Henri Duporge, Château le Geai, à Bayas et Guîtres (33)
Comme les lecteurs de La Pipette aux quatre vins (ou de Tronches de vin) ne peuvent l'ignorer, Bordeaux cache quelques vignerons artisans qui méritent le détour. Quel meilleur moment que la semaine de Vinexpo pour sortir des sentiers battus et découvrir ce qui fait honneur à la diversité bordelaise?...D'autant que la météo fraîche et humide du moment contribue à mettre en évidence la beauté des paysages, mais aussi à freiner le développement de la vigne et des maladies telles que le mildiou, très présent en 2018, dès que les températures se sont élevées. Henri Duporge, installé au Château le Geai en 2000, domaine familial plus connu naguère sous le nom de Château Touzet, a appris à faire le dos rond, après des gels printaniers destructeurs comme ceux de 2016 et 2017, dans une moindre mesure en 2018 et 2019 mais, comme d'autres, il aspire sans doute à une production normale, qui ne serait pas soumise aux caprices d'une météo parfois extrême.
En découvrant les vignes du domaine situé sur la commune de Bayas et ses coteaux dominant l'Isle, jolie rivière serpentant mollement dans la campagne, avant de mêler ses eaux à celles de la Dordogne sous le tertre de Fronsac et au coeur de Libourne, on qualifierait volontiers cette grosse quinzaine d'hectares de "pépite" du Bordelais. Le vignoble se décline en trois parties assez distinctes. La première autour de la maison appartenant à la grand-tante du vigneron, demeure construite au début du XXè siècle, dont une parcelle est plantée de cabernet franc, mais aussi, au-dessus de la maison, d'un joli coteau exposé sud, dominant la rivière, où l'on retrouve notamment la carménère plantée en 2000, que Henri bichonne particulièrement, cépage si difficile à travailler et à sélectionner, la meilleure variété de celui-ci ne devant pas produire de gros volumes à des degrés élevés, contrairement à ce qui est dit parfois. Le sol se compose pour l'essentiel d'argiles bleues (marnes, issues d'un fer en réduction), une composante plutôt difficile à travailler également, mais dont il est très intéressant de tenter de restituer les caractères, par des élevages attentifs.
A peine quelques kilomètres à parcourir, pour rejoindre un deuxième secteur, de l'autre côté de la rivière et du village de Guîtres, commune de 1585 habitants (en 2016), où le grand-père d'Henri créa à la fin des années 30, la cave coopérative locale, qui n'a disparu que depuis quelques années. Cette partie lui vient de sa famille maternelle, un très beau coteau là encore de 4,80 ha, exposé est et totalement isolé, dont la pente boisée est entretenue par un petit troupeau de chèvres. Dans la partie supérieure de cet ensemble se trouve le cabernet sauvignon, dans la partie inférieure, le merlot, le tout planté dès 2000 et 2001, dans ces prairies jadis couvertes de vigne, dont le sol est aussi composé des fameuses crasses ferriques (fer en oxydation), chères à certains crus de Pomerol notamment. Un troisième secteur se situe sur le plateau dominant la vallée côté Bayas, très largement planté de merlot, dont le volume est vinifié et vendu en vrac.
Actuellement, le domaine propose pas moins de sept ou huit cuvées de rouge exclusivement, puisque le sauvignon n'est pas en odeur de sainteté ici, non plus que le rosé!... Mais d'autres vins pourraient apparaître à l'avenir, pur cabernet sauvignon et pur cabernet franc, mais aussi, dès les prochaines vendanges, un blanc de noir issu de merlot!... Notez qu'aux cépages déjà cités, il convient d'ajouter une petite proportion de malbec, variété très présente naguère dans les assemblages de cette partie du vignoble, mais quelque peu oublié depuis.
Au fil de cette vingtaine d'années, en ce début de XXIè siècle, le vigneron de Bayas et de Guîtres a tenté d'exprimer la liberté à laquelle il aspirait depuis la reprise du domaine familial et la création du Château le Geai, dont le premier millésime est 2003, par forcément un cadeau pour débuter, surtout lorsqu'on s'oriente vers le bio (la biodynamie) et la production de vins naturels, dans le sens d'une utilisation la plus réduite possible de sulfites. Le "sans soufre", pour lequel il opta résolument jusqu'en 2009, lui valut quelques déboires, au point qu'il s'est résolu alors à plus de protection, avant de revenir à ses premières amours dès 2012. Cette liberté revendiquée l'a aussi incité à choisir des contenants d'élevage différents, comme ces amphores italiennes, lui permettant notamment de pratiquer la technique du marc immergé, sans le moindre remontage, grâce aussi à la mise au point du "glougloutage", dispositif évitant quelques vinifications perturbées, mais surtout autorisant le minimum d'interventions.
Il faut donc découvrir ces cuvées originales et expressives, telles que Les Argiles de Pauline, assemblage de merlot et de malbec élevé en amphores pendant douze mois (4000 bouteilles), ou encore Ultra Bleue, la dernière née, 100% malbec, qui vient de passer deux ans en barriques, mise dans 1100 bouteilles sans soufre!... On ne saurait oublier la Carménère ou encore Fusion, quelque peu atypique et dédiée à Robert Parker, vinification intégrale en barriques neuves, mise en magnums uniquement, sans soufre, ni filtré, ni collé, avec un petit volume passé en amphore. Pour l'anecdote, tous ces flacons sont cirés et tamponés à la main, histoire de souligner le sacerdoce absolu et la passion non moins absolue du métier de vigneron!...
Pour vous permettre de faire un tour d'horizon plus complet de la production du Château le Geai, il vous reste l'option de participer au salon de l'ami Antonin Iommi-Amunategui, avec Rue89 Bordeaux et Nouriturfu, Sous les pavés la vigne, qui se déroule donc à Bordeaux, les samedi 25 et dimanche 26 mai 2019, pour la troisième année consécutive. A ne pas manquer!... Et n'oubliez pas d'aller voter!...