que de se confronter seule à quelque tâche administrative dans le cadre, notamment, de sa formation en oenotourisme. En plus, elle s'exprime dans un excellent français, ce qui me permet de laisser au vestiaire mon anglais à peine suffisant!... Avant toute chose, j'apprends au passage que Kate, venue du Colorado, avait précédemment travaillé dans un domaine de cet état - Balistreri Vineyards - dont l'approche semble être très intéressante, du moins à la lecture de leur site. "Mais, vous savez, il y a de la vigne et du vin dans tous les états, aux USA!" Eh bien voilà, mon insuffisance culturelle en la matière est mise en évidence dès les premiers échanges!... Et l'envie de franchir l'Atlantique du même coup réactivée!... Mais, ceci est une autre histoire...

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Can Feliu est une propriété qui s'est inscrite, voilà quelques années, dans une sorte de renaissance pour le moins ambitieuse. A la fin du XIXè siècle, il y avait là un vignoble, à deux ou trois kilomètres du centre du village de Porreres, dont l'origine remonte à 1793. Mais, vers 1891, le phylloxera atteint Majorque, une trentaine d'années après la France. L'île fournit alors de grandes quantités de vin à notre pays puisque, en 1890, on y compte 27 000 ha de vignes (80% des surfaces agricoles) et 500 000 hectolitres produits, pic de la production et de l'exportation. Mais, le puceron ravageur détruit le vignoble majorquin en quelques années. On sait alors comment le reconstituer, mais jusqu'en 1895, la vague d'émigration est telle que nombre de bodegas baissent les bras et optent pour d'autres productions : amandiers, abricotiers, oliviers ou ferme laitière. Pour information, on recensait 6 000 ha de vignes en 1900, 8 000 en 1930 et... 2000 seulement en 1958, à cause des effets de la guerre civile et d'une dictature...

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A l'aube naissante du troisième millénaire, la famille Feliu regarde d'un autre oeil sa Finca Son Dagueta. Pourquoi ne pas recomposer ce vignoble historique?... Néanmoins, les races majorquines de vaches et de cochons n'en seront pas chassées. La ferme restera dans le paysage avec toute sa diversité. En 1998, les premières plantations interviennent et pendant vingt ans, les vingt-cinq hectares vont voir se développer syrah, merlot, cabernet sauvignon, cabernet franc, chardonnay, sauvignon blanc, viognier, mais aussi callet, giro ros et prensal blanc. Le label "agriculture écologique" est aussitôt adopté. Le domaine obtiendra ensuite le label Demeter dès 2011. En 2004, le nouveau bâtiment apparait sur la base des anciennes constructions agricoles, puis il est amélioré et complété, afin de passer d'une production de 9 000 litres de vin à 80 000 désormais.

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Le joyau de la propriété tient dans le très beau caveau (que je n'ai pas vu, photo ci-dessus Can Feliu) remontant au XVIIIè siècle, au coeur du village, permettant encore de prolonger certains élevages dans de bonnes conditions, malgré la modernité du chai actuel. Il faut dire de Can Feliu s'inscrit pleinement dans une offre oenotouristique (dix chambres sont disponibles sur place) et l'image de la tradition séculaire ne peut être que mise en valeur avec ce bâti ancien. Néanmoins, le domaine a pris quelques options permettant une production de qualité, avec un minimum d'authenticité (utilisation de levures indigènes seulement) sans faire appel à tout artifice techno-oenologique. Notez cependant que blancs et rosés sont stabilisés à froid, après la fermentation alcoolique. Les vins rouges sont tous élevés en fûts de chêne français pendant dix mois environ, dès la fin des fermentations alcooliques et malolactiques.

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Avec somme toute quelques moyens investis, Can Feliu est composée d'une équipe qui se veut attentive à la mise en valeur des sols et des microclimats, qu'illustre la douzaine de parcelles composant l'ensemble. La gamme est attractive, proposant souvent des assemblages réunissant variétés locales et internationales, à l'exception de trois des rouges, issus à 100% de cabernet, de merlot ou de syrah. On devine qu'un business plan bien étudié est suivi à la lettre, même si les aléas du climat, relativement rares ici et vécus avec moins d'intensité qu'en France, rappellent la dimension artisanale de toute production viticole. Aux Baléares, si le gel printanier est peu fréquent, c'est désormais davantage la sécheresse que l'on craint, surtout quand elle semble s'installer très tôt dans l'année, comme c'est le cas en 2019.

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Cette première journée me permettait de découvrir deux beaux domaines, s'appuyant sur le respect de la biodiversité et la dimension écologique du vignoble majorquin. Nous allons pouvoir constater que, dans d'autres secteurs et appellations, cette préoccupation est loin d'être absente, avec en plus, la passion de certains vignerons pour une démarche "nature", inspirée en partie par certains acteurs de la Catalogne continentale. Nous ne sommes donc pas au bout de nos bonnes surprises!...

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