Didier Chaffardon, vigneron en Aubance
Dans la famille Anges Vin, je voudrais le cousin savoyard!... Didier Chaffardon est souvent considéré comme un référent du vignoble angevin. Un statut qui lui a été conféré en à peine plus d'une quinzaine d'années, par les amateurs et dégustateurs de tous poils, voire par les vignerons du cru eux-mêmes. Or, le vigneron de St Mélaine sur Aubance est originaire de Savoie et plus particulièrement de Chambéry. Certes, depuis son arrivée en Anjou, fin 1996, il a vu nombre de confrères s'installer sur les schistes layonesques (Toby Bainbridge par exemple), mais l'expérience accumulée et les rencontres de sa vie d'avant ont forgé son expérience et sa sensibilité.
Passé par l'Ile de Porquerolles et le célèbre Domaine de la Courtade, à la fin des années 80, Didier se pose sept ans en Savoie, à Chignin, au domaine des Fils de René Quénard, qu'il va donc quitter en novembre 1996. Au cours d'un stage à Beaune, en 1994, il rencontre Jean-Jacques Maleysson (Le Verre Galant, à St Etienne), qui travaille alors chez Hubert de Montille, à la même époque que René Mosse (le monde est petit!). Soirée de fin de stage : quelques quilles sont ouvertes et parmi celles-ci, des cuvées de Pierre Overnoy et une Mémé de Gramenon. Véritable révélation!... Et entrée dans l'univers des vins "nature"!...
Installé depuis 1989 en Anjou, Mark Angeli, naguère copain de lycée de la compagne de Didier à Aix en Provence, lui suggère de venir en Aubance, où le Domaine des Charbottières (alors propriété d'un des responsables de Canal+) a besoin d'un régisseur. Lors d'une découverte du vignoble du domaine, le vigneron apprécie cette vigne sexagénaire, dans un environnement plutôt protégé de St Mélaine. Le défi n'est pas mince, mais finalement, banco, le voilà angevin!... Malgré sa liberté d'action et l'arrivée des plus opportunes de Toby Bainbridge justement, l'aventure tourne court. Le domaine est finalement vendu et du coup, Didier Chaffardon décide de se lancer, avec la possibilité de récupérer certaines parcelles.
Trois hectares et trois parcelles composent donc le domaine Chaffardon. Une première sur St Mélaine, trente ares de chenin que le vigneron présente souvent comme âgée de soixante ans. En fait, c'est désormais plutôt quatre-vingt!... "Mais, avec ces réformes sur la retraite, il vaut mieux éviter de lui dire!..." Isolée par des friches, un sol de schiste sur des argiles claires assez serrées, la vigne est superbe. Les jus issus de cette parcelle composent souvent la colonne vertébrale de la cuvée Isidore, sorte de porte-étendard du domaine.
Nous passons ensuite sur la commune de Vauchrétien, qui a la douloureuse réputation de disposer des terroirs les plus difficiles de la région. Justifié ou pas, il semble que quelques exceptions soient à signaler. Ainsi, ces soixantes ares, dans un très agréable environnement. Pas des plus rassurants cependant, puisque très sensibles au gel, comme ce fut le cas en 2007, 2008 (9hl/ha sur l'ensemble du domaine!), ou 2011. Un secteur qu'il ne pouvait se résoudre à laisser, puisque planté par ses soins en 1998, année de naissance de son fils Pierre. "Cela me permet de mettre en parallèle l'évolution de Pierre et de la vigne!" Une sélection massale de chenins venant des Blanderies de Mark Angeli, préparée chez Guy Bossard en biodynamie. Là encore, la vigne semble bien se comporter sur des argiles assez douces et limoneuses.
La troisième parcelle, non loin de là, s'étend sur 2 hectares : 1,6 ha de cabernet franc, dont quelques rangs de cabernet sauvignon et 40 ares de chenin non palissé, âgé de cinquante ans. Un profil de petit vallon orienté ouest-est, dont l'essentiel est exposé plein sud. Les cabernet regardant le nord sont en principe destinés aux rosés. Pour Didier, qui aime travailler dans ce secteur largement bordé à l'est de friches, nous sommes là sur un très beau terroir à rouges : un sol d'argile minimum sur des marnes à ostracées (huîtres fossiles), mais sans calcaire actif. Souvent blanches, ces marnes sont soyeuses et compactes. On y découvre aussi quelques galets ronds. La terre, agréable au toucher, dégage une odeur assez minérale.
Le vigneron se délecte de ses jardins et de ses vignes qu'il accompagne du mieux qu'il peut, attentif à la faune qui la fréquente et à la flore qui ne manquerait pas d'intéresser tout herboriste de passage, surtout en ce printemps 2012!... Un encépagement qui lui sied également, même s'il ne cache pas qu'il aimerait trouver désormais cinquante ares de grolleau.
La conversation se prolonge côté cave. On trouve quelques barriques, mais surtout de multiples petites cuves. Non que le vigneron soit un adepte des parcellaires, mais plutôt qu'il veille, plus qu'il ne surveille sans doute, l'évolution des jus, leur auto-construction, la façon dont ils se bâtissent. Leur lumière, leur verticalité, leur force... Ses clients les plus fidèles savent que chez Chaffardon, les vins, s'ils gardent une même trame, sont parfois aux antipodes d'un millésime à l'autre. "A quoi bon vouloir toujours faire la même chose?... Il faut prendre ce que la nature nous donne."
Et parfois, elle se fait généreuse et surprend le vigneron. Quelle alchimie permet de produire des rouges comme ceux de 2011?... La toute récente cuvée Fortuit, à peine mise en bouteilles, est une véritable bombe!... "Même moi j'ai envie d'en boire", s'amuse Didier, qui considère ce petit nouveau, un peu comme le petit frère espiègle de l'année. Le grand frère lui, sera sans doute l'assemblage d'une cuve dont le contenu s'exprime actuellement sur des notes racinaires et le vin de goutte en barrique, dont la pureté de fruit est remarquable!... En route pour les sommets!... Un vin authentique, simple, mais pas de macération carbonique, méthode que le vigneron considère un peu comme un "laminoir à terroir".
Du côté des blancs, 2011 illustre parfaitement les contrastes que peut offrir un même millésime. Lui qui revendique de belles maturités, il a vendangé au cours des derniers jours d'août. "Deux jours après Richard, c'est dire!..." Mais surtout, pour des raisons qu'il n'a pas encore validées, entraînant une fragilisation des peaux, il a du accélérer la cueillette, les chenins évoluant vers une pourriture acétique qui aurait pu être absolument catastrophique. Après un tri rigoureux, quelques petits volumes évoluent favorablement, mais il n'y aura pas d'Isidore 2011. La cuvée unique de cette année pourrait répondre au doux nom de Mentula Matagrabolisée. Tout un programme!...
En revanche, l'année offre à Didier de pouvoir se livrer à quelques expériences sur les liquoreux. Tous les chenin restant ont donc été ramassés tardivement en septembre. Longuement pressés sans rebéchage, les raisins délivrent en une semaine quelques 150 litres d'une sorte de substance huileuse, à des degrés divers de concentration. Pas moins de 300 gr de SR pour une première petite cuve, qui pourrait prendre le nom de cuvée Loïs (orthographe à confirmer). La seconde propose une étonnante saveur d'abricot très mûr, mais en bouche, la trame reste tonique et ébouriffante. "Je pourrais l'appeler Hommage à JR, pour Johnny Rotten, ex-chanteur du groupe punk des Sex Pistols!..."
Nous pénétrons ensuite dans une dimension rare. Le monde de la sucrothérapie!... La cuvée suivante titre 0,4° d'alcool et 570 gr de SR! Et toujours cet abricot enjôleur, mais aussi des notes automnales sur la noisette. Didier plonge ensuite sa pipette dans deux bonbonnes de verre. La seconde approche les 700 gr de SR!... "J'hésite entre Crème de Chenin et Extrême Onction, s'il faut lui donner une identité!..." Géantissime, selon le qualificatif utilisé par le vigneron de St Mélaine. Il faut dire que le toucher de bouche est des plus étonnants. Mais, c'est surtout l'expression multiple qui surprend le plus à ce stade : abricot confit certes, mais aussi noisette, herbes médicinales, gentiane, safran... Renversant!...
Une visite à Didier Chaffardon est donc une expérience rare. Mais, il ne faut pas nécessairement voir en lui un "winemaker" au sens actuel du terme, malgré ce qualificatif de référent régional qu'on lui attribue parfois. D'ailleurs, il souligne au passage, qu'on va peut-être un peu vite en besogne en criant au génie, en découvrant certaines cuvées vedettes actuelles. Pour lui, le vigneron en bio, s'il se dit non-interventionniste, ne ménage certes pas sa peine à la vigne, mais n'est pas forcément le compositeur ou le metteur en scène génial, rang auquel on l'élève certains jours, au risque de le flatter quelque peu. La part de hasard est certaine dans les grandes réussites vineuses et Didier Chaffardon préfère rechercher la profondeur abstraite d'un vin et sa façon de se construire lui-même, avec le temps, sans coup de pouce autre que la nécessité de maintenir son domaine dans un bon équilibre. Ainsi, telle cuvée, mise en bouteilles et sur le marché en fin d'année, pour cause de rupture de stock, aurait-elle mérité d'attendre six mois de plus?... Pas vraiment le genre d'interrogation qui obnubile le vigneron angevin.
"Après les sucres, rien de mieux qu'un bon vinaigre, pour se refaire la bouche!..." Avant de reprendre la route, je découvre donc le contenu de deux bonbonnes destinées à passer l'été au soleil. Cela peut sembler paradoxal de conclure une telle visite par des vinaigres rouges, mais c'est un conseil que l'on peut suivre sans crainte, comme celui de faire étape chez Didier, si vos pas vous mènent dans la région.