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La Pipette aux quatre vins
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La Pipette aux quatre vins
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19 juillet 2020

La Corse aux mille et un terroirs

Un titre qui, en lui-même, résonne un peu comme un lieu commun. Mais, en Corse, lorsqu'on ouvre les persiennes, les paysages sont le plus souvent hors du commun!... Début juillet, le bleu du ciel et celui de la mer sont associés aux rouge, rose et blanc des massifs de lauriers. Ici, les conversations sont forcément accompagnées par les cigales et une légère brise marine, lorsqu'on est sur la frange littorale. Une partie de la route qui longe la côte Est, entre Porto-Vecchio et Bastia, permet d'apprécier une mer d'huile, comme la Méditerranée en propose parfois. Pourtant, le lendemain, un petit vent de nord-est soulèvera un léger clapot nettement moins confortable, pour les passagers de tous ces yachts qui se glissent mollement de baie en golfe et de golfe en anse protégée. Santa Giulia, Pinarellu, Fautea, Tarco... Peu après l'aéroport de Poretta, il faut mettre cap à l'Ouest et gravir les premières pentes.

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Avec un agenda relativement chargé (une dizaine de vignerons, au bas mot, en quatre jours et les déplacements à prévoir), le timing est plutôt serré, d'autant qu'il n'est pas rare que surviennent quelques suggestions opportunes des uns et des autres. Et encore, la partie Ouest de l'île fut pour cette fois négligée, faute de temps. Selon le Conseil Interprofessionnel des Vins de Corse et les chiffres statistiques publiés dans The Passeport des Vins de Corse 2019/20, on compte pas moins de 5750 hectares de vignes, 9 AOP, 1 IGP et 290 producteurs, dont 130 en caves particulières. Les deux tiers des 49 millions de bouteilles produites par an sont des rosés, tourisme oblige. Un tiers environ de la production est consommé sur l'île.

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A plus d'un titre, le vignoble corse plonge ses racines dans l'Histoire. Pas moins de 2600 ans d'histoire, selon ce même Passeport!... Même si certaines AOP se disputent l'antériorité des premières plantations anciennes, on situe à -600 ans avant JC, les premières plantations organisées par les Phocéens, du côté d'Alalia, l'ancienne Aléria, auxquels succédèrent les Romains, laissant, au passage, quelques vestiges. Plus tard, au XIè siècle, les Pisans administraient l'île, puis un siècle plus tard, les Génois. Tous contribuèrent au développement de la vigne, dont le produit était alors largement destiné au culte et à la noblesse locale. Ils laissèrent aussi dans le paysage et le maquis des pressoirs taillés dans la masse du calcaire, notamment du côté de Bonifacio. Les "barracun", constructions cylindro-coniques très présentes aussi, remontent elles plutôt aux XVIIè et XVIIIè siècle (inspirées de constructions génoises plus anciennes?). Au nord, dans les Agriate notamment, on parle plutôt de "pagliaghju" (paillers en français), ceux des bergers.

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Puis, les cataclysmes se succédèrent : oïdium, phylloxéra, tempêtes extrêmes, conflits mondiaux, tant est si bien que l'essor spectaculaire des XVIIIè et XIXè siècles fut vite oublié. Dans les années 60, l'arrivée de nombreux rapatriés d'Algérie entraîne un productivisme forcené. On compte alors pas moins de 30000 hectares et deux millions d'hectolitres produits. Mais, la qualité n'est plus au rendez-vous et la concurrence avec d'autres régions est féroce. Dès le début des années 70, une crise majeure va décider d'un programme d'arrachage massif de plus de 20000 hectares. Il faudra encore deux ou trois décennies pour que les vignerons misent pleinement sur la qualité, marchant ainsi dans les pas des Imbert, Aréna, Gentile, Leccia et quelques autres, ayant tracé le chemin au tout début des années 80.

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Mon périple commence par le nord et Patrimonio. Comme un hommage à la Conca d'Oru et son vignoble, qui a reçu le label "Grand Site de France", en mars 2017. Pas peu fiers les "Nordistes", qui ne s'opposent plus aux "Sudistes" que par quelques échanges humoristiques, voire footballistiques!... Ah, les derbies Ajaccio-Bastia de naguère!... "Il y a une trentaine d'années, les chaises volaient dans les réunions!... Ce n'est plus le cas!" me dit, rieuse, Marie Aréna, témoin au combien incontournable, parfois influente (sa modestie dut-elle en souffrir!) d'une histoire familiale passionnante. Elle ajoute, pour le moins perspicace : "Les vignerons sont devenus la noblesse locale!... Nous sommes en haut de la montagne, prenons garde à ne pas redescendre!" Puis, elle ajoute, presque inquiète : "Nos jeunes veulent suivre ce chemin, mais pour eux, tout va plus vite! Auront-ils la patience et la possibilité d'avancer pas à pas?..." Quelques phrases qui traduisent les préoccupations d'une mère certes, mais aussi de celle qui découvre parfois la mise en forme des projets de quelques jeunes vignerons du cru. Ils sont pourtant passionnés, ils ont l'écoute et parfois l'aide des anciens, ils se confient sans arrière-pensées. Leurs projets sont, somme toute, exaltants. On éprouverait presque de l'impatience à découvrir les cuvées du futur de Patrimonio...

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Venant du sud, on pénètre dans l'AOP par Oletta, anciennement le chef-lieu de la "piève" d'Oletta, circonscription territoriale et religieuse au Moyen-Âge. Peu avant Saint Florent, un grand bâtiment sur le bord de route, l'ancienne caserne des pompiers, transformée depuis quelques années en cave viticole. C'est là que Nicolas Mariotti-Bindi s'est fait un nom en quelques millésimes. Après avoir travaillé auprès des Guidicelli, Annette Leccia notamment et retenu quelques conseils d'Antoine Aréna ("Fais ce que tu dis et dis ce que tu fais!"), il s'est rapproché de Mathieu Marfisi, Thomas Santamaria, ainsi que des frères Aréna, chacun avec leur propre sensibilité, autant d'exemples de la nouvelle génération contribuant à dynamiser l'appellation, presque entièrement bio désormais. Sur 36 ou 38 vignerons répertoriés, une quinzaine forme cette nouvelle garde et d'autres peaufinent leur projet. Si Stéphanie Olmeta compte presque une quinzaine d'années d'expérience et que Lisandru Leccia reprend à la vigne et à la cave le domaine de sa tante Annette, d'autres arrivent dans le paysage et parfois, quel paysage!... Par exemple, Jean-Baptiste Ferrandi, qui défriche et démaquise encore quelques terrasses du côté de Barbaggio, avant une première récolte très attendue.

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Je quitte presque à regret le nord par la T 10, pour gagner le vignoble du sud de l'île : Porto-Vecchio, Bonifacio, Figari, autant de secteurs où les découvertes ne manquent pas non plus. Aléria, Ghisonaccia, Solenzara, Ste Lucie de Porto-Vecchio... Du côté de Lecci, deux des quatre vignerons de l'AOP Corse-Porto-Vecchio imposent une halte et un séjour d'une nuit. Le Domaine de Granajolo, de Gwénaëlle Boucher, d'origine brestoise, qui a repris, au début des années 2000, le domaine créé par son père, arrivé de Bretagne dans les années 50, "lorsque tout était à faire en Corse"!... Entrepreneur de travaux publics, agrumiculteur, mais passionné par la vigne et plantant dès 1974. Après un travail semé parfois d'embûches, Gwénaëlle restructure le vignoble et prépare désormais la construction de sa nouvelle cave dans le maquis, au-dessus des vignes. A suivre!... C'est du côté de Lecci que Christian Imbert s'installa naguère, retour des Indes ou plutôt d'Afrique subsaharienne en 1964, où il tentait de produire et de commercialiser divers produits locaux tchadiens (gomme arabique, cacahuètes). En Corse, il devint vite l'un des pionniers du bio et propulsa le Domaine de Torraccia (42 hectares de vigne et 25 d'oliviers) parmi les référents de l'île. Actuellement, ses deux fils, Marc et Christophe ont repris le flambeau, poursuivant son oeuvre.

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Bonifacio était un objectif majeur de cette escapade. Voilà dix années à peine, un amateur passionné ne pouvait venir dans ce secteur que pour les paysages spectaculaires, la citadelle et le blanc du calcaire des falaises, voire pour admirer les bouches de Bonifacio, séparant la Corse de la Sardaigne, à seulement onze kilomètres. Au début du XXè siècle, le vignoble de Bonifacio s'étendait sur plus de 400 hectares. Mais, pour diverses raisons historiques (voir plus haut), il disparut, notamment du fait des primes à l'arrachage en dernier lieu, au cours des années 70. Cependant, au environ de 2010, trois vignerons, à priori sans se concerter, décidèrent de jeter les bases d'un avenir, sorte de retour vers le futur de l'appellation disparue. Certes, ils ne peuvent s'appuyer désormais que sur l'IGP Île de Beauté, voire proposer leurs cuvées en Vin de France, mais leur démarche vaut le détour. Les trois entités (une quatrième, le Domaine Andriella, est implanté à la limite entre Bonifacio et Figari, mais est associée à cette dernière commune!) ne racontent pas forcément la même histoire, mais elles sont dotées d'un potentiel remarquable. Christian et Nadine Zuria ont remué ciel et terre depuis dix ans, lorsque Dominique Zuria, l'oncle du vigneron, leur a proposé ses terres afin de planter de la vigne, lui le dernier muletier du "piale" (nom donné ici au plateau calcaire). Trois parcelles (plus une récente proche de Port-Vecchio), dont une à la limite calcaire-granite, histoire de jouer avec les cépages et les terroirs. Plus une cave en construction, qui devrait être disponible en 2021.

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Non loin de là, Thierry Buzzo relève le défi, quant à lui, de faire renaître la tradition familiale, puisque des écrits précisent qu'un Buzzo était vigneron sur les mêmes parcelles dans les années 1700. Là encore, c'est en 2010 que fut replantée la première parcelle du domaine, dans un secteur où les Génois ont laissé trace de leur passage et de leur agriculture. On cultivait aussi du blé et de l'orge, mais également des figuiers et des oliviers. Mais ici, le sol et les espaces naturels conservent quelques secrets... Parfois, la cendre d'une éruption volcanique antique affleure et une liane fructifère pousse dans les chênes... A suivre!... Non loin de là, Yves Canarelli est venu de Figari pour défier lui aussi la nature. Associé à Patrick Fioramonti, un ami de trente ans, sommelier local, ils ont créé ensemble Tarra di Sognu, un cru hors normes entouré d'un mur de 1,6 km!... Cinq hectares proches de la mer, sur un plateau riche en pierres sèches et en blocs de calcaire de volumes divers. La possibilité, au passage, de rendre hommage au carcaghjolu nere, cépage apporté par le roi d'Aragon en son temps, l'âme de Bonifacio, selon le vigneron. Le premier millésime remonte à 2016. Donnons du temps au temps!... Et déjà, une autre extension de l'aventure familiale se profile...

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Pour terminer ce périple, Figari. Depuis trente ans, Yves Canarelli s'est fait une place de vigneron référent, à la tête d'un très beau domaine de trente-trois hectares, sur une sorte de plateau vallonné, lui permettant de proposer une gamme de vins délicats, nuancés et tenant compte pleinement des données particulières de chaque millésime, tout en ayant acquis une forme de liberté et d'action au fil des ans. Sans doute a-t-il connu les rivalités qui pouvaient exister entre les différentes AOP de la Corse, mais aujourd'hui, chacun suit son chemin dans un climat apaisé, parce que les amateurs, comme les professionnels, ont admis désormais que la diversité est la plus grande richesse du pays. Une idée qu'il tente de transmettre à ceux qui se lancent à leur tour dans l'aventure. Et certains, comme Pierre-Paul Nicolai ne manquent pas de pugnacité, face à la nature, que l'on pourrait craindre hostile. Depuis 2009 et la genèse de son projet, le vigneron de Valicella défriche, démaquise, plante dans les fortes pentes de la commune, anticipant peut-être l'avenir. Pour faire bouillir la marmite, il a semé des immortelles et produit des huiles essentielles. Déjà, les premières cuvées sont proposées, en attendant que sa cave, construite sur une terrasse creusée dans la montagne, ne lui offre de travailler plus sereinement. Bonne humeur, enthousiasme, perspective d'avenir, tout y est!... Enfin, dans un autre registre, Jean-Baptiste de Peretti s'est lui aussi lancé dans une nouvelle aventure. Après avoir parcouru le monde des affaires et de la mode dans les plus grandes villes de la planète, il est revenu au pays pour un retour à la terre, alliant production de vins et tourisme. En plus, de l'avis même d'Antoine Pouponneau, qui connaît bien la Corse, ses dix hectares actuels sont situés dans un secteur où on fait bon!... Pas de doute, la Famidda de Perretti Della Rocca a quelques solides arguments, une très belle maison et une piscine de rêve!... Et les premières cuvées Jules et Colette vont se glisser sur nombre de tables, au coeur de l'été corse, à n'en pas douter!...

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Demain, il faudra se lever tôt pour reprendre l'avion. Le temps d'un petit dîner en terrasse, ponctué par un sorbet brocciu-myrthe, très couleur locale et de la musique country corse proposée par un petit groupe, guitare et chant, dont le son résonne dans le maquis et la montagne de Figari, alors que le soleil darde ses derniers rayons, atténués par le crépuscule... En repartant, il faudra aussi admettre de faire l'impasse sur la façade ouest de l'île. L'Ile Rousse, Calvi, Ajaccio, Sartène restent à découvrir. Comme d'autres projets qui se profilent çà et là... Ici, vigneronnes et vignerons mettent du coeur à l'ouvrage. Leur fierté n'est pas faite que de symboles ou de drapeau, mais aussi du partage de leurs richesses et de leur sens de l'hospitalité. A suivre, ici-même, au fil du temps...

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Commentaires
R
Bonjour Pipette,<br /> <br /> En effet un beau reportage et je me réjouis de prendre note de tes coups de coeur.<br /> <br /> En ce qui me concerne je viens de mettre en ligne mon avis sur ma dégustation de Champagne.<br /> <br /> Belle journée.<br /> <br /> Rohnny
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P
En effet, belle tournée! Et beaucoup de coups de cœur, comme il se doit! J'en parlerai plus largement dans quelques temps... De jolies cuvées, franches du collier, chez Nicolas Mariotti-Bindi, une superbe série au Clos Canarelli (Amphora rouge 2019 étonnante!), mais je pourrais en citer bon nombre, y compris chez ceux qui se lancent, ou qui en sont à leurs débuts.
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P
Superbe. Quelle belle tournée !<br /> <br /> Trop délicat de parler des coups de coeur ?
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